LA LETTRE DU GOSHIN BUDOKAI automne 2004

TECHNIQUE ET EFFICACITÉ
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Tous les experts d’arts martiaux, quels qu’ils soient, revendiquent
l’efficacité comme composante essentielle de leur discipline. Pourtant, une
observation comparative met en évidence des différences notables qui doivent, dans
la réalité, aboutir à des résultats sensiblement différents. Il convient donc de
s’interroger sur les buts visés par chaque art martial afin de ne
comparer que des techniques dont l’objectif est similaire. Dans cette optique,
la meilleure technique est celle qui permet d’atteindre exactement
l’objectif préalablement défini.
En karaté, kendo ou iaido, l’efficacité absolue est souvent
définie comme étant la capacité de mettre K.O. ou de tuer l’adversaire d’un seul
coup : c’est le fameux « chi mei ». Ces disciplines ont donc
privilégié les techniques de frappe rapides, précises et décisives. Certaines, tel
l’aïkido, recherchent plutôt la dissuasion ; en projetant
l’adversaire au sol ou en lui infligeant une violente douleur, par luxation par
exemple. D’autres se spécialisent dans le contrôle et l’immobilisation
comme le judo ou le shin-na. Quelques-unes ne se préoccupent pas ou
peu de l’adversaire. Elles partent du principe que « l’ennemi est en soi » et
recherchent le perfectionnement de l’individu en développant certaines
capacités : mobilisation et canalisation de l’énergie, travail sur
les états de conscience, etc. Ce sont les arts martiaux dits
« internes » comme le tai-chi-chuan ou le qi-gong.
L’homme n’est pas un robot programmé pour la réalisation d’une tâche
unique ; ses objectifs peuvent varier en fonction des circonstances et il est
même indispensable qu’il sache s’adapter. Un art martial ne répondant qu’à
une seule problématique ne peut en aucune manière satisfaire les
aspirations d’un homme, ou d’une femme, intelligent et responsable. Si l’on peut
motiver des enfants avec un ersatz d’art martial et quelques médailles,
l’adulte, même débutant a besoin de sentir qu’il pénètre dans un
univers technique riche et passionnant lui offrant une panoplie complète de
réponses aux sollicitations agressives de la vie moderne.
Quand survient l’agressivité nous
souhaitons disposer des moyens pour y mettre fin. Les arts martiaux
s’inscrivent fort bien dans cette perspective. Mais cette agressivité peut être le
fait de terroristes qui commencent à éliminer leurs otages, d’un sadique qui
tente de commettre un viol, d’un voleur qui souhaite vous soulager du poids
de votre portefeuille ou de votre sac à main, d’un gamin qui se croit tout
permis, d’un forcené dont les fonctions mentales sont altérées ou d’un
automobiliste irascible. Un art martial complet se doit de répondre à
toutes ces éventualités.
Cependant, l’agressivité peut aussi venir de nous-mêmes notamment
lorsque nous avons peur. C’est pourquoi il ne faut pas dissocier l’interne et
l’externe et trouver une pratique joignant harmonieusement les deux
facettes de l’art martial.
Malheureusement, aujourd’hui, aucun art martial officiellement
répertorié ne recouvre l’ensemble de cet inventaire.
C’est ce qui explique que peu d’adultes soient durablement conquis par
une pratique martiale quelle qu’elle soit. Il est donc nécessaire de
compléter un art martial ou d’en réunir plusieurs en évitant les incompatibilités
techniques ou philosophiques. C’est ce qu’avait entrepris Soke Shogo
KUNIBA avant sa disparition prématurée en 1992. Le goshin-budo devait
compléter harmonieusement le karaté moderne pour aboutir à un ensemble de
techniques martiales sans lacune ni redondance.
Que doit-on attendre de cet art martial idéal offrant une efficacité
absolue ?
DISSUASION PSYCHOLOGIQUE
Il faut se souvenir que le budo, qui se traduit
couramment « art martial », a pour vocation de mettre fin aux conflits,
éventuellement en éliminant les adversaires, mais
idéalement en évitant la naissance des conflits ou, à tout le moins,
en permettant la résolution pacifique de ceux-ci.
L'attitude, premier élément de la
relation à autrui, est une composante importante de la
dissuasion. S’il est vrai que les hommes grands et forts sont moins
souvent agressés que les autres, la corpulence n’est pas le seul critère de
cette dissuasion ; le maintien, le port de tête, le regard, la démarche,
la gestuelle, les réactions y contribuent assez largement. Il existe un
profil type du candidat (ou de la candidate) à l’agression, or quelques années
de pratique d’un art martial peuvent métamorphoser un individu.
Ensuite, la peur étant la principale source de l’agressivité,
il convient de parvenir à
la contenir, voire à l’éradiquer (voir l'article sur la peur) pour
éviter les réactions intempestives et ne pas devenir soi-même, et souvent à
son insu, un agresseur. J’ai connu une jeune femme, charmante au demeurant,
incapable de passer plus d’une semaine sans subir une agression. La
vérité m’est apparue quand j’ai compris qu’elle dissimulait ses angoisses dans
des attitudes provocatrices et des réactions particulièrement belliqueuses.
L’agresseur, c’était elle.
Une observation s’impose à ce stade :
j’ai vu plusieurs fois des instructeurs gifler des combattants pour les
dynamiser. L’entraîneur qui prépare
ses athlètes à la compétition n’atteint pas toujours ces extrémités,
mais il a quand même besoin de développer leur agressivité car, correctement
canalisée, elle sera le moteur de leurs performances. De ce point de
vue, et ce n’est pas le seul, la compétition est totalement antinomique avec la
sérénité que recherche tout véritable artiste martial.
De plus, développer une excellente
qualité d’observation est indispensable,
mais très lié à la maîtrise des émotions (peur, haine, colère, etc.) pour espérer
gérer correctement une situation de conflit. En effet, résoudre un problème
ne peut se faire que lorsque l’on en a parfaitement perçu les éléments
constitutifs ; à défaut, la réponse n’est jamais appropriée. Si l’observation est
correcte, précise et sans a priori, le choix de la réponse,
comportementale, verbale ou physique sera évident et juste. L’entraînement devra donc
être suffisamment riche pour que ce travail d’observation ne se cantonne pas
à quelques situations stéréotypées : un seul adversaire, de face,
qui respecte toujours les mêmes règles, etc. Il devra aussi mettre en évidence la
nécessité d’arriver à une complète vacuité de l’esprit, donc à la disparition de
toute angoisse ou idée préconçue, pour que l’observation et la
prise de décision soient précises, rapides et adéquates.
DISSUASION PHYSIQUE
Quand la dissuasion n’opère pas à « distance », il est
encore possible qu’elle agisse au « contact ».
Trois méthodes sont envisageables : l'esquive ou la parade
éventuellement associées, la projection au sol plus
ou moins violente, et la douleur fulgurante infligée à l’adversaire.
- Être intouchable est idéal pour
celui qui est agressé ; cela s’avère
particulièrement frustrant pour l’agresseur. L’esquive semble donc la
meilleure solution pour se soustraire aux attaques de l’agresseur. Cependant, les
déviations d'attaques présentent l’avantage d’être réalisables dans un espace restreint.
Remarquons que certains blocages infligent de sévères traumatismes à
l’adversaire qui aura vite la sensation de se faire mal lui-même. Il
est rare de voir un individu tenter plus de trois attaques successives dans ces
conditions. Esquives et parades sont les piliers de l'art martial.
- Un agresseur qui se retrouve au sol
va éventuellement revenir à la charge, mais
si la sanction se réitère, son énergie risque d’être quelque peu
entamée, tant il est vrai qu’une projection s’avère humiliante et décourageante.
Le judo et le ju-jutsu proposent une énorme panoplie de
projections, mais force est de constater
que face à un adversaire plus lourd et dépourvu d'un kimono qui permet
des saisies conventionnelles, elles sont
quasiment irréalisables. L’aïkido, quant à lui, repose surtout sur des menaces
de luxation et c’est
l’adversaire qui se projette pour échapper à la douleur. Très souvent,
le novice qui subit une technique d’aïkido n’a pas le réflexe de la chute
et termine avec une articulation démise. Même si certaines techniques
d’aïkido ou de judo peuvent convenir, on retiendra que la projection réellement
utilisable doit reposer sur des déséquilibres, des leviers, des
balayages de jambes ou diverses astuces de telle sorte qu’elle ne nécessite pas une
force herculéenne et soit réalisable en toute circonstance.
- Une vive douleur a sensiblement le
même effet, surtout si l’on reste serein en
l’infligeant. Il est possible de la provoquer par choc ou pression sur
un point douloureux. La connaissance de ces points, nommés « kyusho »,
très nombreux sur le corps humain, constitue une arme redoutable
notamment dans
les situations de corps à corps ; on pense naturellement aux
agressions sexuelles. S’y ajoute le pincement, particulièrement douloureux, de
tendons proéminents. En forçant une articulation à la limite de la luxation, la
douleur fulgurante ressentie est bien, elle aussi, de nature à calmer
quelques ardeurs. Les doigts, poignets, coudes et épaules, aisément accessibles
lorsque l’adversaire est proche, sont d’une fragilité naturelle étonnante et
une force minime judicieusement appliquée déclenche une insupportable
souffrance.
Ces méthodes impliquent une saisie préalable de
l’adversaire ; un entraînement
régulier explorant les diverses possibilités de saisie devra développer
des réflexes ad hoc.
Bien entendu, il est toujours possible de dissuader en frappant
modérément. Mais l’adversaire peut considérer ce type d’atemi
comme étant raté et revenir de plus belle à la charge. Il convient donc
que l’atemi soit très précis,
sur un kyusho, pour que la douleur ressentie soit vécue comme
un avertissement. Ajoutons, dans les techniques dissuasives, les
dégagements sur les saisies. Avec un peu
d’entraînement, il est relativement facile de se sortir d’une saisie
même si l’adversaire est plus puissant. Notons au passage qu’il s’agit
sûrement de la situation la plus favorable pour enchaîner soi-même sur une
saisie de l’adversaire.
Évidemment, l’utilisation simultanée de plusieurs techniques est
envisageable, mais demande un très bon niveau de pratique.
Une mise en garde est toutefois nécessaire : une
agression « molle »
peut se transformer en agression « dure » si l’agresseur se
sent vexé ou provoqué par une technique de dissuasion. Il faut donc être
capable d’enchaîner plusieurs techniques successives. Mais attention,
l’élément de surprise aura disparu et l'affrontement deviendra certainement
plus dur que le laissait supposer le premier contact.
DÉFENSE ACTIVE
Si la dissuasion, psychologique ou physique, ne fonctionne
pas, il devient nécessaire
d’utiliser des méthodes plus fermes : contrôle, immobilisation ou
mise hors de combat.
- Contrôle : Il existe de nombreuses
techniques pour contrôler un adversaire mais elles
obligent en général à opérer dans une distance de combat très courte.
Avec un adversaire armé elles seront réservées aux experts. Dans les autres
cas, elles pourront toujours être tentées ; si elles échouent on
continuera autrement. On trouve ici des clés avec menace de luxation,
éventuellement accompagnées d’une pression sur un kyusho ou du pincement d’un
tendon, des étranglements ou des techniques d’amené. Là, contrairement aux
techniques de dissuasion, elles seront maintenues fermement et ne devront pas
permettre à l’adversaire de s’échapper.
- Immobilisation : L’agresseur très
excité devra, lui, être fermement immobilisé, généralement au sol.
Cette solution ne convient pas, on le comprend facilement, lorsque
l’agression est perpétrée par plusieurs personnes. Il faudra alors être plus
expéditif. Il existe, apparemment, beaucoup de techniques répondant à cette
problématique. Malheureusement, très peu sont réellement efficaces. En effet,
n’oublions pas qu’un agresseur ne respecte pas les règles du dojo ; il peut
mordre, crever les yeux ou vous gratifier d’autres douceurs du même genre. Il
faudra en tenir compte.
Dans les deux situations précédentes, un atemi peut être utile
pour déstabiliser
ou « sonner » l’adversaire avant d’envisager un contrôle ou
une immobilisation. Cette dernière sera le plus souvent précédée d’une
projection.
- Mise hors de combat : elle peut
être réalisée de différentes façons.
- Nous serions tentés d’exclure la
mort de l’agresseur par respect de la vie
humaine. Pourtant, imaginons-nous dans un avion détourné par des
terroristes que ceux-ci dirigent vers une des trop tristement célèbres tours
jumelles à New-York. On serait sans doute bien inspiré de n’avoir aucun état d’âme
et de considérer la mort de l’agresseur comme une réponse, certes
ultime, mais possible.
- Les techniques invalidantes,
luxations et fractures, sont incontournables.
Toutefois, elles laissent une part non négligeable de faculté de
nuisance à l’agresseur et ne permettent pas de le laisser sans surveillance.
- La perte de
connaissance par syncope ou K.O. est temporaire, mais elle rend
possible la fuite de l'agressé ou la maîtrise d’un autre agresseur. De la
même manière, la douleur engendrée par certaines techniques, comme la
percussion des testicules ou de la trachée artère, disparaît
progressivement. L’adversaire est donc maîtrisé... momentanément.
Efficacité Réelle
Cependant, l’efficacité des techniques les plus courantes mérite
d’être analysée.
D’abord, l’omniprésente compétition induit de fréquentes dérives
liées au respect des règles :
- Interdiction de frapper au bas-ventre : se développent en
conséquence des coups de pied ou des positions qui exposent exagérément
cette partie de l’anatomie ;
- Interdiction de frapper directement au visage (dans la plupart
des sports de combat avec contact) : les pratiquants de ces
disciplines ne savent pas se défendre sur un direct au visage ;
- Interdiction de frapper dans les jambes (notamment en karaté) :
le premier low-kick (coup de pied dans la cuisse) risque de surprendre et
d’être fort douloureux ;
- Combat avec un seul adversaire, sur un tatami, qui s’arrête
au « yame » ; que la réalité est loin !
- Etc.
Ensuite, aujourd’hui, presque tout le monde travaille poings fermés.
Pourtant les mains offrent de multiples possibilités réellement efficaces.
Il ne faut pas non plus négliger les coudes, les genoux, la tête.
En combat réel, tout objet est une arme potentielle ; seul un manque d’imagination
peut être limitatif. Dans Heian-shodan ou Pinan-nidan, le quatrième mouvement,
tetsui-uchi, vous semble insignifiant ? Imaginez-le donc avec un marteau
dans la main (ou une bouteille, un sac, etc.).
Pour finir, il convient d’être fort circonspect sur l’efficacité des
atemi (littéralement « coup sur le
corps »). Le kime (explosion totale de l’énergie au moment de l’impact),
à la base d’un possible chi mei, n’existe pas dans tous les arts
martiaux. Dans ce
cas, ou si le kime est insuffisant, plusieurs atemi
seront nécessaires pour
éliminer un adversaire. Cela peut s’avérer rédhibitoire. C’est un
inlassable travail de répétition qui permettra au budoka de
trouver cet indispensable kime. Encore faut-il se méfier de circonstances
défavorables :
l’agresseur casqué et vêtu de cuir, la fatigue qui prive de l’énergie
nécessaire, etc. La précision
des atemi, sur les points vitaux, ou le choix d’une autre
technique (clé, projection, etc.), compensera souvent ces handicaps, mais il vaut mieux
avoir de la marge et se dire que pour être sûr de tuer une mouche, il faut, à
l’entraînement, réaliser des techniques capables de tuer un bœuf. La
technique, plus sûrement que les gros muscles, conduira à ce résultat.
TEMPS DE PRATIQUE
Combien de temps faut-il pour être efficace ?
La réponse n’est pas univoque.
D’abord, il ne faut pas se fourvoyer dans le choix du ou des arts martiaux,
certains étant conçus essentiellement pour la compétition et d’autres ne couvrant
qu’un aspect de l’efficacité. Sans doute existe-t-il d’autres solutions, mais karate-do
et goshin-budo répondent exactement à notre
problématique puisque toutes les techniques passées en revue ci-dessus figurent dans cet ensemble.
Ensuite il convient de s’entraîner assidûment. En dépit du fait que des formes de
travail ne nécessitent pas une énorme énergie, un minimum de puissance
est indispensable. Un renforcement musculaire est donc incontournable, mais
accessible à tout le monde. Le minimum nécessaire est constitué d’un
renforcement de la sangle abdominale, toutes
les techniques s’appuient sur le hara,
et d’un développement de la force des avant-bras, utile dans les
saisies et les tsuki. Mais on n’oubliera pas que toutes les techniques
dont nous avons parlé ne se réduisent pas à un geste, aussi précis soit-il. De
multiples paramètres conditionnent l’efficacité : qualité de l’observation,
sélection des informations pertinentes, rapidité de la prise de
décision, vitesse d’exécution,
placement par rapport à l’adversaire, timing, synchronisation des
différentes composantes d’une technique, utilisation du hara, stabilité,
précision, unité du corps et de l'esprit, respiration, adaptabilité,
etc. Cet apprentissage demande du temps. La patience est requise.
Si l’on peut évaluer l’efficacité en la notant de 0 à 100 %, on
remarquera qu’un art martial peut éventuellement offrir 100 % d’efficacité
mais que personne n’est à 100 (nul n’est parfait) et personne à 0 (personne
n’est nul). Le but de l’entraînement est de progresser sur cette échelle et
chacun ira à son rythme sans oublier que le psychique est plus important que
le physique car c’est sur lui que repose l’analyse de la
situation et du choix de la réponse, dissuasion ou, seulement s’il n’y
a pas d’autre solution, action physique. Le physique n’est qu’au bout de
la chaîne. Or, si certains semblent assimiler très vite les bases
techniques, tout le
monde a besoin de beaucoup de temps pour que l'esprit soit à la hauteur
de ce que l’on attend de lui dans les situations critiques. Toutefois, la
technique a
une importance capitale : ce n’est que dans un intense effort
physique que le mental se forge.
Shogo KUNIBA disait : « Le karaté permet d'apprendre
à maîtriser ses émotions. »
Et Gichin FUNAKOSHI ne cessait de répéter : « Le karaté est fait
pour ne pas servir. »
Ainsi, l'entraînement intensif et régulier est-il le support des véritables
objectifs de notre art martial absolu : maîtrise de soi, sérénité
et paix.
Sakura sensei

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