LA LETTRE DU GOSHIN BUDOKAI
Printemps 2006
KOAN ZEN
2ème
partie
Comment
aborder les koan
Le
koan n’est pas un problème à résoudre dans un temps imparti. C’est
une sorte d’énigme irrationnelle que l’on installe dans son esprit et
que l’on va laisser mûrir jusqu’à l’apparition de l’évidence. Le
raisonnement logique est banni ou très marginal ; il conduit à des
lieux communs ou des impasses. Abordons les mots avec prudence, pensons
plutôt à des associations d’idées ou des symboles.
Pour rester dans un registre connu, rappelons-nous les figures de
rhétorique : métaphores, comparaisons et images. Le koan
n’utilise pas nécessairement les mêmes
procédés, cependant, à l’instar de ces fleurs de rhétorique, les mots,
les constructions grammaticales peuvent prendre des significations
particulières et surtout refléter l’esprit du locuteur. Si en français,
les mots, les expressions ne sont pas toujours à saisir dans leur sens
littéral, dans les koan c’est permanent. Notre esprit doit
toujours se situer au-delà du mot. De la même manière, évitons de
prendre les gestes au premier degré. Exemples :
-
Une main qui s’abaisse paume vers le
bas peut, selon le contexte, communiquer diverses idées : parlez
plus bas, asseyez-vous, calmez-vous ou un tassement, un abaissement,
une perte.
-
« Je suis le chef et je veux
parler ! » Telle est la signification du numéro
d’équilibriste d’Abraracourcix sur son instable bouclier.
Sortons
des sentiers battus, laissons-nous porter par notre imagination et ne
cherchons surtout pas à retrouver un équivalent à nos connaissances
antérieures. Le koan doit engendrer l’éclosion spontanée d’une
merveilleuse fleur inconnue.
Comme
nous l’avons vu, selon l’état de conscience, normal, mushin,
hishiryo ou kenshô (éveil), la perception du monde se
transforme dans des proportions insoupçonnables pour le profane. Par
conséquent, à ces différents types de relation au monde vont
correspondre des modalités de langage spécifiques. Les koan
débutent fréquemment sur une question banale à laquelle une réponse
classique est possible. Dans ce cas, le koan permet au maître
de vérifier le niveau d’éveil
de son élève. Celui qui répond sur le même registre n’a pas encore
progressé sur la Voie. Une bonne réponse doit annuler la question selon
deux procédés : soit la question a été comprise sur un registre
différent, soit la réponse est donnée dans un autre registre. Par
exemple, le Maître demande souvent au moine qui se présente devant
lui : « D’où viens-tu ? » Cette information
triviale n’intéresse pas le maître ; son objectif prioritaire est
de nous conduire à l’éveil. Nous devons donc transposer son
interrogation en rapprochant notre pensée de celle du maître. Nous
pourrions interpréter sa question ainsi : « Où en es-tu de ta
connaissance du zen ? »
Ce
travail, que d’aucuns jugeront « sans intérêt », est, à mon
avis, primordial. Il nous apprend à déceler le vrai message qui se
camoufle dans les mots. Cette aptitude permettra, entre autres
avantages, de repérer la vraie souffrance cachée derrière une agression
verbale (car il y a toujours une souffrance chez l’agresseur). Ceux qui
doivent affronter des entretiens d’embauche y trouveront aussi matière
à réflexion.
De façon identique, à la question du maître Joshu « As-tu
déjeuné ? » la réponse banale du moine sur le même registre
« Oui » démontre sa trop faible motivation à parcourir la
Voie. Il prétend attendre un enseignement de la part du maître mais ne
semble pas très empressé. Aussi ne faut-il pas s’étonner de cette
réponse méprisante : « Alors, va laver ton bol ! »
En choquant le moine, il veut lui faire comprendre que c’était à lui de
porter le débat sur le zen, d’afficher son désir de progresser sur la
Voie. Ainsi, cette réplique, en dépit de son aspect décourageant
est-elle un véritable enseignement. N’oublions pas ce principe
fondamental de la pédagogie : un enseignement est une transmission
de savoir qui exige la volonté d’acquérir ce savoir ; si l’élève
est passif, cela ne peut pas fonctionner (sauf en cas de choc
émotionnel).
Tout
cela n’est pas bien difficile à saisir ; nous avons, en France,
des conventions comparables. La question « Comment
allez-vous ? » est une formule purement convenue qui exclut,
chez les gens cultivés, un compte-rendu détaillé de son état de santé.
La
résolution de certains koan nécessite des connaissances
précises sur le bouddhisme. Mais nous rencontrons la même difficulté
avec notre langue quand un auteur utilise des allusions bibliques,
historiques ou autres. Sans une culture suffisante, nous passons à côté
de ces subtilités. J’ai par exemple constaté que des livres
« grand public » tels les San Antonio de Frédéric Dard ne
sont pas, ou très mal, compris des personnes dont la culture est
chancelante. En effet, ils regorgent, certes sur le mode humoristique,
de références culturelles éclectiques qui se dressent comme autant
d’obstacles infranchissables pour l’ignorant.
Pour
faciliter la formation des moines zen, certains koan ont été
commentés. Nous reprendrons la formule dans quelques exemples qui vont
suivre. Certains commentaires sont traditionnels, élaborés par des
maîtres zen, d’autres sont des suggestions personnelles. La
compréhension n’est toutefois pas figée dans une unique méthode ;
en général, plusieurs approches sont susceptibles d’éclairer l’énigme.
Les koan sans explications se nourriront de la richesse de
notre esprit (c’est le moment de se souvenir, nous l’avons déjà
largement démontré, qu’en l’occurrence, richesse est synonyme de vide
et de rejet des idées préconçues). Il convient de ne pas chercher à
tout résoudre lors de cette première lecture. Je conseille de
s’inspirer des koan commentés et après avoir achevé la lecture
de
l’article complet, d’en choisir un sur lequel s’exercer. Rien
n’interdit d’échanger des opinions avec quiconque entame la même quête
spirituelle.
Si dans un délai de deux ou trois semaines un résultat satisfaisant est
atteint (conforme aux critères mentionnés plus haut) sur ce koan,
il y aura lieu d’être satisfait ; si la lumière surgit en un ou
deux jours, c’est remarquable ! Sinon, ne pas se désespérer,
continuer ou changer de koan. Des thèmes sont récurrents ;
une fois identifiés, les difficultés s’aplanissent. Le temps n’est pas
important ; seule compte la détermination à affronter les embûches
de la Voie.
Puisqu’il
nous fallait opérer une sélection, nous avons retenu les koan
traditionnels les plus usités et pour des
raisons de place avons éliminé les dialogues (mondo) trop longs.
Choix de koan
-
« Qu’est-ce que le Bouddha ? »
demande le moine à son maître zen. « Une spatule à
merde ! » répond le maître.
Chez les bouddhistes l’homme n’est
pas le sommet de la pyramide hiérarchique. Les végétaux, les animaux et
les hommes sont de même nature et possèdent tous en eux les ingrédients
de la bouddhéité, ce qui mène à la conclusion que Bouddha est partout,
y compris dans un tel ustensile (les religions monothéistes formulent
la même idée de l’omniprésence de Dieu, mais jamais avec une telle
liberté du propos !) Objets, végétaux, animaux et hommes n’ont
rien à acquérir, seulement à réaliser l’état de Bouddha grâce à la
valeur de leurs actions. La vie d’une souris peut dépasser en noblesse
celle d’un homme mais, certes, en comparaison d’un végétal ou d’un
animal, un homme a plus de possibilités de réaliser de bonnes
actions ;
malheureusement, il peut également mal agir et accumuler toutes les
tares
imaginables. Nous rejoignons là des considérations que nous avions déjà
évoquées : nous avons tout en nous pour être heureux, il n’y a
rien à ajouter, le problème est plutôt d’extraire ce que nous avons mis
en trop (à comparer au kata qui approche la perfection quand
les éléments superflus ou parasites ont disparu). La « spatule à
merde » a tout ce dont elle a besoin pour être Bouddha, mais
contrairement aux hommes elle ne s’est pas efforcée d’accumuler des tas
de pseudo-mérites pour aller plus vite vers le but. Ainsi, faire
l’aumône ne saurait masquer l’avarice ; un somptueux cadeau ne
remplacera jamais un amour défaillant ; etc. Finalement la
« spatule à merde » est beaucoup plus proche de l’état de
Bouddha que la plupart des hommes.
-
Les ignares se délectent du faux
clinquant et de la nouveauté. Les gens cultivés trouvent leur plaisir
dans l'ordinaire.
-
L'homme regarde la fleur, la fleur
sourit.
-
Recherchez la liberté et vous
deviendrez esclave de vos désirs. Recherchez la discipline et vous
trouverez la liberté.
-
Quand un homme ordinaire atteint le
savoir, il est sage. Quand un sage atteint la compréhension, il est un
homme ordinaire.
L’ordinaire est-il le même pour
tous ? L’ordinaire d’un individu lambda est-il comparable à
l’ordinaire de l’éveillé ?
-
La voie est sous vos pieds.
-
Le bambou existe au-dessus et en
dessous de son nœud.
-
En ultime analyse, toute chose n'est
connue que parce que l'on veut croire la connaître.
-
La courbe ne peut inclure la ligne
droite.
Le mathématicien va ricaner :
« la ligne droite est un cas particulier de la courbe ». Mais
cela repose sur l’existence d’un postulat qui lui-même ne repose sur
rien d’autre qu’un accord entre mathématiciens (la force des
mots !). Je vous propose une démonstration plus
« cinglante ». Si je prends une baguette de bois souple et
rectiligne, je peux la courber pour vous démontrer que le même objet
peut être à la fois courbe et rectiligne. Mais si je lâche brusquement
une des extrémités de cette baguette devant votre visage, le retour à
la ligne droite, en percutant votre joue devrait vous convaincre de
l’illusion créée par ma pseudo-démonstration initiale. Attention, ce
n’est pas « la réponse » ; c’est une suggestion sur la
manière d’aborder le koan.
-
Maison pauvre, voie riche.
-
L'heure me regarde et je regarde
l'heure.
-
La lumière existe dans
l'obscurité ; ne voyez pas avec une vision obscure.
-
La haine seule fait des choix.
L’amour est une attention totale à
autrui qui se réalise lorsque toute manifestation de l’ego a disparu.
Celui qui aime sait exactement ce dont l’objet de son amour a besoin.
Qu’y aurait-il donc à choisir ? A contrario, pour torturer, la
pléthore s’installe quant au choix des moyens. On débouche sur une
interrogation : avoir le choix est-il une bonne chose ? Notre
société consumériste répond forcément « oui ». Qu’en pense un
maître zen ? Et quelle est la particularité de la haine par
rapport aux autres sentiments ?
-
Pour savoir si l'eau d'un bol est
chaude ou froide, il faut y mettre le doigt... Il ne sert à rien de
discuter.
-
Un de gagné, un de perdu.
-
Jour après jour, c'est un bon jour.
-
À esprit libre, univers libre.
-
Un jour, Ma Tsu était en route vers
quelque endroit, accompagné de Pai Chang, lorsqu’ils virent soudain un
canard sauvage passer au-dessus d’eux. Ma demanda :
« Qu’est-ce ? » Pai répondit : « Un canard
sauvage. » Ma : « Où vole-t-il ? » Pai : « Il est
déjà parti ! » Sur ce, Ma saisit le nez de Pai Chang et le
tord avec violence. Pai crie de douleur : « Aïe ! »
Ma, aussitôt : « Comment peux-tu dire que le canard sauvage
est parti ? »
Un canard est un canard, car nous
pensons que sa caractéristique de canard lui appartient en propre. Si
quelqu’un en regardant un canard voit une machine à laver, c’est qu’il
est fou. Cependant, un canard peut aussi être un animal, un volatile,
un gibier, un palmipède, un oiseau, etc. Donc la dénomination n’est pas
un attribut propre à l’objet mais dépend de l’esprit de l’observateur.
On peut donc voir de nombreuses choses différentes dans un même objet.
De plus dans l’état hishiryo, la perception se fait globale
grâce à
l’élargissement du champ de la conscience : tous les points de vue sont
appréhendés dans une même vision synthétique qui est bien évidemment
totalement dépendante de l’observateur.
Pai Chang croit d’abord que le canard existe par lui-même (comme tout
individu normal), mais quand on lui tord le nez, il réalise en un
éclair que le canard sauvage n’est pas un objet existant indépendamment
de son esprit, et que l’oiseau est toujours là avec lui, ou plutôt
qu’il est son propre soi. On dit que Pai Chang connut alors
l’illumination.
Le monde existe-t-il encore quand je meurs ? Les survivants disent
oui, mais pour moi, tout a disparu : « moi » et tout ce
qui est « non-moi ». Psychologiquement le monde n’existe pas
sans « moi ».
-
Non anxieux ici, non anxieux toute
la vie.
-
Qui excelle au tir ne touche pas le
centre de la cible.
-
J'éteins la lumière, où
va-t-elle ?
-
Un moine demande un jour à Chao
Chou : « Qui est Chao Chou ? » Chao Chou répondit :
« Porte Est, Porte Ouest, Porte Sud, Porte Nord ! »
La sécurité est un besoin
fondamental de l’individu. Cela induit la construction d’un rempart
psychologique quasi infranchissable pour se protéger de l’adversité
(c’est bien sûr l’ego qui en est l’architecte). L’individu ainsi
barricadé se coupe de toute véritable communication avec autrui. Chao
Chou a ménagé de nombreuses ouvertures dans son mur d’enceinte.
C’est-à-dire que Chao Chou est totalement ouvert ; on peut
l’aborder sous tous les angles, rien n’est caché. Il n’y a aucune
barrière pour venir à lui. Pas d’intérieur ni d’extérieur, Chao Chou
est pure transparence.
-
Une journée, une vie.
-
Le courant rapide n'a pas emporté la
lune.
-
Zhaozhou demanda à Nanquan :
« Qu’est-ce que la Voie ? »
Nanquan répondit :
« L’esprit ordinaire est la Voie. »
Zhaozhou dit :
« Est-ce qu’elle va dans une direction particulière ? »
Nanquan :
« Si vous essayez d’aller dans sa direction, vous vous éloignez
d’elle. »
Zhaozhou :
« Si on n’essaie pas, comment peut-on savoir que c’est la
Voie ? »
Nanquan répliqua :
« La Voie ne répond pas du savoir ou du non-savoir. Savoir est une
illusion, ne pas savoir est confusion. Si vous réalisez pleinement le
Tao au-delà de tout doute vous atteignez le grand vide, vaste et
illimité. Comment dans ce cas peut-on se tromper quant à la
Voie ? »
En entendant cela, Zhaozhou fut subitement illuminé.
Il existe d’innombrables
commentaires sur ce mondo ; toutefois le plus important à
retenir
est qu’il ne sert à rien de palabrer sur ce type de sujet. Les mots ne
peuvent nous amener que dans le connu ou l’illusion. Pour découvrir une
chose inconnue, il est impératif de s’abstenir de discourir. Il faut
pratiquer, méditer et élargir le champ de sa conscience.
-
Une illusion peut-elle
exister ?
-
Les mains vides, je tiens une bêche.
-
Comme le sixième Patriarche était
là, le vent commença à faire claquer l’oriflamme. Deux moines se mirent
à discuter là-dessus. L’un remarqua : « Regarde !
l’oriflamme bouge ! » À quoi l’autre rétorqua :
« Non ! c’est le vent qui bouge ! »
Ils discutèrent interminablement sans pouvoir toucher au vrai.
Brusquement, Hui Nêng mit fin à cette discussion stérile en
disant : « Ce n’est pas le vent qui bouge, non plus que
l’oriflamme, Honorables Frères, ce sont vos esprits qui
bougent ! » Les deux moines restèrent cois.
L’opposition entre l’intérieur et
l’extérieur est un des thèmes les plus fréquents des koan. Ce
koan et plusieurs autres
cités ci-dessus s’appuient sur cette dualité. Le zen, grâce à ses
différents outils
(zazen, kufû et koan) et les arts qui en
dérivent proposent de rejeter cette perception intrinsèquement
conflictuelle. Ne plus séparer l’intérieur et l’extérieur, le corps et
l’esprit, soi et autrui, développer une nouvelle vision de l’être,
totalement harmonieuse, tel est l’objectif.
-
Pour l’homme ordinaire, les rivières
sont des rivières et les montagnes sont des montagnes. Lorsque vous
pratiquez le zen les rivières ne sont plus des rivières et les
montagnes ne sont plus des montagnes. Lorsque vous atteignez
l’illumination les rivières redeviennent des rivières et les montagnes
redeviennent des montagnes. Au-delà cela n’a plus d’importance.
-
Lorsqu'il n'y a plus rien à faire,
que faites-vous ?
-
Ce qui te manque, cherche-le dans ce
que tu as.
-
Ne regardez pas les choses
ordinaires de manière ordinaire. (Dogen)
Les
quelques éclaircissements fournis sont des clés, rien de plus. Encore
faut-il trouver la serrure et manœuvrer correctement le mécanisme.
Quand la porte est ouverte, il faut voir clair ; or il n’est plus
aveugle que celui qui ne veut pas voir. Et c’est souvent ce qui se
passe quand l’objet à observer se nomme « ego ». Cela dit, la
résolution de ces koan est difficile. Parfois, nous croyons
avancer,
nous pensons même avoir trouvé une réponse pertinente, mais nous nous
sommes fourvoyé. Rappelons-nous que le raisonnement logique n’éclaire
jamais le koan. Certes, la réponse finale peut s’inscrire dans
une forme logique, mais l’approche doit être intuitive, hors du champ
des critères classiques de compréhension.
Certains koan paraîtront évidents à ceux qui ont déjà entamé
une remise en question du mode de vie imposé par l’insidieux
conformisme de notre société (d’autant plus dangereux que cette
incitation au comportement moutonnier se pare du vêtement de la
liberté : illusion encore et toujours !). Mais ils ne
pourront pas expliquer pourquoi. La compréhension profonde du koan
leur fournira l’éclairage qui leur manquait.
De
nombreux koan finissent par l’illumination du moine. On touche
là les limites conceptuelles du zen : comment croire que la
compréhension d’un koan suffise pour obtenir
l’illumination ? Comment croire qu’il suffise de la compréhension
de dix, cent ou mille koan ? Ces exercices permettent
d’avancer sur la voie, d’ouvrir son esprit. La véritable illumination
se fera dans la découverte de la structure réelle de notre esprit, de
notre conscience, de notre ego et du fonctionnement de cet ensemble. Koan,
zazen, kufû nous permettent
de reconstruire un puzzle. Mais ce puzzle est comme ces dessins qu’il
faut regarder d’une certaine manière pour y voir quelque chose de
particulier. Une fois le puzzle assemblé, nous resterons peut-être
plusieurs années à le contempler sans le comprendre, puis, un jour,
n’importe quand, n’importe où, peut-être un matin sous la douche, un
éclair de génie jaillira. Ce phénomène nommé « satori »
dans le zen est comparable à ces illuminations subites de savants qui
découvrent ou inventent alors que leur esprit est occupé à une banale
tâche quotidienne, voire totalement inactif. Mais, évidemment, un long
travail de recherche et d’expérimentation s’est effectué au préalable.
Le zen et
l'art du haiku
Le
haiku (prononcez haïkou) est la forme de poésie la plus brève de
toute la littérature mondiale, mais ses trois petits vers de cinq, sept
et cinq syllabes (malheureusement toujours déformés par la traduction)
permettent d'exprimer des sentiments profonds et des éclairs soudains
d'intuition. Il n'y a aucun symbolisme dans le haiku. Il
saisit la vie comme elle s'écoule. Il n'y a pas non plus
d'égotisme ; l’auteur n’est jamais valorisé. Mais dans l'intérêt
porté à la trame simple, apparemment insignifiante, de la vie
quotidienne (une feuille qui tombe, la pluie, une abeille), le
haiku nous apprend à ressentir la vie des choses et nous offre un
avant-goût de l'Éveil. Ce regard sur l’ordinaire, le banal, le
négligeable, bref, toutes les choses sur lesquelles nos sens ne
s’attardent plus, rejoint la démarche du kufû et du koan
afin de nous éveiller à la beauté éphémère, à l’importance du détail, à
l’élémentaire harmonie. Nous sommes devenus des êtres compliqués,
perdus dans nos ratiocinations ; l’essentiel est ailleurs. Le
haiku aborde cette problématique sous l’angle poétique et
esthétique. Il est considéré comme « la fine fleur de toute la
culture orientale »
C'est le grand poète Bashô qui éleva le haiku à la forme qu'on
lui connaît aujourd'hui. Parmi les autres poètes, citons Buson, Issa,
Ryokan et Shiki. Le haiku évoque souvent la solitude ou le
détachement « sabi » et le caractère poignant de la
pauvreté « wabi ». Il y est presque toujours question
d'une saison : les cerisiers en fleur au printemps, la neige
immaculée en hiver ou les branches nues pour l'automne, par exemple.
Une
orchidée du soir
Cachée dans son parfum
La blancheur de la fleur (Buson)
Vieil
étang
Au plongeon d’une grenouille
Ploc ! dans l’eau (Bashô)
Brume
et pluie
Fuji caché maintenant
Je vais content (Bashô)
Ce
monde de rosée
Est un monde de rosée
Pourtant mais pourtant (Issa)
Si
tu parviens
Au sommet de la montagne
Continue de monter (haiku ou koan ?)
Sur
la pointe d’une herbe
Une fourmi
Sous le ciel immense (Hosai)
Les
gardiens des fleurs
Pour deviser
Rapprochent leurs têtes chenues (Kyorai)
Le
serpent s’esquiva
Mais le regard qu’il me lança
Resta dans l’herbe (Kyoshi)
Herbes
de l’été
Des valeureux guerriers
La trace d’un songe (Bashô)
Tout
a brûlé
Heureusement les fleurs
Avaient achevé de fleurir (Hokushi)
et après
Après
s’être laissé porter par le charme énigmatique du koan, la
poésie du haiku semble moins
hermétique. D’ailleurs, certains haiku sont des koan.
Quant aux amateurs de poésie moderne, ils ne seront pas du tout
dépaysés, le haiku apparaissant fort limpide en regard de
certaines œuvres contemporaines. Mais quel intérêt procurent les
haiku au budoka ? D’abord qui parle
d’intérêt puisque le zen est fondamentalement désintéressé (mushotoku).
Toutefois, comme certains ne conçoivent pas d’activité sans
« profit », ne leur refusons pas la matière à leur motivation
puisque nous disposons de quoi les combler. Pour une meilleure
compréhension, nous pouvons scinder l’esprit selon deux activités
principales : activités psychologiques et activités cognitives (ce
qui se rapporte à la connaissance).
D’abord,
dans l’art martial comme dans le zen, nous recherchons la vacuité de
l’esprit : cela correspond à l’arrêt des pensées, l’ego ayant mis
la sourdine, donc à une disponibilité mentale absolue et immédiate.
Tout comme l’attaque de l’adversaire, le haiku cherche à nous
surprendre (la chute est souvent inattendue) mais n’y parvient pas si
notre attention est réelle et totale. Il peut donc être utilisé comme
entraînement pour apprendre à gérer la surprise ou la feinte de
l’adversaire en combat car c’est la même disposition d’esprit qui est
requise. Dans les deux cas il faut être sans a priori, réceptif et sans
pensées parasites.
Or, l’individu silencieux intérieurement, donc sans ego ou à l’ego
maîtrisé (sage ou éveillé), dispose d’une psychologie sans faiblesse.
Les émotions sont absentes chez l’éveillé, dominées chez celui qui
approche du satori. En conséquence, ses adversaires ne peuvent
percevoir aucun défaut, aucune limite. Évidemment, même un sage a des
limites, mais elles sont indécelables car rien chez lui ne fournit la
moindre indication : son ego est muet. Il ne faut pas croire que
ce pouvoir est réservé à l’élite des arts martiaux : entre le
novice qui a tout à découvrir et le grand maître à l’infaillible
mental, tous les niveaux intermédiaires peuvent se rencontrer chez ceux
qui progressent sur la voie.
Ensuite,
nous devons entretenir un esprit ouvert, alerte, avide de s’instruire,
car la culture est indispensable pour avancer sur la voie de la
sagesse. Nous nous sommes déjà frotté à la nécessité de connaître les
subtilités du bouddhisme pour résoudre certains koan.
Pareillement, l’immersion totale dans la culture japonaise est
incontournable si l’on souhaite extraire d’un budo ses plus
intimes secrets.
D’une manière générale, une certaine dose de connaissance pure, de
culture générale et de savoirs spécialisés est utile à condition de
savamment construire un ensemble cohérent et de lui fournir la
consistance nécessaire grâce à de multiples savoir-faire. Surtout, ne
nous transformons pas en livre, pire en bibliothèque. Souvenons-nous de
Montaigne : « une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien
pleine. »
Un psychisme équilibré, serein, disponible est le meilleur outil pour
gérer les questionnements de l’existence et il saura nous guider vers
la seule solution vraiment appropriée à chaque situation. La
connaissance que nous croyons détenir dans notre simulacre
d’omniscience est inévitablement tronquée et déformée (notre
bibliothèque intérieure est toujours incomplète, abîmée, parfois
illisible). Elle mène au mieux à des solutions de compromis ;
celles dont l’arrière-goût est toujours amer, maladie moderne de
l’à-peu-près. Mieux vaut se donner les moyens de trouver l’information
utile au bon moment que de tenter d’acquérir une illusoire érudition.
Cependant, comme pour la psychologie, l’adversaire doit ignorer nos
limites. Or, plus notre culture est riche, moins l’adversaire a la
faculté d’y déceler des failles.
Dans
cette double optique nous devons maintenir notre esprit toujours vide
et prêt à s’imbiber comme une éponge. Aussi, pensons donc à l’essorer
systématiquement avant et après chaque usage
(mokuso). Petite précision au passage : la mémoire n’a pas
disparu dans un esprit vide, mais comme l’ego, en sommeil, ne peut
ouvrir un dossier stocké en mémoire, aucun souvenir affectif, aucune
pensée d’ordre psychologique ne risquent d’encombrer notre conscience.
Seule la pensée rationnelle peut s’établir quand l’ego est absent.
Illustrons
cette dualité entre connaissance et intuition psychologique avec deux
techniques martiales différentes : réaliser un bon gyaku zuki
exige une parfaite maîtrise de la gestuelle, acquise lors de milliers
de répétitions du mouvement (l’apprentissage gestuel ne diffère pas
fondamentalement de l’apprentissage intellectuel ; les mécanismes
cognitifs mis en jeu sont comparables). Une clé de coude, avec ses
variantes, les contre-prises, les multiples contingences, les réactions
imprévues de l’adversaire, sa morphologie, etc. demande une grande
disponibilité d’esprit pour suivre et s’adapter à l’action. L’une
requiert essentiellement la connaissance technique, l’autre en priorité
l’ouverture d’esprit. Il ne faut donc pas s’enfermer dans un unique
système qui accusera vite ses limites. La bonne gestion de
l’entraînement de l’esprit couple donc harmonieusement développement
des capacités cognitives et amélioration du fonctionnement
psychologique (pour l’essentiel, évacuation des conditionnements).
Le
zen exige un investissement absolu de l’esprit dans l’action du moment
(kufû). Ainsi, le terme « perfection » reprend du sens
et avec lui renaît une des principales motivations de l’action humaine.
Zazen a pour objectif de nous installer dans l’état hishiryo.
Hishiryo, c’est penser sans pensée ; c’est
l’au-delà de la pensée, la pensée absolue. C’est un produit du
corps-esprit qui court-circuite les illusions de l’intellect. Kufû
et hishiryo vont, petit à petit, installer un mode de
pensée très particulier chez l’adepte de ces pratiques zen. Chez
l’individu normal, la pensée précède l’action. Avec le zen, à partir
d’un certain niveau de pratique, les deux ne se distinguent plus. On
peut même avoir l’impression que l’action précède la pensée tant elle
surprend. À ne pas confondre avec les automatismes travaillés par les
jeunes champions de karaté où toute pensée est absente. Avec le maître
zen, il s’agit bien d’une pensée, car elle constitue toujours une
réponse adéquate à une interrogation précise. On peut parler de
« pensée-action ». Le bénéfice en terme martial saute aux
yeux. Dans cet état, de vieux maîtres presque impotents peuvent
terrasser de jeunes et vigoureux gaillards avant même que ceux-ci aient
perçu l’imminence d’une action. Comme on l’a vu plus haut, le vieux
maître dans son état hishiryo est imbibé de l’esprit de
l’adversaire ; il est l’adversaire. Le combat est
« truqué ».
Revenons
sur les sept principes de l’art du zen, l'asymétrie, la simplicité,
l'austérité, le naturel, la subtilité, la liberté absolue, la sérénité,
transposés à l’art martial :
-
Asymétrie : c’est tout l’art de
surprendre.
-
Simplicité : c’est la garantie
de l’efficacité.
-
Austérité : c’est un art
martial dont le superflu a disparu. Place à l’essentiel.
-
Naturel : c’est l’aisance du
geste polie par un long entraînement.
-
Subtilité : c’est Soke Kuniba
qui montre cinquante applications différentes avec le même shuto.
-
Liberté absolue : c’est l’art
martial ultime adaptable sans limite qui donne la juste réponse à
toutes les situations.
-
Sérénité : c’est le combat pour
la vie qu’on aborde en étant (psychologiquement) déjà mort (presque un koan).
La
présence simultanée des sept principes est indispensable : qu’un
seul vienne à manquer, ce n’est plus un art zen et cette limitation
nous rend aussitôt vulnérable.
Étudions
donc soigneusement les fondements et implications du zen. Il possède,
aujourd’hui comme hier (le zen est immuable), absolument tout ce qu’un
samouraï peut ou pouvait rêver : les sept principes de l’art zen
procurent une technique sans faille et les états mushin,
hishiryo puis kenshô au sommet confèrent une
supériorité mentale absolue.
Le karaté sportif et le zen n’ont plus qu’un très lointain rapport.
Mais dès que nous nous préoccupons tant soit peu d’art martial, les
liens deviennent innombrables. Pour le puriste, l’art martial est du
zen.
Surtout ne
pas s’égarer
Doit-on
s’inscrire dans une organisation zen ? Et pourquoi le ferions-nous
puisque notre art martial est déjà du zen !
Bien entendu, si, dans un rayon raisonnable autour de chez soi,
n’existent que des clubs où l’unique préoccupation est technique et
physique, il va manquer quelque chose à celui qui souhaite entrer dans
la Voie (dans les mots, c’est la différence entre « karate »
et « karate-do »). Dans ces conditions, oui, la
pratique du zen peut aider.
Néanmoins,
je souhaite évoquer certaines dérives qui peuvent se révéler fâcheuses.
La méditation permet de comprendre que nous vivons dans l’illusion. La
plupart des mouvements bouddhistes et zen proposent des méthodes pour
s’en extraire, mais certaines sectes ont imaginé qu’on pouvait
apprendre à vivre avec l’illusion. On trouve des équivalents issus de
la philosophie occidentale : « Qu’est-ce qui me prouve que je
ne suis pas un rêve ? » Quelques sectes ont poussé le bouchon
encore plus loin : puisqu’on peut vivre dans l’illusion, pourquoi
ne pas créer ses propres illusions (télépathie, ubiquité, lévitation,
divination, etc.) Nous y retrouvons notre déjà célèbre société
Théosophique. Elles sont fort nombreuses et souvent dangereuses. Taisen
Deshimaru, maître zen incontesté, accumulait les mises en garde sur le
choix du maître et de la secte.
Celui-ci préconisait, après avoir trouvé son maître, de s’en détacher
progressivement afin qu’il puisse sereinement assurer son rôle de guide
sans que ses disciples ne l’acculent malgré lui à une fonction de
gourou. Malheureusement, les gourous sectaires et cupides dominent ce
qu’il convient d’appeler aujourd’hui le marché de l’ésotérisme (parfois
recyclé ces dernières années en « développement personnel »).
De plus, si les explications données au novice situent indubitablement
le zen dans la sphère philosophique, la pratique courante telle que
nous l’observons en Europe n’est pas dénuée de rites. En conséquence,
l’observateur objectif classera souvent le zen dans le domaine
religieux. Or, si nous sommes intéressé par sa philosophie et son
extraordinaire complémentarité avec l’art martial, pourquoi nous
encombrerions-nous d’un rituel dont nous n’avons que faire ? J’ai,
autour de moi, quelques personnes qui ont tenté ce type d’expérience.
La plupart en conservent une opinion mitigée à cause de ce glissement
entre les genres. Quelques-unes en ont gardé quelque amertume. J’ai
deux exemples de dérives extrêmes dont les séquelles sont graves.
Mieux
vaut, à mon sens, rejoindre la pensée de Jiddu Krishnamurti dont le
discours est extrêmement proche de la philosophie zen mais totalement
expurgé de la moindre connotation zen, bouddhiste ou religieuse. À
quelques détails près, je vous tiens le même langage. Non que j’aie
pillé sa pensée, mais nos analyses sont similaires, car elles ont
procédé de la même démarche initiale : remise en question totale
et systématique de toutes les certitudes humaines et observation
méticuleuse de la réalité sans a priori, sans modèle, sans maître à
penser. Comme Descartes me direz-vous ! Pas vraiment, car ce
dernier n’a pas appliqué sa théorie du doute à tous les sujets (Dieu
n’est pas remis en question ; l’époque ne s’y prêtait
guère !) et le doute n’est pas le rejet. Descartes a simplement
mis les certitudes humaines en liste d’attente pour confirmation
ultérieure par l’expérience ; méthodologie qui lui a permis
d’éliminer des erreurs mais pas de construire une pensée réellement
novatrice. Une différence toutefois entre mes discours et ceux de
Krishnamurti : l’extrême élégance de Krishnamurti pour illustrer
son propos d’images sublimement saisissantes. C’est pourquoi je vous
renvoie régulièrement vers lui, car il dit les choses infiniment mieux
que moi.
La
différence essentielle entre Krishnamurti et la philosophie zen réside
dans la méditation. Pour arriver à un état d’esprit de type hishiryo,
zazen ou seiza sont parfaitement adaptés,
car ces positions standardisées permettent d’évacuer toutes les
perturbations extérieures. Mais méditer sur la peur, pour reprendre un
sujet déjà abordé mais essentiel au budo, dans le calme d’un
dojo, les fesses
confortablement calées sur son zafu, implique une
reconstruction théorique de cette peur grâce à la mémoire, avec toutes
les déformations inhérentes. La méditation va donc porter sur une
représentation approximative et non sur la réalité de la peur, de fait
sur une illusion, ce qui sera un non-sens absolu. Pour Krishnamurti,
zazen est donc inutile, voire dangereux dans ce
type de méditation. Pour comprendre la peur, il faut affronter la peur
et observer comment elle survient, s’installe, produit ses effets, se
camoufle, disparaît. La méditation sur la peur doit s’opérer quand on a
vraiment peur. Autrement dit la vie entière doit être une perpétuelle
méditation. Mais c’est finalement assez proche du comportement du moine
zen qui s’applique à investir la totalité de son esprit dans chacune
des tâches qu’il réalise dans la pratique kufû, aussi
insignifiantes soient-elles.
Autre
point de divergence : l’ego. Krishnamurti s’acharne sur lui, car
il
considère que la totalité de nos désordres lui est imputable :
c’est le monstre démoniaque à terrasser. Le zen est conscient que les
difficultés viennent de l’ego, mais il ne le condamne pas totalement et
de nombreux maîtres zen pensent même qu’il suffit de le perfectionner,
ses inconvénients n’étant pas prépondérants. Toutefois, il faut
préciser que le Bouddha ne s’est jamais prononcé sur l’ego et que les
désaccords sont entièrement liés aux analyses plus ou moins
approfondies qu’en fait chaque maître (les divergences entre écoles
vont réellement d’un extrême à l’autre).
L’œuvre
de Krishnamurti est la seule qui explore dans sa totalité le
fonctionnement du psychisme humain sans se référer à une culture, une
religion, une œuvre ou un auteur antérieur. Pas de glose, pas de
commentaire, mais une étude détaillée et cohérente qui part de
l’observation du réel dont on peut dire qu’elle s’est déroulée dans un
état d’éveil absolu. De plus, Krishnamurti ne décrit jamais un de ces
états de conscience particuliers évoqués dans cet article. Toutes les
descriptions concernent le fonctionnement habituel de l’individu et
chacun peut donc vérifier à tout moment la justesse du propos. Il nous
montre sans détour la réalité ; et c’est bien la réalité qui fait
mal. C’est ce qui fait sa force et, à mon avis, sa supériorité.
Il
existe cependant chez Krishnamurti une notion qui peut gêner certains
lecteurs. À la différence du zen qui prétend s’accoupler sans heurt
avec toutes les religions, Krishnamurti signale que l’illumination
implique une remise en question, voire le rejet de la pratique des
rites religieux. Les croyants pratiquants risquent donc d’être
dissuadés de suivre son enseignement. Je souhaite :
1. Minimiser l’importance de cette divergence de vue en la portant à un
autre niveau d’analyse.
2. Permettre à tous, de s’enrichir d’une pensée de portée universelle
et absolument unique, en dépit d’une éventuelle friction entre les
idées.
D’ailleurs, tout le
monde reconnaît le dialogue comme étant la source de l’entente, de
l’harmonie. Le dialogue est donc primordial lorsque survient le
désaccord. Rompre l’échange quand une dissension surgit est donc
contraire à toute logique : si nous sommes d’accord, il n’y a rien
à dire, donc nous ne parlons pas ; si nous sommes en désaccord,
nous rompons immédiatement l’échange. Dans tous les cas le dialogue
disparaît ; c’est absurde !
Conscient néanmoins du risque de rupture sur une réaction de type
épidermique, voici quelques précisions utiles pour aplanir
l’obstacle :
-
D’abord, à la question « Dieu
existe-t-il ? », Krishnamurti répond : « Je ne sais
pas. » Et il explique : « Comment pourrait-on savoir si
une chose existe si on ne l'a jamais rencontrée ? Avez-vous
rencontré Dieu ? » Nous ne sommes donc pas dans une
opposition manichéenne.
-
Ensuite il dit lui-même être animé
d’un profond sentiment religieux, terme qu’il utilise dans son
acception profonde : « être relié ». Relié, bien sûr, à
l’humanité entière pour laquelle sa compassion est totale. C’est une
sorte de religion au-dessus des religions, comme hishiryo est
une pensée au-delà de la pensée. Mais c’est une religion sans rite.
-
Ajoutons que deux grands hommes
d’État ont fait appel à lui
à plusieurs reprises pour les éclairer sur
les conséquences humaines de graves décisions : John Fitzgerald
Kennedy qui était catholique et le Mahatma Gandhi inspiré par le
jaïnisme. Ces différences religieuses n’ont jamais interféré dans le
respect mutuel que se portaient ces trois hommes.
-
Pour finir, un ami m'a parlé d'un
curé catholique qui utilise alternativement comme livre de chevet la
Bible et Krishnamurti. Visiblement, sans lui poser le moindre cas de
conscience. Et n'oublions pas que, hormis les japonais eux-mêmes, ce
sont des moines chrétiens qui ont été les principaux vecteurs de la
pensée zen en Occident.
Le
bouddhisme est né de préoccupations humanistes qui ne peuvent laisser
indifférent.
Le zen a su conduire le bouddhisme vers une sorte de perfection :
rejet du superflu et épuration du concept.
Krishnamurti, en dépit d’une approche totalement indépendante du zen,
arrive à des idées comparables mais expurgées des dernières
contradictions véhiculées par le zen.
L’art
martial, on l’a vu, a tout à gagner dans une symbiose avec les
philosophies précitées. Je ne saurais trop vous recommander d’aller à
l’essentiel : art martial complet : karate-do et
goshin budo (d’autres possibilités doivent exister)
pour le corps ; Krishnamurti pour l’esprit. La grande difficulté
est de ne pas aborder les deux sujets indépendamment, comme deux
matières scolaires sans relation. C’est un grand reproche que je
formule à l’encontre de l’enseignement scolaire et universitaire qui ne
sait pas, ou mal, développer des ponts entre les apprentissages. La
connaissance utile établit des passerelles multiples qui potentialisent
chaque connaissance. Ainsi, le niveau général de culture est infiniment
plus élevé que la simple addition des savoirs. J’appelle connaissance
mosaïque la simple accumulation de savoirs sans liens : utile pour
le décorum de la conversation de salon.
Cependant,
si je trouve les propos de Jiddu Krishnamurti d’une éblouissante
luminosité, certains ont du mal à pénétrer dans les méandres de sa
pensée. C’est rarement le niveau intellectuel du lecteur qui est en
cause. En fait, Krishnamurti a l’art de mettre le doigt où ça fait mal.
Disons qu’il a même tendance à appuyer encore plus fort quand il est
précisément sur le point douloureux (il aurait été redoutable s’il
avait pratiqué un art martial utilisant les kyusho :
points vitaux). Face à cette
souffrance, le lecteur a trois issues :
1.
Fuir. De nombreux lecteurs referment le livre, le perdent, n’ont plus
le temps de lire, etc.
2. Ne pas comprendre. Sa pensée est d’une extrême complication !
Certains passages ne veulent rien dire ! C’est un mystique qui
délire ! etc.
3. Accepter la souffrance. Aller jusqu’au bout de l’épreuve et agir
car, parvenu à ce point, ce serait stupide d’avoir souffert pour rien.
Si
vous vous retrouvez dans les deux premiers cas, essayez de vous
documenter sur le zen. Des centaines de documents intéressants
existent ; vous n’avez que l’embarras du choix. Cependant vous
pouvez trouver de nombreux ouvrages qui traitent de la pensée de
Krishnamurti, qui l’éclairent, l’expliquent ou la commentent. Peut-être
est-ce une meilleure solution que de revenir au zen qui me séduit moins
que Krishnamurti (ce jugement de valeur n’engage que moi). Mais de
toute façon, si un jour vous décidez, après une approche en douceur et
quelque peu détournée, d’entrer dans le vif du sujet, il sera
nécessaire d’affronter enfin l’hydre à sept têtes.
Dernier
point : Krishnamurti ne propose aucun outil pour entrer dans notre
conscience. C’est pourquoi ceux du zen sont intéressants, même si c’est
la philosophie de Krishnamurti qui nous intéresse.
Refaire le Monde
La
voie que je vous suggère est difficile ; il ne peut en aller
autrement. Ceux qui croient arriver facilement à des résultats, quel
que soit le domaine, se fourvoient. Pour connaître la joie nous devons
produire des efforts et même souffrir :
-
Souffrance physique dans le dur
entraînement qui nous mène vers la maîtrise technique.
-
Souffrance psychologique lorsque
nous avançons sur le chemin de la connaissance de soi et que nous
découvrons nos illusions, la confusion de notre esprit, la dualité
artificielle du corps et de l’esprit, la véritable teneur de notre ego.
Actuellement,
vous trouvez le fruit amer ? Travaillez intensément sur votre
corps-esprit. Je ne peux pas vous garantir le goût et le parfum exacts
du même fruit dans cinq ou dix ans, mais dans tous les cas, si votre
travail a été sérieux, le fruit sera infiniment plus doux.
Pierre Mazeaud, aujourd’hui président du conseil constitutionnel,
disait, dans une formule hyperbolique, à l’époque où il réalisait de
magnifiques exploits en alpinisme (années 60) : « La France,
c’est cinquante millions de morts-vivants. » Notre pays comptait à
ce moment-là environ cinquante millions d’habitants. Certes, le trait
était un peu fort mais l’analyse plutôt juste.
De trop nombreuses personnes mènent des vies conformistes, ternes, sans
joie. Bien sûr, on fait « la fête » de temps en temps, un
exutoire est indispensable. La vie n’en reste pas moins un fardeau pour
cette majorité silencieuse.
Un petit nombre d’individus semble s’épanouir dans des activités
physiques, d’autres trouvent leur compte dans l’exercice intellectuel,
certains se nourrissent de philanthropie. Il est pourtant de notoriété
publique que la plupart des grands sportifs vieillissent mal, que les
intellectuels finissent en piteux état s’ils ont négligé leur corps et
que les philanthropes agissent souvent de façon désordonnée et parfois
gênante. Seuls quelques rares personnages mènent une vie rayonnante,
même à un âge avancé, car ils ont toujours vécu dans le respect de
l’harmonie de leur corps-esprit. Jiddu Krishnamurti, par exemple,
pratiquait chaque jour le yoga et était un adepte des longues
randonnées en montagne. Il est mort sereinement à 91 ans en 1986 peu de
temps après avoir achevé la rédaction de son « Dernier
Journal ».
De fait, nous constatons que l’action parcellaire n’aboutit jamais à un
résultat totalement satisfaisant. Développer une, deux ou plusieurs
qualités est excellent mais représente seulement une étape de la
réalisation du corps-esprit de l’homme total.
Presque
tous les jeunes veulent refaire le monde. À l’âge adulte, n’ayant pas
trouvé la solution, après quelques témoignages d’insatisfaction, chacun
rejoint les rangs du conformisme, un vieux rêve idéaliste enfoui dans
un recoin de sa conscience.
Je ne sais pas si nous nous réincarnerons ; partons plutôt de
l’hypothèse d’une seule existence. Mieux vaut donc ne pas la gaspiller
et concrétiser ce rêve de reconstruction du monde, car il en a bien
besoin. Or, aujourd’hui, nous avons la recette :
-
Mettez dans le récipient convenable
une bonne dose de travail sur le psychisme pour évacuer les
conditionnements. Ajoutez une mesure de culture physique (l’art martial
bien sûr, mais d’autres choix sont possibles) et arrosez copieusement
de culture intellectuelle. Agitez vigoureusement pour obtenir une bonne
liaison des ingrédients.
Trois
axes de travail qui convergent vers la réalisation de l’homme
« complet » et pourquoi pas « parfait », n’ayons
pas peur des mots. En tout cas, heureux. Et comment appelle-t-on un
monde peuplé d’une majorité de gens heureux ? Moi, je le nomme
« paradis ».
L’ego n’est pas philanthrope
Pour
aider, nous l’avons expliqué dans l’article « agression », il
faut en avoir les moyens. Or un individu qui véhicule des désordres
psychologiques ou embarrassé par un ego volumineux ne peut transmettre
que ses tourments. « Un cadeau fait toujours plaisir ! »
Voilà bien une affirmation péremptoire qui mérite examen : est-ce
toujours vrai ? Plaisir à qui ? Celui qui offre ou celui qui
reçoit ? Nous avons tous pu constater que l’achat d’un cadeau est
quelquefois une corvée, surtout quand une date impose son diktat.
Parfois les présents dérangent, irritent ou laissent indifférent celui
qui devrait se montrer heureux de la délicate attention dont il est
l’objet. Je suis atterré quand je vois quelqu’un qui veut absolument
rendre service, qui insiste, alors que sa proposition importune,
embarrasse et place la pauvre victime de cet élan généreux et maladroit
dans l’impossibilité de refuser par crainte de froisser.
Aimer, faire plaisir ou aider nécessite un esprit clairvoyant donc
débarrassé des méfaits de l’ego. Ainsi, dans un état de type hishiryo,
l’évidence s’impose sans effort, l’erreur est impossible. S’occuper des
autres oblige à s’occuper d’abord de soi pour être certain de ne pas
contrarier, d’atteindre vraiment le but que l’on s’est assigné. Dans ce
cas précis, commencer par se consacrer à soi ne sera donc pas de
l’égoïsme.
De
nombreux philosophes ont compris que la progression de l’homme passait
par la connaissance de ce qu’il est
réellement: Socrate, bien sûr, mais surtout Siddhartha Gautama qui
donna
naissance au bouddhisme puis au zen dont les méthodes de méditation
permettent d’entrer dans les tréfonds de sa conscience. Le dernier que
je connaisse (mais il rejetait en ce qui le concerne les appellations
« philosophe », « penseur », « gourou »
ou tout autre
qualificatif qui l'aurait éloigné de son statut d'homme accompli
soucieux du
bonheur d'autrui) et dont la réflexion me semble la plus aboutie
est
Jiddu Krishnamurti. Dans tous les cas, l’introspection débouche sur la
vision réelle de notre constitution profonde. Si notre méditation
révèle un tableau épouvantable, effrayant, terrible, mortellement
indigeste, alors, le choc émotionnel produit à cet instant
(satori ou illumination) entraîne immédiatement le vomissement,
certes douloureux mais salutaire, de tous les poisons que nous avions
durant des lustres confondus avec des denrées savoureuses (ce n’est pas
une méthode, il n’y a rien à faire ; c’est une conséquence
obligatoire du satori : le corps-esprit réagit
spontanément pour se purger).
Une
recommandation toutefois : ne pas sombrer dans le manichéisme avec
d’un côté les illuminés qui réalisent tout à la perfection et, de
l’autre, le reste de la population dans l’erreur perpétuelle. Un simple
effort de réflexion, une pichenette dans l’amoncellement des
conventions les plus grotesques doivent éviter de nombreuses bévues.
Une petite introspection met facilement en lumière que, dans la coutume
des cadeaux, dans l’empressement à se montrer serviable et
bienveillant, dans l’aide et le soutien proposés, apportés, voire
imposés, c’est en priorité l’ego du donateur qui exulte, parade,
s’hypertrophie. Dans ces conditions, il est impossible de se rendre
compte de la tristesse, du désarroi de celui qui a servi de
faire-valoir.
Heureusement, tout n’est pas toujours aussi noir. Certaines aides sont
efficaces, des dons font plaisir, la bienveillance peut rendre heureux,
mais, trop souvent la réalité est à mille lieues des apparences. Se
tourner vers autrui, il faut le répéter, c’est, avant tout, sortir de
son ego. Toute avancée dans la maîtrise de l’ego, toute progression sur
la Voie se traduisent par un gain de clairvoyance. Ainsi, le terme
philanthropie redore-t-il quelque peu son blason quand l’individu
(l’ego) cesse de faire reluire le sien.
Culture
physique (art martial et condition physique générale)
Entraînons-nous,
assidûment, intensément et intelligemment. Je désapprouve la méthode
japonaise universitaire qui enseigne le karaté sans la moindre
explication. Le but est purement gymnique et dans la mise en place
d’une discipline rigoureuse. Elle a malheureusement été propagée par
les instructeurs japonais qui enseignaient dans ce cadre universitaire
et reprise sans discernement dans de nombreux dojos occidentaux et même
japonais. Il y a eu malentendu, car aucun maître n’a prétendu que cette
approche du karaté représentait tout le karaté. Dans les clubs de ces
maîtres, la pratique est différente et, en fin de compte, proche de ce
que je vous propose. Je pense que l’apprentissage doit se réaliser dans
la compréhension profonde de la gestuelle afin de ne pas déconnecter
l’esprit du corps. Notre objectif n’est pas de fabriquer des robots
mais des individus complets. Trois phases dans cet apprentissage :
1.
Répétition inlassable de la technique avec l’esprit totalement investi
dans la conduite du geste (le travail universitaire japonais s’arrête
là) ;
2. Quand la forme est parfaite, répétition du geste avec disparition de
l’esprit
(mushin), mais surtout pas avec l’esprit ailleurs ;
3. Puis applications multiples avec partenaires (bunkai) pour
bien comprendre toutes les subtilités et la possibilité d’adaptation en
fonction d’événements imprévus, l’esprit devant être vif et clairvoyant
(hishiryo).
La
phase 3 ne débute pas forcément après les autres ; elle peut se
superposer à la phase 1 quand le geste est suffisamment précis et bien
sûr à la phase 2.
Mais,
si l’entraînement doit être sérieux, n’en faisons pas trop, car ce
serait au détriment des autres composantes de l’équilibre du
corps-esprit. La compétition a souvent cet effet pervers d’entraîner
l’athlète dans l’unique domaine de la performance physique. N’oublions
pas non plus la tendance indiscutable de la compétition à hypertrophier
l’ego, ce qui va à l’encontre de notre recherche. Ces conséquences ont
fort bien été illustrées par un dessin humoristique représentant un
athlète qui gonfle son biceps : à la place du muscle apparaît la
forme d’un cerveau.
Je ne pense pas qu’il faille interdire la pratique compétitive, mais il
faut se garder de ses excès (entraîneurs et parents doivent être
particulièrement attentifs).
Certains
recherchent dans le sport un simple défouloir afin de transpirer un
maximum. Objectif : évacuer le stress de la journée de travail.
L’idée n’est pas foncièrement critiquable, malheureusement cette
pratique nous ramène dans la dichotomie corps et esprit que nous
voulons justement éliminer. Je comprends aisément que tous n’aient pas
le désir de s’engager dans la Voie. Au sein même du Goshin Budokai,
certains pratiquent de cette manière et je l’accepte sans regimber.
Cependant, il est de mon devoir de proposer une recherche plus profonde
à laquelle chacun peut s’atteler si cette volonté se manifeste.
Un
dernier écueil peut perturber la répartition de notre temps entre
l’entraînement, la culture et le travail sur l’esprit. S’il peut y
avoir des moments où deux, voire les trois domaines de perfectionnement
se confondent, il faut parfois les exercer séparément. Le temps accordé
à l’entraînement et à la culture générale ne déclenche pas de
polémique. Par contre la méditation, peu importe la position, a une
curieuse ressemblance avec la paresse puisqu’on donne l’impression de
ne rien faire. Ne tombons surtout pas dans cette erreur d’appréciation
(souvent véhiculée par l’entourage) ! Perfectionner le
fonctionnement de son esprit est primordial, or cela demande du temps,
beaucoup de temps.
Culture générale
La
télévision n’amène rien ou presque : regarder la télévision est
une attitude passive qui n’est guère enrichissante (en regard des
statistiques, quel gaspillage de temps !). Quand l’émission est
bonne, nous en tirons, au mieux, de la culture mosaïque.
Pour être efficace la culture doit être dynamique : connaître la
France peut s’envisager avec des ouvrages de géographie, d’histoire,
artistiques, etc. Cette culture passive risque de ne pas s’imprimer
très profondément et d’être relativement éphémère (que retenez-vous de
vos lectures ?) On en
apprend beaucoup plus et de façon durable en parcourant la France, en
sillonnant ses routes et ses chemins, en visitant ses édifices et ses
musées, en arpentant ses escarpements, en naviguant le long de ses
côtes. Et plus les efforts seront marqués, plus la trace sera
indélébile : faire la traversée de la Meije, dans le massif des
Écrins, se révélera plus utile que le même temps passé à compulser des
livres sur la géologie et la structure de cette montagne. Visiter les
monuments de Paris est une leçon d’histoire plus prégnante que
d’apprendre par cœur le résumé de dix lignes qui clôt un chapitre de
l’histoire de France. Il n’est pas proscrit d’ouvrir ces documents mais
comme supports, compléments à la véritable étude, vivante, active.
Inutile
de rappeler aux pratiquants d’arts martiaux que le bénéfice tiré d’un
stage avec un grand maître varie en fonction de l’implication du
budoka : spectateur, l’enrichissement est presque nul ;
participant, la corrélation est directement liée à l’intensité de
l’activité. Dans le cas présent, j’évoque, plus que l’apprentissage
technique, les grands concepts que le maître va développer et qui
serviront de support aux futurs entraînements.
Je ne suis pas un spécialiste du zen. J’ai donc dû trouver une large
documentation sur le sujet. Cependant, j’en ai beaucoup plus appris en
écrivant cet article qu’en lisant les livres et les pages web qui m’ont
servi de support. Lire se rapproche trop d’une activité passive ;
écrire est une action dynamique dont l’empreinte mnémonique est
infiniment plus profonde.
Le dernier koan
Nous
croyons compliquées de nombreuses choses finalement très simples. Pour
provoquer l’émergence de cette simplicité, il suffit de vider son
esprit de ce monstre bien-aimé baptisé suivant les chapelles
« moi » ou « ego ». Cela paraît simple et pourtant,
quand nous nous engageons dans cette voie, nous découvrons un chemin
encombré d’embûches. C’est pourquoi quelques outils appropriés sont les
bienvenus : « mokuso » (méditation en zazen,
seiza ou dynamique), « kufû »
(application dans les tâches ordinaires) et « koan »
(énigmes pour provoquer l’éveil). Mokuso et kufû sont
faciles à comprendre
et peuvent être mis en œuvre sans grandes difficultés (du moins en
apparence). Le koan, lui, est d’emblée hermétique ; c’est
la
raison pour laquelle nous nous sommes concentré sur cet outil
particulier du travail sur soi.
Ces trois instruments de travail du psychisme ne doivent pas occulter
que l’émergence de l’homme total, caractérisé par une entité unique et
non divisible, nommée « corps-esprit » dans cet article,
s’articule autour de trois axes :
1.
Maîtrise de sa psychologie, essentiellement par évacuation des
conditionnements, les qualités d’altruisme et de philanthropie étant de
simples conséquences de ce travail préalable.
2. Culture générale, indispensable à de nombreux égards, qui doit
s’acquérir de la façon la plus dynamique possible.
3. Culture physique, l’art martial ayant l’avantage d’offrir un peu de
sécurité dans notre environnement turbulent.
Si
nous mettons en œuvre ce programme en prenant soin de ne négliger aucun
des trois domaines précités, nous nous améliorerons, c’est absolument
certain. Jusqu’où irons-nous ? Peut-être deviendrons-nous un
expert, un sage ou un maître ! Quelque divine surprise nous
accueillera-t-elle au bout du chemin ? Nous n’en savons rien.
Mais, en dépit de l’opinion des grincheux, défaitistes et autres
zombies, existe une certitude : quand un homme s’améliore, c’est
l’humanité qui progresse. Notre rêve de paradis qui devient
réalité ! Certes, des chausse-trappes nous déstabiliseront, mais
le budo est une école de patience. D’énormes efforts nous
attendent, mais nous savons lesquels et nous disposons des outils
adéquats : art martial, culture, méditation, kufû et koan.
Certains outils, il est vrai, les koan surtout, sont
déroutants, mais, finalement, se
dérouter est bien la meilleure solution quand on a compris qu’on fait
fausse route en suivant le gigantesque troupeau des zombies.
Prenons donc notre bâton de pèlerin et engageons-nous sur le chemin que
nous nous sommes tracé. Des découvertes et des rencontres passionnantes
nous y attendent. Comme le suggère le dernier koan que je
soumets à votre sagacité.
-
Si tu rencontres le Bouddha,
donne-lui vingt coups de bâton.
Bien
que ce texte soit d’inspiration strictement personnelle, des
définitions, explications ou historiques ont été empruntés à divers
auteurs. Qu’ils soient donc remerciés de leur collaboration indirecte à
cet article.
Je conseille la découverte de Jiddu Krishnamurti avec un petit
fascicule qui compile diverses conférences dont le choix est bien
représentatif de sa pensée : « Se libérer du connu ».
Mais une visite sur les sites Internet d’Amazon, Alapage ou Fnac (tapez
Krishnamurti dans la barre de recherche) vous mettra en présence d’une
masse colossale de documents passionnants.
Sakura
Sensei

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