LA LETTRE DU GOSHIN BUDOKAI N°33 Hiver 2015
FONDAMENTAUX

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Les budo (arts martiaux) japonais, pratiqués avec
un sabre, un bâton ou à mains nues sont fondamentalement de même
nature. Au-delà d’une technique spécifique à chacun, ils se rejoignent dans une
recherche destinée à découvrir le secret d’une harmonie totale,
personnelle et relationnelle, physique et spirituelle, seule voie réellement efficace
pour éviter les conflits ou les résoudre sereinement. En dernier recours,
ils sont tous susceptibles d’éliminer sans détour un ou plusieurs
agresseurs ; seuls les outils changent. Pour les non-initiés, cette cohabitation du
pacifisme et du bellicisme est un paradoxe, mais, en général, ce
jugement disparaît après quelque temps de pratique bien comprise. Impossible
donc de les aborder comme une simple activité ludique ou comme un défouloir où
chacun vient décharger les rancœurs accumulées au long de journées harassantes. Les
moyens physiques et techniques constituent la partie immédiatement
perceptible, et sans doute pas la plus importante, de cette recherche qui va concerner
la totalité de l’être, de son existence et de ses potentialités. Le budo
(l’idéogramme bu, représenté par des lances croisées, est
parfois traduit « arrêter l’agression », mais la
signification « guerre » est plus conforme à l'étymologie et do veut dire
« voie ») est une voie privilégiée - il
en existe d’autres - car elle touche à l’essence de la vie et
permet d’apprivoiser sereinement l’idée de la mort. La technique qui autorise
de tels objectifs ne peut être grossière ; elle est forcément d’une
extrême subtilité en dépit d’une apparente simplicité, gage d’une véritable
efficacité. Plusieurs siècles ont été nécessaires à son élaboration ; comment
pourrait-on l’assimiler en quelques mois ?
Dans le cadre d’un entraînement régulier et de qualité - au moins deux entraînements
par semaine au dojo agrémentés d’une bonne dose de travail
personnel -, une certaine efficacité peut parfois
s’observer en quatre ou cinq ans, mais une vingtaine d’années est
nécessaire pour qu’un budoka atteigne son summum physique et technique,
ces deux aspects évoluant dans une étroite dépendance. Certes, il arrive de
découvrir des astuces ou des principes techniques après trente, quarante ou
cinquante ans de pratique, mais l’essentiel est en général acquis dans les vingt
premières années. Suit un palier, de durée variable, et, inéluctablement en dépit
d’un entraînement régulier, une lente érosion des capacités athlétiques qui
affecte la maîtrise du geste : moins de souplesse, d’aisance, de force, de
vitesse, de souffle, etc. Pourtant, la patine de l’âge ne sera pas une
fatalité si quelques aménagements sont judicieusement mis en œuvre.
Quand la condition
physique s’altère, certains s’entêtent à réaliser les mêmes
performances que naguère. En général cela aboutit à un constat d’échec puis un abandon
pur et simple de la pratique. D’autres, plus subtils adaptent leur gestuelle à
ce déficit de vitalité, adoptent de nouvelles tactiques, délaissent la
performance athlétique et deviennent de meilleurs techniciens. S’ils y ajoutent une
optimisation de leurs fonctions cérébrales, ils peuvent compenser
l’érosion de leur dynamisme, voire s’assurer une réelle progression de leurs
compétences martiales. Nous avons déjà exposé l’immense potentiel de
perfectionnement, accessible à tout âge, conféré par la maîtrise des
différentes facettes de l’esprit. Pour rappel : une compréhension
intuitive et immédiate de la psychologie humaine dans les rapports
d’hostilité ; une juste perception de la réalité grâce à une
éradication des conditionnements ; la capacité de dominer sereinement toute
forme d’émotion et l’accession à des états de conscience supérieurs (mushin,
mushin no shin et kensho). L’image du vieux maître invincible,
certes souvent exagérée dans les romans et les films
mais non dénuée d’éléments tangibles, est certainement la principale incitation
à s’engager dans cette enthousiasmante et difficile recherche
- difficile, car elle remet en question de
nombreuses certitudes. D’ailleurs, ce travail sur les différents
domaines de l’esprit doit commencer dès les balbutiements techniques du néophyte
puisqu’une vie entière est rarement suffisante pour le mener à son terme, sauf
dans le cas d’un satori (illumination, éveil), loterie à laquelle les
gagnants sont rares.
Cependant cette construction de longue haleine doit reposer sur
des bases solides : fondements éthiques et philosophiques pour
déterminer précisément la teneur et l’ultime finalité de son art martial, mais
également fondements techniques mûrement réfléchis pour ne pas construire un
édifice prétendument grandiose sur le sable d’éléments erronés ou incompris.
Or, il est consternant de voir trop souvent des yudansha (ceintures noires)
véhiculer quantité d’aberrations ou de maladresses techniques indignes
d’un grade largement inférieur. Des velléités de perfectionnement de
l’esprit peuvent-elles obvier à une accumulation d’erreurs techniques ?
Non, évidemment ! car la recherche de perfection technique est la voie
qui doit permettre à l’esprit de s’élever. L’inverse ne fonctionne pas ;
personne ne devient performant dans un budo en compensant un travail
technique insuffisant ou négligé par une pratique assidue du mokuso (méditation). Tout
geste erroné ou inadapté est la preuve d’une incompréhension. Rien
d’inquiétant sur un mouvement isolé ou chez un débutant, mais si les erreurs se
multiplient chez un yudansha, c’est le signe d’une grave déroute de l’esprit et
la certitude d’une médiocrité irrémédiablement installée. C’est pourquoi
chacun doit disséquer le contenu de ce qui lui est transmis afin d’en
appréhender toutes les subtilités : condition sine qua non pour parvenir à une
relative perfection.
Un art martial authentique - par
opposition aux synthèses miraculeuses qui poussent comme les mauvaises
herbes - n’est pas une simple accumulation de techniques piochées
dans des sports de
combat hétéroclites ; il recèle une indiscutable cohérence
pratique, éthique et philosophique. Les principes fondamentaux qui le régissent
doivent donc constituer le guide qui conduira la recherche du budoka et
lui évitera de s’égarer. Dans de précédents articles, nous avons
indirectement abordé ce thème. Cependant, il est d’une telle importance qu’il mérite
un examen approfondi. Toutefois, il serait vain de vouloir établir une
liste exhaustive de ces fondamentaux ; ils sont trop nombreux et surtout
trop liés à l’analyse que chacun fait de sa pratique. Nous nous arrêterons
donc à ceux qui présentent une certaine universalité.
Le mokuso : à l’origine du budo.
Mokuso est la méditation silencieuse en seiza (sei
= pur ou droit ; za = s’asseoir) que l’on effectue au
début et à la fin d’un cours d’art martial. Elle est directement issue du zen qui
poursuit un objectif d’accomplissement de l’être dans une simplicité dépouillée de
tout artifice. Des notions comme l’efficacité, l’esthétique,
l’épanouissement, l’harmonie sont, pour l’adepte du zen, des conséquences de
l’élimination du superflu : pureté de l’esprit et pureté du geste.
Cette position à genoux, assis sur les talons, dont on
trouvera la description dans de nombreux ouvrages, plus que comprise
intellectuellement, doit avant tout être sentie comme juste quand on a
réussi à évacuer toute tension ou crispation parasite. À ce stade de perfection,
il est possible de la maintenir sans fatigue ni douleur durant plusieurs
heures. On acquiert ainsi une perception précise du système musculo-squelettique,
des répercussions d’une modification minime de la position, des liaisons
entre les différents segments et des influences parfois surprenantes qui peuvent
détruire l’équilibre de l’ensemble. De plus, l’absence de contrainte extérieure
permet de percevoir plus profondément le cycle respiratoire, le travail
cardiaque, la circulation sanguine et de nombreux détails physiologiques - mieux
se connaître est toujours un
progrès. Le ki, ce concept issu du taoïsme presque impossible à
traduire - le plus souvent : souffle vital ou
énergie fondamentale - comme à mettre
scientifiquement en évidence, peut enfin circuler librement. Même s’il
n’en comprend pas la nature ou l’origine, l’adepte du dojo sent bien cette
enivrante irradiation qui le traverse quand il a levé toutes les barrières
physiques et mentales qui faisaient obstacle. Car l’esprit aussi doit participer au
processus en se mettant au diapason du corps. Il incombe donc au budoka,
après avoir adopté la position libératrice des tensions musculaires, de
trouver comment rendre son esprit disponible et efficace ; dans la
quiétude du mokuso
d’abord, puis, ultérieurement, dans l’adversité la plus agressive. La
plupart des adeptes découvrent vite le cœur du problème : le bavardage
quasi incessant du cerveau, autrement dit la pensée. Pensée qui, lorsqu’elle
n’est pas dirigée et constructive dans le cas de la résolution d’une
difficulté, encombre inutilement l’esprit, lequel est incapable de gérer
correctement deux
tâches importantes et conscientes simultanément. Par exemple, la
concrétisation verbale d’une idée originale, la remémoration d’un ancien souvenir,
l’agitation cérébrale liée à une émotion ou l’observation analytique mobilisent en
partie les mêmes circuits cérébraux et entrent donc en conflit quand on tente
de tout faire en même temps. Il faut libérer l’esprit de toute pensée parasite,
non opportune ou émotionnelle, le rendre extrêmement réceptif aux
informations transmises par les sens sans que s’amorce la moindre réaction
intellectuelle ou
psychologique qui obscurcirait cette communion avec la réalité. Ainsi,
avec l’expérience, les perceptions s’affinent et, l’esprit acquérant une
plus grande disponibilité, la réactivité s’aiguise.
Parvenu à ce stade, l’interdépendance du corps et de
l’esprit devient manifeste. En effet, pendant le mokuso, la
moindre pensée détruit l’équilibre du corps, induit des crispations et,
inversement, toute tension musculaire crée une gêne qui encombre l’esprit.
Progressivement, l’adepte ne ressent plus corps et esprit comme deux éléments séparés
mais comme deux aspects d’une même entité. Celui-là vient de donner naissance à
son corps-esprit. Cependant, cette qualité de perception et cette
disponibilité de l’esprit obtenues dans la quiétude du seiza doivent se
transposer dans l’ensemble de la pratique au dojo. Cela ne se fera pas en un jour,
mais la patience est une des principales qualités requises pour devenir un vrai
budoka. Lors des kumite, le corps-esprit va, grâce aux nouvelles
dispositions acquises durant le mokuso, lentement mais sûrement, s’élargir
et intégrer des éléments qui appartiennent à l’adversaire. C’est ainsi que
les plus avancés dans cette recherche s’approprient des pans entiers de
l’esprit de l’adversaire totalement inaccessibles aux néophytes : son ki,
ses intentions, ses craintes, tout ce que l’ego de celui-ci projette et
qu’un esprit purifié peut accueillir. Nous n’entrons pas dans l’ésotérisme
mais dans un fonctionnement optimisé du budoka. Cette extraordinaire
disposition de l’esprit ne peut se borner au dojo ; c’est toute la vie de
l’adepte qui s’illumine d’un nouveau jour. Le bujutsu (jutsu =
technique) devient, avec l’intégration de cette composante corporo-spirituelle, un
budo, une voie d’épanouissement aboutissant à une efficacité martiale
largement transcendée. Cela fut compris par les samouraïs japonais qui
incorporèrent le zen à leur pratique martiale dès la fin du quatorzième siècle,
conscients du fantastique apport de cette nouvelle philosophie en termes de lucidité,
sérénité et efficacité.
L’étiquette : la grandeur du samouraï.
L’art martial n’admet pas les voyous. À mains nues
ou avec un sabre, le budoka confirmé possède le pouvoir de
donner la mort ; comment pourrait-on confier cette responsabilité au premier
venu dont la probité n’est pas assurée ? Durant
les 18e et 19e siècles à Okinawa, un maître
enseignait à quelques rares disciples sévèrement sélectionnés, mais lors de la
diffusion du
karaté dans les écoles et les universités au 20e siècle, il
fallut instaurer des garde-fous pour éviter les dérives. Le plus flagrant
résida dans la transformation de l’art martial en gymnastique - d’où
l’utilisation devenue
traditionnelle du terme karaté, nom de la technique, et non karate-do,
nom de l’art martial. Cependant, à l’époque, certains maîtres ne
cautionnèrent pas cette démarche et continuèrent à diffuser un vrai budo à
des adeptes triés sur le volet, ce qui évita la disparition prématurée du karate-do.
Ce recrutement hyper sélectif n’a plus guère cours dans les dojos qui
proposent un authentique budo de nos jours. Hormis le discernement et la
vigilance du sensei et des dirigeants, deux méthodes classiques mais pas
exclusives permettent néanmoins d’éliminer la majorité des
indésirables :
d’une part, des entraînements intenses, fatigants, parfois fastidieux
liés à des efforts intellectuels non négligeables pour comprendre les
subtilités afférentes à l’art ; d’autre part l’obligation de respecter une
stricte politesse et un cérémonial figé. Deux particularités, effort et
contrainte, qui
rebutent la lie de l’humanité. Pourtant, ce n’était pas le but
poursuivi initialement : l’entraînement était soutenu et rude pour atteindre
la perfection ; l’étiquette était la marque d’une noblesse que la
caste des samouraïs, dont la terrible efficacité est légendaire, situait
au-dessus de
l’aristocratie. Voilà donc les raisons qui poussent le vrai budoka
à respecter une étiquette qui reflète le noble idéal du samouraï.
Certes, les bushi
(guerriers) d’Okinawa, adeptes du tode devenu plus tard le karate,
se sont toujours heurtés aux samouraïs japonais qui leur ont imposé des
contraintes draconiennes pendant plusieurs siècles, mais ils ont su,
comme ils l’avaient fait avec les apports chinois, intégrer certaines
caractéristiques japonaises et adapter leur pratique martiale pour la rendre plus
efficace et l’élever spirituellement. De fait, ils sont souvent parvenus avec leurs
outils agraires et parfois même à mains nues à résister au terrible sabre
nippon. En 1879, l’île d’Okinawa est devenue une préfecture japonaise et
l’étiquette déjà
présente dans les arts martiaux japonais a peu à peu déteint sur celle
du tode plus proche des coutumes chinoises mais sans doute pas moins
rigoureuse. Quand le karate s’est exporté au Honshu, l’île principale du Japon,
l’étiquette nippone fut définitivement adoptée - à n’en pas douter
une quasi-obligation, à l’instar de l’utilisation de noms japonais pour
désigner les kata en lieu et place du chinois, pour convaincre le
Butokukai d’accepter le karate comme nouvel art martial officiel. À
l’heure actuelle, elle représente un des piliers caractéristiques d’un
véritable budo.
L’étiquette s’exprime avec sérieux, respect,
profondeur mais sans obséquiosité. L’oublier, ne serait-ce que quelques
instants, expose à des dérives fâcheuses ; faut-il rappeler la
dangerosité des techniques du karate-do ? C’est pourquoi aucun
enseignant raisonnable ne tolère un quelconque relâchement dans son dojo. Un dojo,
lieu (jo) où on étudie la voie, est indifféremment un lieu de culte ou un local
d’entraînement technique ; dans tous les cas la pratique doit
élever spirituellement. Un cérémonial et des règles strictes y sont respectés.
Avant d’entrer dans un dojo, on quitte ses zoori (sandales
traditionnelles japonaises), puis on salue debout : ritsurei. Le même
salut se répète en sortant, lorsqu’on invite un partenaire pour un exercice et
quand on le quitte. Le début et la fin d’un kata sont ponctués d’un ritsurei ;
ce n’est pas l’éventuel jury qui est honoré, mais les adversaires
imaginaires qui nous permettent de livrer un combat d’anthologie. Au début et à la
fin d’un cours on salue en position seiza : zarei. Cela
permet de se mettre dans l’état d’esprit qui sied à la pratique d’un budo,
presque une forme de religiosité : le budoka s’engage sur la voie
qui, de sa condition de béotien, le conduira à révéler le divin qui est en lui.
Cette accession à une condition supérieure fait évidemment penser au parcours
personnel du Bouddha, initiateur du bouddhisme indien, qui connut
l’illumination au 6e siècle avant notre ère, ou de
Bodhidharma, à l’origine du chan chinois (zen au Japon) onze siècles plus
tard. Entrer dans un dojo d’art
martial, c’est vouloir s’élever techniquement et spirituellement. L’un
ne va pas sans l’autre.
L’impérative répétition des techniques de base.
Les débutants admettent volontiers l’apprentissage
répétitif des bases du karaté, mais, arrivés au niveau du premier kyu
ou du premier dan, quand commence le travail des kata
supérieurs ou la préparation au shiai (combat arbitré) pour espérer figurer
dans les finales des compétitions en vue, la motivation pour le perfectionnement
de ce socle de l’art martial s’érode chez certains ; des yudansha
ne daignent même plus lui accorder la moindre attention. C’est regrettable
car cela traduit une incompréhension des fondements du budo.
Les techniques de base, telles qu’on les rencontre
dans les kata ou les kihon élémentaires, sont souvent
comprises comme des éducatifs nécessairement aménagés, donc très éloignés de la
véritable efficacité en combat. Examinons cette hypothèse soutenue par de
nombreux experts et interrogeons-nous : quel type de combat évoquent-ils et
pour quelle efficacité ? La compétition kumite, c’est
indéniable, est quasiment leur seul critère d'évaluation. Indiscutablement, le kata
ne ressemble pas au shiai, car
les règles d’arbitrage bouleversent totalement le sens de l’art,
interdisent les techniques efficaces à cause de leur dangerosité, bannissent la
plupart des actions qui ne relèvent pas de l’atemi avec le pied ou le
poing, incitent aux actions
spectaculaires, car elles rapportent plus de points et, déplorable
conséquence, induisent des comportements qui seraient suicidaires en défense
personnelle. Mais s’il s’agit de combat réel, dans l’esprit du budo ou de la
défense personnelle, alors je ne vois pas pourquoi ces techniques ne
fonctionneraient pas puisqu’elles sont un idéal technique. Avec bien sûr l’adaptation
indispensable à la réalité de l’instant, mais sans subir de
transformation notable. N’oublions pas que les techniques acquièrent leur maximum de
puissance dans leur forme basique, or à toujours travailler des formes
prétendument évoluées, leur pouvoir de mise hors de combat est sérieusement
hypothéqué. D’ailleurs, une technique supérieure ne repose pas sur la déformation
d’une technique de base, mais sur l’imbrication de deux d’entre elles, des
tempi inhabituels, des désynchronisations par rapport aux déplacements, des
enchaînements extrêmement rapides ou une utilisation différente de
celle suggérée par son nom. J’ai ainsi souvent démontré la pertinence et
l’efficacité réelle de techniques comme gedan barai ou oi zuki
exécutées dans le respect absolu de la forme fondamentale, mais avec des finalités
qui s’éloignent sensiblement de ce que suggère leur dénomination.
Pour en arriver là il faut répéter
les techniques des milliers de fois en gardant l’esprit largement
ouvert. Une séquence de karaté, mouvement, ensemble de mouvements ou partie de
mouvement, est utilisable en défense personnelle quand elle répond sous forme de
réflexe à une sollicitation particulière. Cela demande beaucoup de temps et
d’efforts qui peuvent sembler fastidieux à ceux qui abordent le karaté de façon
superficielle. Quand les bases sont vraiment maîtrisées, on dispose
d’une merveilleuse mécanique. Comme toute mécanique, elle a besoin d’être
périodiquement révisée si on souhaite préserver ses performances.
Cependant, ces répétitions d’un geste maîtrisé que l’on s’efforce de toujours
mieux sentir accompagnent magnifiquement le modelage d’un mental d’acier, or tout ce
qui orbite autour de l’esprit s’avère essentiel lorsque la violence nous
surprend.
Le kihon, c’est la recherche du geste pur, sans appel,
fulgurant et débarrassé de toute fioriture. Perfection technique et pureté de
l’esprit. Voilà la voie royale pour découvrir la constante pertinence des
techniques de base dans les circonstances les plus variées et, souvent, avec des
applications inédites qui surgiront spontanément sans même les avoir précédemment
imaginées.
Les kata de base subissent souvent le même
ostracisme : de nombreux gradés n’accordent leur considération qu’aux kata dits
supérieurs - et encore ! essentiellement à ceux
qui permettent de briller en compétition ou d’obtenir un grade.
Démarche cohérente dès lors que leur activité est strictement sportive ou
motivée par la fierté d’arborer un joli nombre de dan, mais si elle se teinte
d’un peu de budo, alors le retour aux fondamentaux est incontournable.
Le constat est flagrant : tout progrès dans la forme, la compréhension et les
applications des Heian ou Pinan induit des améliorations dans les kata
supérieurs ou les kumite. Certes pas les améliorations
esthétiques recherchées par les compétiteurs, mais de vraies améliorations
martiales. Et puis un kata comme Heian-shodan, dédaigné par la caste des
parvenus du karaté, est d’une richesse conceptuelle fascinante. Je défie la plupart
des experts de présenter plus de bunkai du kata Unsu, un des kata
de référence des compétiteurs, que je peux en dévoiler sur la base de
Heian-shodan qui contient beaucoup moins de techniques différentes.
Répéter inlassablement les bases, c’est comme entretenir le tranchant de son
sabre : bénéfique pour l’efficacité, indispensable pour la
quiétude de l’esprit.
La force n’est pas la voie.
Ce qui, idéalement, devrait caractériser
l’espèce
humaine est l’inclination à privilégier l’usage de son cerveau sur
celui de ses
muscles. Comme le budo s’inscrit dans la droite ligne des
courants
humanistes, on imagine aisément la prépondérance qu’il accorde à
l’esprit sur
la force brute. Certes, il est bon d’entretenir son corps, de le rendre
souple,
agile, endurant et puissant ; l’art martial dans ses formes
traditionnelles y pourvoie largement, mais, dans des situations qui
peuvent
potentiellement dégénérer au-delà du tolérable, il faut s’efforcer de
limiter
l’usage de la force en mobilisant toutes les ressources de l’esprit. Si
la
force doit malgré tout être utilisée, la technique d’un budo,
plus que
les muscles, doit pouvoir produire celle qui est nécessaire. Ainsi, des
méthodes simples permettent de se débarrasser d’une saisie, voire de
l’exploiter à son avantage. Une attaque violente peut s’annihiler grâce
à une
simple esquive. S’il est nécessaire de projeter, de bons ancrages au
sol alliés
à de judicieux leviers sauront déséquilibrer les adversaires les plus
coriaces
sans effort disproportionné. Finalement, force et puissance sont
rarement
indispensables. Un seul instant dans la pratique du karaté, très bref,
exige de
libérer un maximum de puissance : le kime lors de l’impact
de l’atemi.
La puissance de celui-ci résulte de l’énergie cinétique produite (1/2mv2 :
comprendre qu’un gain de vitesse est beaucoup plus important qu’une
augmentation de la masse mise en mouvement) et de l’arrêt brusque de
l’action
dans une attitude solide permettant à l’onde de choc de se diffuser
dans le
corps de l’adversaire. N’importe qui, pour peu qu’il fasse preuve d’un
bon
tonus et d’une maîtrise technique suffisante peut mettre hors de combat
un
individu accusant deux fois son poids. En dehors de ces phases de
production et
de diffusion de l’énergie dans la cible, les muscles doivent être
détendus.
Aucune crispation parasite ne doit s’installer de façon prolongée.
Malheureusement, l’apprentissage des premiers gestes du karaté intègre
généralement la recherche du kime - « il faut frapper
fort » comprend le débutant -, ce qui induit une tendance
à ressentir sa force, erreur difficile à conceptualiser pour les
néophytes et
même souvent à des niveaux avancés. Cette illusion de puissance est
fournie par
la contraction des muscles antagonistes contre lesquels il faut lutter
- d’où la sensation de force - et qui freine le mouvement. La
puissance
doit reposer uniquement sur la vitesse et le respect de la forme. Si
vous
appliquez ces consignes, lors d’une contre-attaque réussie, vous ne
vous
sentirez pas fort, mais votre violent agresseur ne sera plus en état de
commenter votre efficacité.
Cependant, le karaté ne repose pas seulement sur les atemi et
le kime qui les finalise ;
déplacements, esquives,
feintes, enchaînements rapides, saisies, projections, contrôles et
luxations
exigent une grande disponibilité musculaire pour atteindre la vivacité
et la
fluidité désirées. La moindre tension qui perdure agit comme un frein.
Il faut
apprendre à contracter uniquement les muscles utiles à un mouvement et
à les
décontracter aussitôt le geste accompli. On veillera, en particulier, à
bien
relâcher les épaules en les gardant toujours basses et au même niveau.
De plus,
l’efficacité peut se dispenser totalement de la force et s’exprimer
grâce à la
vitesse et à la précision de la technique. De quelle force avez-vous
besoin
pour mettre un doigt dans l’œil de votre agresseur ?
Dans les budo sans arme, beaucoup de gens
corpulents, aptes à supporter quelques chocs, se servent de leur masse
pour
bousculer leurs partenaires d’entraînement plus légers. Ils utilisent
ainsi à
leur avantage les règles du dojo qui imposent de respecter l’intégrité
physique
de ses adversaires, ce qui les met à l’abri d’une blessure ou d’un K.O.
et leur
permet de faire croire à une hypothétique supériorité. En réalité, ceux
qui
utilisent ce pitoyable stratagème sont le plus souvent incapables du
moindre chi-mei
(technique décisive, voire mortelle) car, manquant de vitesse,
l’énergie qu’ils
développent lors d’un impact est dérisoire et leur lenteur ne leur
permet pas
de surprendre l’adversaire. Un banal kin geri ou un simple mais
précis nakadaka ippon ken à la gorge les remettra dans le droit
chemin le jour où ils croiront pouvoir imposer leur
niaise arrogance à une personne peut-être frêle mais déterminée.
L’utilisation exclusive de la force est l’apanage
des brutes ; elle témoigne de leur incapacité à assimiler une
technique.
La subtilité signe l’intelligence, seule voie efficace pour affronter
les pires
calamités.
Les détails : l’essence même du budo.
« À peu près » n’existe pas en
art
martial. Lors d’une agression violente où l’intention létale est
avérée, soit
vous faites exactement ce qui convient, soit vous êtes mort. En
s’entraînant
régulièrement à affronter l’épreuve ultime, le budoka élève son
esprit
et prend conscience qu’un détail négligé peut lui être fatal. Reprenons
l’exemple du kime dont nous venons de parler. Même si
certains le
considèrent comme un simple « détail » de la pratique du
karaté au
point même de le négliger, il est un des piliers sans lesquels notre
art
martial perd sa spécificité et une grande part de son efficacité. Il
paraît
donc opportun de s’y arrêter. On découvrira ainsi qu’il dépend lui-même
de
nombreux paramètres, tous d’une importance majeure ; un seul
manque et
tout l’édifice s’effondre. Toute la pratique du budo est ainsi
jalonnée
de « détails » dont la maîtrise est indispensable pour
prétendre à
une véritable efficacité. Les kata étant la base du karate-do,
ils sont la principale source d’éléments apparemment insignifiants qui
vont se
révéler des jalons essentiels du savoir-faire martial.
Le karatéka qui apprend, répète et perfectionne ses kata
doit impérativement être attentif aux subtilités et finesses, aux
éléments
cryptés, aux techniques à usages multiples, aux paramètres qui
concourent à
l’équilibre, à l’ancrage au sol, à la précision et à la vitesse, aux
astuces
psychologiques, aux informations tactiques et stratégiques, aux
messages
éthiques et philosophiques. Autant de « détails » qui vont
donner du
sens et de la profondeur à des exercices trop souvent analysés de façon
simpliste. L’efficacité de la technique n’apparaîtra jamais sans une
conscience
aiguë de tous les paramètres qui la conditionnent ; et ils sont
nombreux.
Toutefois, en référence à l’historique de la
diffusion du karaté, une question cruciale s’impose : peut-on
apprendre et
travailler les kata sans les explications et la compréhension
qui
accompagnent les innombrables « détails » rencontrés dans ces
exercices codifiés ? Le karaté d’Okinawa s’est implanté dans les
universités japonaises sous une forme édulcorée et sous le vocable de
gymnastique avec cette pédagogie purement imitative, sans la moindre
explication ; c’est ainsi qu’il s’est répandu en occident.
Certains enseignants
poursuivent cette méthode, soit par respect d’une prétendue tradition,
soit par
mimétisme, leur apprentissage s’étant déroulé de cette manière, soit
par
incompétence, transmettre sans explication étant infiniment plus simple
quand
on n’a rien compris soi-même. Cependant, si cette méthode pédagogique
du
« faites comme moi » recèle quelque pertinence pour enseigner
un
geste purement gymnique, il n’en va pas de même pour le budo
qui demande
un véritable investissement spirituel pour atteindre son objectif de
maîtrise
du corps-esprit. Il faut donc entrer dans les détails, expliquer les
subtilités
et aider les élèves à parcourir la voie martiale. La plupart des budoka
réalisent mieux leurs techniques, de façon plus efficace, quand ils en
comprennent les tenants et
aboutissants. Quant à ceux qui reproduisent les gestes à la perfection
très
rapidement, ils devront de toute façon en découvrir tous les arcanes
pour les
utiliser à un niveau supérieur. À moins de vouloir sélectionner une
élite
capable de découvrir par elle-même tous les secrets de l’art, le
professeur
doit donner de nombreuses explications ou fournir les clés permettant
aux
élèves de trouver eux-mêmes les explications correspondant à leur
niveau de
pratique. Ainsi pourra-t-il assurer à l’ensemble de son public une
progression
exempte d’erreurs grossières.
Dans tous les sports, l’amélioration des performances
passe par une analyse détaillée des composantes de l’acte sportif afin
d’agir
efficacement sur chaque paramètre. Un art martial comme le karate-do
est, on l’a compris, bien plus qu’un sport ; il n’en est pas moins
vrai
que le karatéka doit suivre les mêmes principes pour améliorer ses
performances
techniques. Si on ne le prive pas de ses projections, contrôles,
luxations,
saisies, dégagements - omniprésents dans les kata -,
le
karaté regroupe quelques centaines de techniques de base. Or chacune
nécessite un
décorticage analytique comme n’importe quelle discipline de
l’athlétisme. C’est
à ce prix qu’on tendra vers l’indispensable perfection exigée par le budo.
Bien sûr, les techniques de base ne sont pas les seules à devoir subir
ce
traitement, mais l’habitude prise avec celles-ci sera aisément
transposée sur
les interactions avec l’adversaire, les subtilités tactiques,
stratégiques ou
psychologiques et les implications spirituelles de l’art martial. On
repère
très vite les yudansha qui sont restés superficiels lors de
l’apprentissage des bases : non seulement ils commettent de
nombreuses
erreurs, mais on les sent irrémédiablement bloqués. Une seule
solution :
revenir sérieusement sur les fondamentaux, tout décortiquer, y compris
ce qui
semble évident.
Comment procède-t-on pour marcher, pour respirer, pour
penser, pour observer, pour agir ? Qui se pose des questions sur
les
évidences, les automatismes, les fonctions innées ? Sans doute pas
grand
monde. Pourtant, comment pourrait-on améliorer quelque chose sans en
comprendre
les rouages ? L’art martial ne se construit pas à partir du
néant ;
pour une bonne part, il se greffe sur un individu fonctionnel et en
exploite
les fonctions naturelles ou instinctives. Cependant, il exige une
adaptation et
un perfectionnement de celles-ci. Exemples :
Age uke ressemble au réflexe d’une personne qui lève
instinctivement un bras pour se protéger la tête. Il semble judicieux
de partir
de ce réflexe a priori intéressant et de l’aménager pour aboutir à une
défense
efficace. Cela nécessite d’en décortiquer la genèse et la trajectoire
pour le
rendre conforme aux objectifs du age uke.
Quand l’essoufflement survient dans un kata,
un kihon ou un kumite, il faut s’interroger : d’où
provient
cette perturbation handicapante de la respiration ? Comment
peut-on y
remédier ? Répondre à ces questions, c’est assurément être sur la
voie de
la solution.
Pour réaliser un yoko geri keage correct, il
suffit de synchroniser le fonctionnement des articulations de la hanche
et du
genou. Sauf pathologie particulière, tout le monde peut y arriver et
pourtant,
nombreux sont ceux qui rencontrent des difficultés, car ce mouvement ne
fait pas
partie du répertoire des gestes de la vie courante ou sportive. Pour
acquérir
cette fonctionnalité, il faut passer par la case
« éducatif ». En
voici un : genou levé à hauteur de hanche, faites de grands
cercles
horizontaux avec le pied sans bouger le genou ; dans un sens, puis
dans
l’autre.
Hier, dans une circonstance bien particulière, vous
avez eu peur. Comment cette frayeur s’est-elle installée ? Comment
a-t-elle évolué ? Quels ont été ses effets positifs et
négatifs ? Ces
investigations sincèrement menées procureront un indiscutable
enrichissement
personnel et peut-être un bon en avant sur la voie martiale.
Pourquoi cet exercice vous paraît-il
difficile ? Parce que vous n’avez pas les capacités nécessaires à
sa
réalisation ; évidemment ! Vous êtes sûr ? Méfiez-vous
systématiquement
des évidences. Peut-être ne parvenez-vous pas au résultat souhaité à
cause du
mauvais placement d’un pied d’appui ou d’une erreur de tempo. Tout doit
être
soigneusement examiné, toute conclusion hâtive écartée. La solution est
parfois
dans un détail facile à corriger instantanément alors que vous la
pensiez
inaccessible ; elle est parfois dans un travail de fond qui
demandera des
années pour livrer son résultat alors que vous la jugiez comme étant de
l’ordre
du « détail ».
Ces démarches permettent de mieux se connaître - un pas vers la
sagesse - et de déceler les ressorts d’une progression
des performances. Toutes les recherches, tous les questionnements qui
approfondissent la connaissance des paramètres de l’efficacité sont
bienvenus.
Certes, un bon professeur peut aider, mais la diversité physique,
psychique et
physiologique des pratiquants lui permet rarement une analyse fouillée
des
spécificités de chacun. Son action se limite généralement à la strate
commune à
l’ensemble de ses élèves. Il pourra aussi fournir à un étudiant
particulier des
indications sur les investigations nécessaires à sa progression dans un
domaine
donné, mais le travail de fond, ce qui est de l’ordre du ressenti
personnel,
des motivations profondes, de ce qui, de près ou de loin, touche à
l’ego,
incombe en priorité et pour l’essentiel à l’élève.
Fondamentalement, on ne fouille jamais assez
profondément ni assez largement ; rien n’est insignifiant ni
inutile.
Évidemment, cette exploration est progressive, liée au niveau du
pratiquant,
mais elle est sans limite, ni dans le temps, ni dans la finesse de
l’analyse.
Vous avez négligé un détail. Votre parachute est mal
plié. Il ne s’ouvre pas. Dommage !
Le hara : source d’énergie.
Le hara ou tanden
- lieu de convergence de l’ensemble des
méridiens et de régulation de l’énergie pour les taoïstes -
correspond au centre de gravité du
corps ; ce n’est sans doute pas fortuit. Pour atteindre son
maximum
d’efficacité, un atemi doit utiliser l’énergie développée par
le
déplacement le plus rapide possible de l’intégralité du corps, donc du hara.
Pour impulser une dynamique explosive à l’ensemble du corps, les jambes
doivent
trouver des points d’appui solides, au sol d’une part et sur le corps
lui-même
d’autre part, ce qui implique une sangle abdominale - elle enserre
le hara - sous tension. À l’impact de l’atemi
ou lors de la déviation de celui-ci à l'aide d'une technique de
défense, la contraction
de la ceinture abdominale et l'ancrage au sol doivent
être tels que l’énergie soit
intégralement transmise ou déviée. Ainsi, dans les principales phases
du
combat, ce sont les muscles de la région du hara qui sont les
premiers
sollicités de manière intensive. Cependant, ces muscles sont puissants
mais
relativement lents. Si vous souhaitez avoir des réactions et des
démarrages
rapides, il faut que vos membres trouvent instantanément un point
d’appui
solide au centre du corps. Vous devez donc maintenir en permanence une
contraction abdominale suffisante. Dans les phases de combat où
l’action se
fige ou se ralentit, entretenez toujours dans le hara une sorte
de
vibration permanente - comme un moteur
tournant au ralenti - et modulée en fonction de
l'exigence de la situation. L’énergie circulante ainsi entretenue dans
la
région du hara peut instantanément diffuser vers le membre de
votre
choix et produire une accélération foudroyante. A contrario, si vous
laissez
s’effondrer ce potentiel énergétique, vous ne serez plus en mesure
d’agir ou de
réagir efficacement.
Puisque le hara est le centre de gravité du
corps, quand vous voulez percuter violemment l’adversaire, c’est le hara
qui doit entraîner l’ensemble de votre masse vers l’avant. L’erreur
consiste à
rechercher la puissance avec le haut du corps, les épaules en
particulier.
Quand vous avez besoin de force ou de puissance, c’est dans le hara
et
uniquement là que vous devez la trouver, avec, cela va de soi,
d’excellents
appuis au sol. Attention ! le hara ne doit pas seulement
se
contracter, vous devez toujours le propulser vers l’avant y compris
dans les gyaku zuki
où une simple rotation des hanches autour du hara est
insuffisante. Dans
une attaque efficace, le hara avance ; bien sûr, tout le
corps
avance mais l’impulsion vient du hara. En défense, pour dévier
l’énergie
adverse, le corps peut reculer ou s’effacer, mais toujours avec de bons
appuis
et un hara volontaire.
Lors de l’apprentissage des bases du karaté, il est
exigé d’avoir toujours les épaules basses et le corps vertical, le
nombril
légèrement en avant par rapport au bout du nez quelle que soit sa
position.
Cette attitude préserve la tête qui est ainsi moins exposée aux
attaques
adverses, mais elle est aussi très importante afin d’acquérir
l’habitude de
placer correctement son bassin et de permettre au hara sa
pleine
efficacité. Il est simple de contrôler avec quelques exercices
spécifiques
l’influence du placement du bassin sur la force qu’il est possible de
déployer.
Les philosophies et les arts martiaux
extrême-orientaux ont tous attribué une sorte de primauté au hara,
centre de régulation du ki. L’explication fournie par la
physique, à
mille lieues de la première, présente néanmoins des concordances
étonnantes.
Dans tous les cas, les techniques d’art martial doivent mobiliser un hara
correctement centré. Un budoka sans un bon hara est un
guerrier
sans arme.
La vitesse : une importance toute relative.
Aller vite est un atout majeur pour
surprendre
l’adversaire, en attaque comme en contre-attaque ; il faut
travailler sans
relâche à améliorer sa vitesse d’exécution. Attention, sans détériorer
la
gestuelle, ce qui constitue justement un des nombreux travers que
rencontrent
les budoka avancés qui croient maîtriser leur technique. La
vitesse de
la gestuelle et des déplacements est conditionnée par de nombreux
paramètres ; des « détails » diraient certains. En les
mettant
en lumière, ils pourront faire l’objet d’un entraînement ciblé.
Examinons deux
exemples. D’abord un bon relâchement musculaire est l’indispensable
préalable à
un démarrage énergique ; ainsi les muscles antagonistes ne
freinent pas le
mouvement. Beaucoup de karatékas maintiennent des tensions musculaires
strictement inutiles dont ils doivent prendre conscience. Une
vérification
régulière de la décontraction des muscles concernés pendant une assez
longue
période les débarrassera de ce handicap. Ensuite, l’énergie d’un
déplacement
naît dans le hara, mais c’est la force de réaction renvoyée par
le sol
qui mobilise le corps. Comme nous disposons de deux appuis, il faut les
exploiter simultanément, or qui pense à exercer une traction avec le
pied avant
pour renforcer la propulsion du pied arrière ?
Néanmoins, la célérité des déplacements et des
techniques n’est pas le seul critère important pour exploiter au mieux
les
brèves opportunités offertes par l’adversaire. Confronté à un événement
imprévu, tout individu met un certain temps à réagir ; ce temps de
réaction peut être sensiblement amélioré. Voyons comment. En premier
lieu, il
dépend de la qualité d’observation qui peut s’affiner grâce à
l’expérience, à
des exercices bien choisis, à l’éradication des conditionnements et à
la
maîtrise des émotions. Ces deux derniers points représentent
certainement le
plus grand chantier à mettre en œuvre pour le budoka. Ensuite,
après
avoir compris la nature de la difficulté à résoudre, il faut choisir
une
réponse adaptée. Le développement de réflexes appropriés, acquis en
répétant
inlassablement les kihon et yakusoku gumite, permet
d’éliminer
cette phase de prise de décision, raccourcissant d’autant le temps de
réaction.
En quelques années, on observe fréquemment des progrès spectaculaires
de la
réactivité.
Toutefois, une autre voie est suggérée dans les kata :
la modulation de la vitesse. Enchaînements plus ou moins rapides,
mouvements
lents, arrêts, accélérations inattendues ; ce n’est pas la vitesse
qui
importe au premier chef, mais la surprise que vous causez. Les kata
sont
une excellente école pour apprendre ces variations de rythme. Quand on
débute,
il ne faut pas avoir peur de moduler à l’extrême les cadences et de
ralentir au
maximum les mouvements lents. Les kata ne sont pas des courses
de
vitesse, mais les accélérations doivent être fulgurantes. Si ce travail
est
correctement mis en place et bien assimilé, la transposition dans les kumite
se fera sans difficulté. Le karatéka consciencieux percevra vite le
bénéfice
qui en découle.
Quand un agresseur se révèle très rapide, il est
déconseillé de s’engager dans une course de vitesse comme on en voit en
compétition sauf si les circonstances l’exigent - plusieurs
assaillants
par exemple - ou si vous êtes certain de
le dominer. Attention toutefois aux certitudes hâtives : sur le
tatami,
vous risquez de perdre une médaille, dans la rue, c’est peut-être votre
vie qui
est menacée. Puisqu’il n’a pas réussi à vous occire au premier assaut,
laissez-le s’épuiser dans sa recherche de vitesse, contentez-vous de
l’attendre
et de dévier ses attaques avec de légères esquives ; vous
trouverez bien une
faille à
exploiter sans prendre de risques démesurés. D’ailleurs, en dehors du
dojo,
tout est permis pour défendre son intégrité. Ainsi, des astuces peuvent
freiner
l’adversaire, des techniques le désorienter, des objets servir d’arme…
la liste
est longue des moyens à mettre en œuvre. Il faut apprendre à s’adapter
au
contexte et à exploiter toutes les possibilités de prendre l’avantage.
Au dojo,
lieu généralement dénudé, on ne dispose pas des choses courantes
ailleurs : un verre plein, du sable, une chaise et tout ce qui
peut avec
un peu d’imagination se transformer en outil défensif ou offensif, mais
on a
tout loisir d’élaborer des exercices qui miment ces scénarios, de
tester des
feintes, de provoquer des pertes d’attention ; tout est possible,
mais il
faut s’y préparer.
Pour réagir vite quelques préalables physiques et
psychologiques sont nécessaires. Avec quelque expérience, vous pourrez
repérer
quand ceux-ci manquent chez votre adversaire et en profiter pour lancer
une
attaque décisive. Ainsi, la fin de l’expiration est un moment de
faiblesse - essayez donc de produire un kiai
puissant à ce moment-là - assez facilement
perceptible surtout en cas d’essoufflement de votre adversaire. Vous
pouvez
également repérer des tics comme l’habitude fréquente chez les
combattants
inexpérimentés d’enchaîner un nombre fixe de techniques, jamais une de
plus. À
la fin de cette séquence vous savez que la dynamique de l'assaillant
est
rompue ; facile à exploiter. Le relâchement total, avec les bras
qui
tombent, s’accompagne souvent d’une perte momentanée d’attention qui
peut
offrir une opportunité d’attaque. Bien sûr, vous éviterez d’offrir les
mêmes
« cadeaux » à vos adversaires.
La précipitation : toujours une erreur.
« Il ne faut pas confondre vitesse
et
précipitation. » Ce précepte doit, pour le budoka, être
enregistré
comme une vérité absolue. Nous venons d’examiner la vitesse ;
voyons les
implications de la précipitation, notion qui peut concerner l’instant,
le court
ou le moyen terme.
Les réactions impulsives fournissent rarement des
solutions convenables ; en revanche, elles occasionnent souvent
des
déboires. Il faut prendre le temps de l’analyse, comprendre exactement
la
teneur de la sollicitation et de son contexte pour adapter
correctement
sa réponse ; sinon, elle a toutes les chances d’être erronée ou de
fournir
le réflexe souhaité après une feinte. Seules la fuite instinctive et
les
réactions d’évitement spontanées peuvent être entretenues. Toute autre
forme de
précipitation doit être bannie. Avec ce conseil, nous n’entrons pas en
contradiction avec le chapitre précédent qui suggère de raccourcir le
temps de
réaction, car ce gain de temps éventuel pourra toujours s’opérer, mais
seulement quand on aura appréhendé suffisamment d’éléments pour saisir
la
finalité de l’action adverse. Belle illustration de la nuance qui
sépare
vitesse et précipitation. Bien sûr certaines situations semblent exiger
une
prompte réplique, mais avec l’expérience on découvre qu’une exposition
à une
menace extrême ne nécessite pratiquement jamais une réaction aussi
urgente que
le jugerait un karatéka novice. Évitez donc de vous précipiter avant
d’avoir
correctement évalué la menace. En kumite, lors d’une attaque de
l’adversaire, les débutants réagissent soit trop tard - l’attaque
est déjà arrivée et, heureusement elle était contrôlée (sun dome),
soit trop tôt - l’attaque n’est pas observée donc pas
comprise - et leur réaction est totalement
aléatoire, rarement adaptée et efficace. Comprendre où mène l’ébauche
d’une
attaque inattendue demande du temps ; il faut apprendre à se
l’octroyer
calmement même si en combat un simple dixième de seconde peut en faire
basculer
l’issue. Certes, attendre qu’une attaque soit à deux doigts de vous
toucher
avant de réagir constitue une difficulté majeure, mais c’est la seule
solution
qui permette une perception juste de la trajectoire et le déploiement
d’une
riposte judicieuse. Ajoutons une donnée essentielle :
l’observation ne
commence pas quand surgit une attaque au dojo ou une agression dans la
rue. Il
faut en permanence être vigilant et prêt à toute éventualité. Tous les
événements qui entrent dans le cadre d’un art martial sont précédés de
prémices
qu’il est le plus souvent aisé de détecter en étant attentif et quelque
peu
perspicace ; ainsi, la surprise est rarement l’élément majeur du
problème
à résoudre.
La précipitation est flagrante quand le désir de
vitesse dépasse les compétences du budoka ou quand l’émotion
guide son
action. Celle-ci est alors totalement hors de contrôle et sujette à
toutes les
erreurs imaginables. Lors des enchaînements, en kata ou en kihon,
la précipitation induit automatiquement des déformations ou des
amputations de
la technique. Il faut s’appliquer, rechercher la perfection de chaque
geste et
n’accélérer que lorsque la maîtrise gestuelle est acquise. La
perspective
d’arriver à la fin d’une difficulté provoque instinctivement une
accélération
qui expose à la faute ; c’est souvent le cas à la fin d’un kata
mal
assimilé. En kumite, elle survient à coup sûr si l’inattention
a
provoqué un retard de réaction. Dans les espaces publics, quand et où
l’agression est une éventualité à considérer, que la fuite n’est pas
envisageable, il convient d’être attentif, calme et d’agir posément
lorsqu’on
est sûr de pouvoir le faire sans dommage. Toute précipitation expose à
une
surprise, rarement agréable, car le manque d’observation, la fébrilité
et les
maladresses inévitables qui vont de pair ne sauraient conduire vers une
issue
heureuse en cas de difficulté majeure.
Le cérémonial du dojo est parfois expédié comme une
corvée dont on doit se débarrasser au plus vite ; le ritsurei
devient un ridicule coup de tête vers l’avant. Que devient l’esprit du budo ?
Que reste-t-il d’une éventuelle recherche spirituelle ? Le vrai budoka
bannit la précipitation sous toutes ses formes et pas seulement au
dojo.
À plus long terme, on assiste souvent à une course
frénétique après les kata, après les grades, après les
compétitions ; toujours plus, toujours plus haut, toujours plus
vite ! La mode est au survol, au touche-à-tout, au
superficiel, à
l’à-peu-près ; tout le contraire de l’art martial dont l’essence
réside
dans l’approfondissement. Accordez-vous le temps nécessaire pour
intégrer
réellement à votre corps-esprit le viatique technique et spirituel
correspondant à chaque étape de votre progression martiale.
Le karate-do est une voie pour parvenir à
l’accomplissement de l’être, une ascension physique et spirituelle et,
pour
certains, une ascèse purificatrice. La technique doit être transcendée.
En
attendre des résultats rapides, c’est courir après le mauvais lièvre.
Certes,
il faut inlassablement répéter, toujours transpirer, régulièrement se
remettre
en question, souvent souffrir, mais l’objectif ultime n’est pas un
grade, aussi
élevé soit-il, ou une éphémère victoire, c’est l’élévation de l’esprit.
Inutile
de vous précipiter, si vous faites le nécessaire pour qu’il grandisse,
votre
esprit grandira ; mais à son rythme.
Le choix : conséquence de l’égarement.
L’esprit totalement ouvert à
tous les possibles est attentif. La concentration focalise
l’observation sur
quelques détails jugés pertinents. Mais, pour apprécier la pertinence
d’un
signe, il faut l’avoir rencontré de nombreuses fois, ce qui ne sera
sûrement
pas le cas de ceux qui apparaissent dans une agression. En compétition kumite,
le combattant peut se concentrer sur les gestes et attitudes
significatifs de
son adversaire, rien d’autre ne le menace. En revanche, la préparation
martiale
exige de développer une attention totale afin de ne jamais être pris au
dépourvu. Dans la rue, se concentrer sur un assaillant est le meilleur
moyen de
ne pas voir arriver le mauvais coup de son discret complice. L’espace
public et
le dojo sont deux univers qui s’opposent et pas seulement sur ce
critère. Des
exercices permettent de stimuler la concentration ou l’attention ;
ce ne
sont pas les mêmes. Il faut donc savoir précisément ce que l’on
souhaite
obtenir. Cela étant, lors d’une agression, des phases de combat peuvent
nécessiter de la concentration pour faire face à une menace précise,
mais il
faut revenir le plus vite possible à une ouverture d’esprit qui ne
laissera
rien dans l’ombre, où tous les sens seront en éveil. Même en sport de
combat la
concentration peut être néfaste. Bill Wallace, champion du monde de
full-contact invaincu de 1974 à 1980, fut surnommé
« Superfoot » sa jambe gauche étant réputée la
plus rapide du monde. Tous ses adversaires surveillaient donc cette
jambe et
ils encaissaient un surprenant direct du poing assez puissant pour
qu’ils ne
voient pas venir le fameux mawashi, le pied parvenant sur sa
cible à
plus de cent kilomètres à l’heure. Dans ce cas précis, cette
focalisation trop
restrictive constituait bien une erreur, mais le contexte très défini
des
sports de combat et la vitesse des échanges nécessitent effectivement
de se
concentrer sur un petit nombre d’éléments déterminants pour espérer
vaincre.
Alors, concentration ou attention ? Laquelle allez-vous
développer ?
Choix difficile puisque ces deux états d’esprit sont strictement
antagoniques.
À moins de savoir précisément où mène votre karaté. Dans ce cas, la
question du
choix n’est plus pertinente.
La compétition de karaté offre
schématiquement deux options : kata (technique) et kumite
(combat). De nombreux enseignants qui ont remporté quelques victoires
privilégient, parfois à outrance, leur domaine de prédilection. Ainsi,
beaucoup
de clubs dispensent des cours orientés « kata » ou
« kumite » ;
certains tentent de trouver un équilibre, souvent dans une dichotomie
quasi
schizophrénique et dans une optique exclusivement compétition. Des
instructeurs
portés par l’air du temps animent un karaté ludique ou d’agrément où
toutes les
fantaisies trouvent leur place, d’autres se spécialisent en
self-défense, voire
en MMA et même en combat de rue. Quelques professeurs, plutôt rares,
dispensent
un véritable budo. Où allez-vous vous inscrire ? Choix
délicat
quand on habite en ville - environ 400 clubs à Paris - car
la communication des clubs n’est pas toujours en concordance avec la
réalité,
mais quasiment imposé par le seul club à proximité quand on réside dans
la
France profonde. Cependant, les options choisies par un club ou un
enseignant
laissent pratiquement toujours une marge d’interprétation qui permet
d’y loger
sa propre conception du karaté ; rares sont les dictateurs qui ne
tolèrent
pas une divergence de pensée. Fondamentalement, le karaté est l’art de
se
sortir par soi-même d’une situation difficile ; il doit être
émancipation,
jamais asservissement. Si vous avez librement décidé d’une voie, rien
ne doit
vous faire déroger à votre engagement.
Toutefois, il est fort
compréhensible que les débutants ne se soient pas encore forgé une
détermination aussi ferme ; aussi vont-ils logiquement
s’interroger sur
tout ce qui touche à leur pratique. Est-il vrai que le karaté est
considéré
comme une arme et qu’il est interdit de s’en servir pour se
défendre ? La
compétition est-elle obligatoire ? Vaut-il mieux privilégier la
solidité
des positions ou la mobilité ? Le corps à corps du Goju-ryu est-il
préférable au combat à plus grande distance du Shotokan-ryu ? J’ai
trois
timbres de licence ; puis-je me présenter à l’examen de premier dan ?
Quelle version vais-je choisir : compétition ou karaté
traditionnel ?
Saurais-je me défendre à la fin de l’année ? J’ai oublié mon karate-gi,
puis-je m’entraîner en jean ? Est-ce que je vais fâcher mon
professeur si
je participe à un stage dirigé par un autre expert ? Quel kata
vais-je présenter lors de la prochaine démonstration ? Je souhaite
faire
du combat ; puis-je me dispenser des kata ? La vie du
karatéka
lambda est ainsi potentiellement jalonnée de choix plus ou moins
libres, de
questions sans véritable fondement, d’indécisions, de manœuvres
dilatoires ou
de précipitations, qui reflètent les affres de la vie quotidienne d’une
grande
majorité d’individus. Peu de gens savent réellement où ils vont et,
conséquence
inévitable, comment y aller ; les choix qui les assaillent sont
souvent cornéliens.
« Je ne sais pas lequel choisir » est une antienne de la vie
moderne.
Or l’art martial, le karate-do en particulier, a le pouvoir,
s’il est
pratiqué dans l’optique sincère d’une élévation spirituelle, de
conférer au budoka
une sérénité et une lucidité qui lui épargnent ces tourments. La
philosophie
afférente au budo définit une voie qui ne saurait zigzaguer ni
bifurquer. Il n’y a plus de choix, tout est évidence.
Nous pourrions poursuivre cette
exégèse des fondements du karate-do, mais l’essentiel est dit.
Le karate-do
englobe tout dans une harmonie parfaite : kata, kumite,
technique sans limitation ni interdit, défense personnelle, préparation
physique et mentale, élévation spirituelle, tout cela sans proscrire le
plaisir
de pratiquer. Cependant pour accéder à cette totalité et ne pas rester
dans une
illusion martiale, il est nécessaire de comprendre la raison et
l’utilité de
chaque pratique, de chaque attitude, de chaque geste, de chaque
composante, de
chaque détail aussi subtil soit-il.
Quand on considère le mokuso
comme une survivance sans intérêt d’un cérémonial dépassé, on finit par
le
négliger, puis par le supprimer ; l’art martial est littéralement
décapité. Si l’étiquette ennuie, on l’expédie ou on s’en
dispense ; les
vertus du dojo disparaissent au profit de la bassesse du combat de rue
ou de la
banalité de la salle de gym. Lorsque la répétition des techniques de
base
lasse, on les exécute négligemment en pensant à autre chose ; la
médiocrité s’installe et le mental se fissure. Quand on persiste dans
l’utilisation de la force, la technique se perd et l’esprit
s’abêtit ;
apparaît la brute. Si les détails sont négligés, on pénètre le monde de
l’à-peu-près, du grossier, du laisser-aller, du vulgaire ; autant
rester
chez soi à regarder un spectacle imbécile à la télé. Ne pas comprendre
la
notion de hara et son utilité, c’est stagner au niveau de la
ceinture
verte ; que penser des yudansha dont le hara est
aussi mort
que vives leurs illusions ? Lorsqu’on veut aller vite, trop
souvent on va
trop vite ; beaucoup perdent le contrôle. Surévaluer ses capacités
et être
un peu frimeur incite à se précipiter dans l’action sans trop réfléchir
- attention
aux mauvaises surprises ! - ou à courir après
les grades, titres, flatteries
et autres carottes agitées par des individus ou des instances pas
toujours
porteurs des valeurs du budo ; le résultat n’est pas très
encourageant. Quant à la possibilité du choix que beaucoup considèrent
comme le
nec plus ultra de la vie moderne, fondamentalement vous n’en avez que
deux : être heureux ou malheureux. Pour être heureux, il existe
quelques
possibilités et sûrement une voie qui vous sied à merveille. Pour être
malheureux, vous pouvez choisir parmi les myriades de chemins qui vous
sont
proposés avec de grands sourires commerciaux ; ils conviennent
tous
parfaitement.
S’engager sur la voie du karate-do
peut procurer d’intenses satisfactions, mais, rien n’étant gratuit, de
substantiels efforts physiques et intellectuels, des investigations
psychologiques et une recherche spirituelle sont nécessaires pour
accéder à ce
Graal. Car la technique seule, même étayée par un entraînement forcené,
n’atteindra jamais cet idéal de maîtrise et de sérénité sans que les
vertus de
l’esprit s’élèvent à des altitudes où les turbulences n’existent plus.
Encore
faut-il procéder judicieusement, donc être guidé par une éthique
rigoureuse,
une philosophie bien définie et, pourquoi pas, par les présentes
recommandations. Celles-ci orientent irrémédiablement vers un karaté de
type budo.
C’est normal puisque c’est celui que j’enseigne depuis de nombreuses
années,
convaincu de ses immenses mérites. Cependant, les adeptes de karatés
« modernes » y trouveront peut-être quelques éléments de
réflexion et
si ce texte les incitent à regarder le budo d’un œil plus
attentif, je
ne pourrai que m’en réjouir.
Sakura Sensei

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