LA LETTRE DU GOSHIN BUDOKAI N°36 mai 2016
AVOIR CONFIANCE EN SOI
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« S’estimer, s’aimer, bien se
connaître, se faire confiance, s’affirmer, se réaliser, être soi et sûr
de soi. »
Ces expressions, ou leurs équivalents, combinées de façon aléatoire
comme le fait le maître de philosophie pour satisfaire les lubies d’un
naïf Monsieur Jourdain dans le Bourgeois Gentilhomme, se retrouvent à
l’envi dans des livres, des magazines, des sites Internet ou des
émissions traitant de psychologie, de relations professionnelles ou
privées, de coaching, de développement personnel, de sport, de
self-défense... Des formules souvent mal définies, plus ou moins
interchangeables, toutes liées mais sans qu’on daigne vous expliquer
par quels mécanismes et agrémentées de conseils puérils, irrationnels,
incantatoires ; l’arsenal classique du charlatan. Cependant, ces
propos titillent l’esprit du budoka soucieux de parvenir à une
sereine maîtrise de son art martial, aussi doit-il en clarifier les
termes, en comprendre les implications pour ne pas être abusé par les
discours fallacieux des beaux parleurs.
Le budo, comme le bujutsu
qui l’a précédé, a pour objectif de vaincre l’ennemi. Le samouraï — la
fonction a disparu durant l’ère Meiji (1868-1912), mais l’esprit
samouraï demeure
chez de nombreux japonais — sait que son principal ennemi est en
lui ; il se nomme « ego ». Pour dominer ses adversaires,
le samouraï doit au préalable décapiter son ego. En effet, l’expérience
millénaire de ces nobles guerriers désigne l’ego comme le premier
obstacle à l’acquisition d’un esprit performant, lucide et serein, clé
incontournable de la maîtrise martiale. Avec un peu de clairvoyance,
chacun peut confirmer la justesse de cette analyse, car l’ego,
certains diraient la personnalité, le caractère, le tempérament ou la
nature, mais l’ego induit tout cela, mène à des idées, des actions ou
des comportements préconçus, souvent inappropriés en regard de la
réalité de l’instant.
De nombreuses propositions de nos modernes gourous de la psyché —
s’estimer, s’aimer, être soi, être sûr de soi, s’affirmer, se réaliser,
etc. — suggèrent de bodybuilder, de magnifier ou d’encenser l’ego. Le
vrai budoka se gardera d’y adhérer puisque son objectif ultime,
à l’instar des samouraïs, est d’éliminer les nuisances de son ego et,
in fine, l'ego lui-même.
Une fois ce préalable admis et les conseils contraires au dessein du budo
écartés, il reste : « avoir confiance en soi » et
« se connaître ». Cependant, la plupart de nos conseilleurs
utilisent indifféremment « avoir confiance en soi » et
« être sûr de soi ». Ces deux expressions ont-elles pour
autant un quelconque caractère de synonymie ? Sans doute pour ceux
qui ne se posent pas trop de questions et surtout pas les bonnes.
Cependant, un minimum de discernement fournit des lumières très
contrastées sur ces deux formulations.
« Être sûr de soi » : une posture qui en impose.
C’est l’attitude de la plupart des
personnages politiques, de moult dirigeants, des petits chefs et des
caïds… de tous ceux qui veulent imposer leur vision d’un monde
dual : d’une part, eux-mêmes, les esprits prétendument supérieurs,
qui ont forcément raison puisqu’ils détiennent le savoir et le
pouvoir ; d’autre part, ceux qui abreuvent leur pensée desséchée
de la sainte parole de ces infatués ou ceux qui ont le tort de penser
différemment. Les armes de ces vaniteux : un laïus réducteur ou abscons
selon
l’auditoire et une attitude apprêtée, condescendante ou faussement
familière, pour asséner d’absurdes simplifications de la réalité qui
stupéfient les honnêtes gens et mystifient le plus grand nombre.
Pouvoir du discours, de la rhétorique, de l’imposture assumée. Posez
une question ouverte — à laquelle on ne peut pas répondre par un simple
mot — à ces gens-là, aussitôt la réponse fuse, plus rapide que Google,
mais, alors que le moteur de recherche fournit des myriades de
résultats, ils vous gratifient d’une seule et unique sentence qu’ils
parent des atours du raisonnement scientifique, logique, indiscutable,
alors même que sa construction relève de la vulgarisation, de
l’approximation, de la croyance, parfois même du mensonge ou de
l’erreur et, souvent, de l’art de noyer le poisson. La complexité du
réel peut-elle s’accommoder d’une telle pauvreté intellectuelle ?
Non ! évidemment. Pourtant ces éminents falsificateurs constituent
des modèles largement imités par ceux qui croient indispensable
d’adopter ce comportement pour s’élever dans la hiérarchie sociale.
Le même schéma se reproduit dans le
contexte de la violence physique. Certains sont sûrs de leur force, de
leur technique, de leur capacité à éliminer la menace, de leur pouvoir
de domination, voire de destruction — ou essayent de le paraître en
exhibant leurs muscles ou un nombre de dan prestigieux.
D’autres, subjugués par cet étalage de forfanterie, s’efforcent
d’acquérir cette certitude. Ainsi, de nombreux spécialistes
autoproclamés de la self-défense (close combat anglais, systema russe,
kravmaga israélien, kajukenbo hawaïen et autres synthèses modernes)
font le choix de la réaction fulgurante. Observer et réfléchir prend
trop de temps ; en une fraction de seconde, le cerveau,
conditionné à fonctionner comme un Google déficient, fournit la
solution ― une seule puisqu’elle est censée être parfaitement juste et
adaptée ― qui déclenche instantanément les automatismes préenregistrés.
Ces méthodes, destinées dans leurs différentes versions (militaires,
policières ou grand-public) à être assimilées rapidement, n’amènent que
des réponses techniques, violentes à l’agression et laissent dans
l’ombre l’indispensable et long travail sur soi. Aucune place ici ― ou
la portion congrue ― pour les qualités de l’esprit, cruciales dans
l’adversité. La recherche d’une hypothétique efficacité immédiate, sans
le recul temporaire exigé par l’observation et l’analyse, sans
réflexion philosophique ou éthique préalable, ne peut engendrer que le
chaos, à l’opposé de l’harmonie universelle recherchée par les vrais budoka.
« Avoir confiance en soi » :
conscience du réel ou autosuggestion ?
Explorons la formule « confiance en
soi ». Confiance : sentiment d’assurance, de sécurité d’une
personne qui se fie entièrement à quelqu’un ou à quelque chose. La
confiance en autrui s’acquiert grâce aux compétences ou aux qualités
qu’on lui reconnaît. Problème : une qualité supposée n’est pas une
assurance de sa réalité. En ancien français, fiance signifiait
foi ; de fait, il faut parfois avoir la foi pour faire confiance.
Rappelez-vous : « Les yeux dans les yeux, … je n’ai pas de
compte en Suisse. » C’était Cahuzac, ministre du Budget, qui, en
dépit de preuves accablantes, s’exprimait ainsi en 2012 avec un tel
aplomb que Moscovici déclara « j’ai confiance » et Hollande
« je te défendrai ». On connaît la suite et chacun pourrait
citer de nombreux autres exemples.
Certes, on peut être abusé ; mais
peut-on se duper soi-même ? Décortiquons le terme
« soi ». Soi, c’est d’abord une entité physique, un corps,
avec des caractéristiques propres, des capacités, des handicaps, des
forces et des faiblesses qu’il est loisible de connaître mais qu’on ne
jauge pas toujours correctement. Qui n’a pas été surpris d’échouer à
une épreuve qu’il pensait maîtriser ou vice-versa ? Il s’agit
parfois de chance ou de malchance, mais, le plus souvent d’une
estimation erronée de son potentiel. L’entité qui devrait connaître et
diriger le corps, c’est l’esprit ; or, si le corps est d’une
grande complexité, l’esprit regorge d’aspects que la science effleure à
peine. Peu de certitudes sur son fonctionnement ; juste des
théories trop souvent devenues des dogmes qui permettent à certains de
justifier des comportements déviants, aberrants ou violents. Une seule
chose est sûre : l’esprit ne nous guide pas toujours de façon
idéale, car il est sans cesse perturbé par des phénomènes plus ou moins
inconscients, incontrôlables et irrationnels qui altèrent ou
dissimulent la réalité accessible à nos sens et à notre intelligence.
Établissons que la vraie confiance — par opposition à une
confiance strictement psychologique (la foi) qui n’est qu’une forme
d’autosuggestion — s’établit sur un savoir authentique et une
observation dénuée d’artefact. À l’opposé, les croyances,
les a priori et les affects qui encombrent les limbes de la
conscience peuvent
alimenter des chimères et provoquer des déconvenues cuisantes. Se
répéter — méthode Coué ou apparentée — « je suis capable de le
faire » ou « je peux me faire confiance » sont des trucs
débilitants de psy d’opérette.
Pour se faire réellement confiance, il faut d’abord
se connaître vraiment ; voir clairement tous les conditionnements,
les théories spécieuses, les illusions, les sentiments, les émotions
qui émanent de l'ego et squattent la conscience, puis comprendre
comment ils agissent.
C’est le rôle de la méditation, qui explore l’esprit, et des tests, qui
permettent d’évaluer ses capacités, ses limites, tant physiques que
mentales, donc la probabilité de surmonter une épreuve définie… à
condition de pratiquer sans complaisance.
La méditation en seiza, quand rien ne vient nous perturber, est
une première approche, mais elle est insuffisante pour se connaître de
façon précise et fonctionnelle. Comprendre comment les émotions
s’installent dans l’esprit et se répercutent dans le corps, par
exemple, doit se faire quand on est réellement perturbé par la peur, la
colère, l’euphorie, la haine, le désarroi... Les périodes de grand
chambardement psychologique, comme chacun peut en connaître dans sa
vie, sont des portes ouvertes sur la connaissance intime. La méditation
efficace s’ancre dans la réalité de l’instant. Rien de théorique
ici ; il suffit de regarder sans œillères et de voir, mais cette
simplicité en désarçonne plus d’un. Cette démarche s’avère totalement
indispensable pour prétendre se connaître et constitue la première
étape vers l’éveil, la sagesse, quand plus rien ne vient perturber
l’esprit.
Quant aux tests réguliers, fréquents et variés que chacun devrait
s’imposer, leur pertinence est liée à leur réalisme. Dans le domaine
martial, c’est la diversité des formes de travail — insistons sur ce
critère essentiel — qui permettra de maîtriser les multiples aspects,
techniques, stratégiques et psychologiques, d’une véritable agression
impossible à mettre en place réellement.
La formulation « confiance en
soi » se révèle donc un peu trop vague. Quel rapport entre
la confiance strictement psychologique issue d’un processus
d’auto-persuasion conforme à l’étymologie « foi » et la
confiance fondée sur une perception juste de la
réalité& et de ses capacités ? De plus, cette dernière doit s’apprécier sous deux
formes bien différenciées : une confiance ciblée, correspondant à
la conscience claire de son aptitude à effectuer correctement une tâche
définie, et une confiance générale, liée à des qualités et compétences
transversales — utiles dans de multiples activités — : facultés
intellectuelles, connaissances générales et théoriques, sens de
l’observation, stabilité émotionnelle, capacités physiques, habiletés
transposables, volonté, persévérance, etc. Celles-ci permettent de
s’adapter à des situations nouvelles, imprévues, compliquées, diverses
et d’en surmonter les difficultés.
La confiance ciblée s’appuie sur des données relativement
objectives : les compétences exigées pour maîtriser une tâche ou
une épreuve connues comparées à celles dont on est doté. Elle peut
donc, si rien ne parasite l’appréciation de ces données, se situer à un
niveau très élevé. La confiance générale repose plutôt sur une
probabilité : les capacités transversales, les qualités
fondamentales et les dispositions mentales dont on dispose sont-elles
suffisantes pour comprendre la structure d’un problème inédit puis
découvrir et appliquer une solution satisfaisante ? Elle contient
obligatoirement une dose plus ou moins grande d’incertitude qui lui
interdit d’atteindre, et même d’approcher, le niveau de la confiance
ciblée. Ces deux types de confiance en soi font appel à des paramètres
et à des processus différents ; la confiance ciblée ne peut en
aucune manière se transposer miraculeusement en confiance générale
comme le suggèrent de nombreux pseudo-psys.
Pour ne pas vivre dans l’illusion
— c’est capital dans le domaine martial — la confiance en soi
doit
s’appuyer uniquement sur la réalité et être proportionnée à ses
capacités, générales ou spécialisées. Si elle s’élabore autrement,
c’est la preuve que l’ego gouverne, situation fréquente chez le plus
grand nombre, même si peu de personnes s’en rendent compte. Les
personnalités aux egos surdimensionnés, arrogants ou méprisants sont
facilement repérables et systématiquement stigmatisées. Pour beaucoup
d’observateurs, l’ego est une maladie qui leur est spécifique.
Cependant, un individu peut être considéré comme orgueilleux, modeste,
intégré, marginal, fantaisiste, brillant, médiocre, dominateur, soumis,
dynamique ou amorphe, il n’en est pas moins conduit par son ego.
Ce substantif désigne la représentation que l'on a de soi-même et de sa
relation aux êtres ou aux choses. Le comportement est forcément au
diapason. Souvent considéré comme le fondement de la personnalité, il
n’est in fine qu’une entrave au développement personnel. Par définition
une représentation n’est pas le monde réel. De fait, cette image de soi
et de ses relations, est une vision fantasque de la réalité passée au
crible de ses conditionnements, de ses émotions, de ses sentiments et
de ses déficiences de perception ; elle ne peut pas être fidèle. À
quelques rares exceptions près, tout le monde subit les affres d’un ego
plus ou moins envahissant et tyrannique qui mériterait d’être éliminé.
Malheureusement, comme l’ego est généralement considéré comme partie
intégrante de soi, peu d’individus sont disposés à s’amputer d’une
partie d’eux-mêmes. Erreur funeste ! car l’ego n’est qu’un intrus
qui prend ses aises chez son hôte inconscient.
Les obstacles qui s’opposent à une
parfaite connaissance de soi sont innombrables, mais ils
appartiennent tous à la domesticité de l’ego, ce qui circonscrit le
champ de la bataille à leur mener. Cependant, nous ne les avons pas
tous évoqués : intègre-t-on toujours correctement à la
connaissance de soi son état du moment — excitation, fatigue, émotion,
déficiences liées à l'alcool ou aux drogues, blessure, etc. — qui
peut sérieusement amputer les capacités physiques et mentales ?
L’image de soi que véhicule l’ego, idéalisée ou dévalorisée, est
toujours trop figée ; de fait, les modifications passagères
affectant les capacités physiques et mentales sont très souvent
ignorées. Pour disposer d’un outil fiable, d’un esprit disponible et
performant, apte à déterminer exactement ce que l’on est capable
d’exécuter dans l’instant, il faut se débarrasser des travers de l’ego.
Un long et difficile — car il est douloureux de prendre conscience
de ses imperfections — travail d’introspection sans indulgence
permet, dans un premier temps, de connaître « l’ennemi qui est en
soi », de comprendre son influence et d’intégrer cette donnée dans
l’analyse de sa capacité à faire face à une difficulté. Plus tard, une
fois convaincu de la nuisance de l’ego, en général lors d’une violente
crise existentielle, on le vomira. Enfin purgé, on aura un total accès
à la réalité des mondes intérieur et extérieur puis de leurs
interactions.
Ce n’est pas tout : bien se connaître et voir clairement ne suffit
pas pour affronter l’imprévu ; il est nécessaire d’évaluer
précisément les difficultés que l’on devra surmonter. Observer,
analyser, comparer, décider ; outre un esprit vif et perspicace,
cela demande du temps, neanmoins c’est le seul moyen de savoir si l’on
a la capacité de faire face et d’organiser sa réponse. Dans
l’incertitude, il sera sans doute préférable d’accepter quelque
concession ou de s’esquiver. La vraie confiance doit donc s’appuyer sur
des données fiables, étayées et actualisées, sinon il s’agit d’un
aveuglement. On comprend bien maintenant la parenté étymologique entre
confiance et foi puisque, par définition, la foi est aveugle. Le budoka,
qui a un absolu besoin de lucidité, mettra tout en œuvre pour accéder
en permanence à une perception exacte et précise des événements,
conjecturer leurs prolongements et évaluer sa capacité réelle à les
dominer. Toutefois, cet objectif est parfaitement circonscrit :
l’ennemi clairement identifié, c’est l’ego, champion de la réaction
intempestive quand l’émotion l’envahit.
Agir ou réfléchir ?
L’artiste martial est, a priori,
confronté à un dilemme : si, face à une agression plus ou moins
violente, discernement et pondération sont souhaitables, il semble
parfois indispensable d’être prompt à réagir. Difficile à
l’entraînement de concilier ces deux approches qui procèdent de deux
conceptions antagoniques : agir ou réfléchir.
Foncer illico en laissant s'exprimer ses réflexes, naturels ou acquis,
et en affichant la certitude d’une maîtrise supérieure est une solution
envisageable ponctuellement, mais les risques sont multiples :
- Se méprendre sur une attitude ;
- Se fourvoyer dans la brutalité sur une simple
provocation ;
- Déclencher une escalade de la violence ;
- Être dépassé par les forces en présence ;
- Découvrir trop tard la présence de complices ;
- Réagir de façon disproportionnée ;
- Se voir, faute de témoin fiable, reconnu responsable
pénalement ;
- Entraîner à leur insu des collègues ou amis dans une
rixe.
Prendre le temps de la réflexion permet de réagir plus efficacement,
mais présente un danger :
- Être mis hors de combat avant d’avoir décidé d’une
stratégie.
Intellectuellement, la première option
n’est guère acceptable. Le recours systématique à la violence pour
juguler la violence est pire qu’une erreur ; c’est un fléau. De
plus, elle présente beaucoup d’inconvénients. La seconde recèle un seul
gros défaut jugé rédhibitoire par les adeptes de la self-défense.
Jugeons nous-mêmes.
Une précision tout d’abord : nous évoquons les véritables
agressions. Pas celles où la soi-disant victime est le réel agresseur —
certains sont naturellement agressifs et ont l’art de provoquer les
conflits —, ni celles, verbales au commencement, qui sont plus ou moins
sciemment envenimées par l’agressé. Chacun doit être conscient de ses
actes — impératif qui devrait inciter les impulsifs, les agressifs, les
arrogants ou les paranoïaques à s’interroger sur la nocivité de leur
ego.
La plupart des agressions succèdent à
des prémices parfaitement identifiables qui laissent largement le temps
d’adapter son comportement à la situation réelle. Pourquoi se
précipiter alors qu’une solution pacifique peut être trouvée dans neuf
cas sur dix ou, pour le moins, une réponse intelligente et
maîtrisée ? Dans cette phase de conflit, les qualités de l’esprit
sont plus importantes que les qualités physiques. La tradition évoque
la répartition suivante pour l’efficacité martiale : 50 %
l’esprit ; 50 % la technique et les capacités physiques.
Cependant,
durant les prémices, l’efficacité repose à 100 % sur l’esprit.
Privilégier, comme le font les méthodes de self-défense, un
apprentissage purement technique n’est guère judicieux. A contrario,
les messages philosophiques, éthiques et psychologiques contenus dans
les kata du karate-do forgent des budoka
respectueux et conscients de leur responsabilité, qui dominent leurs
impulsions et leurs émotions. De plus, la permanente recherche de
perfection dans l’exécution des kata, leur décomposition (kihon)
et leurs applications (bunkai et yakusoku-gumite) calme
l’impétuosité et force à comprendre l’origine des difficultés
rencontrées ; or, lors de ces exercices, le seul ennemi qui
s’oppose à une réalisation parfaite, c’est soi, corps et esprit.
L’objectif de l’art martial est clair : les qualités de l’esprit
doivent progresser de conserve avec la maîtrise technique.
Les agressions où la surprise est absolue et ne laisse aucune place à
un temps de réflexion sont heureusement fort rares. De toute façon,
dans cette éventualité, la pratique d’un sport de combat, d’une méthode
de self-défense ou d’un art martial fera peu de différence. Tout au
plus peut-on espérer, grâce à la chance ou à un geste de protection
efficace, ne pas être mort ou inconscient après le premier impact. Dans
cette hypothèse, il est absurde de se jeter aveuglément et sans délai
dans la bataille en recourant à des répliques standardisées alors que
l’agression peut prendre les aspects les plus divers et
improbables ; c’est un pis-aller dangereux. Mieux vaut s’engager
dans des manœuvres d’évitement ou de fuite qui permettront de se
soustraire à l’agression ou d’évaluer les forces en présence afin de
réagir avec discernement et efficacité. Des paroles lénifiantes, des
gestes d’apaisement, des astuces feront gagner du temps pour observer,
analyser et décider d’une tactique. Une personne proche, un objet à
portée de main, la configuration des lieux, une stratégie intelligente
ou une autre opportunité pourront offrir une aide précieuse pour se
défendre alors qu’une réplique suicidaire les aurait négligés.
Si on est totalement surpris, les
méthodes de self-défense ne servent à rien ; passé le moment de
surprise, elles sont néfastes. Alors, pourquoi suscitent-elles un tel
engouement ? Parce qu’elles correspondent à une vague demande et
que leurs promoteurs les présentent comme étant efficaces, faciles
d’accès et d’assimilation rapide. Ainsi, la fédération française de
karaté qui perdait des adhérents a développé le « karaté défense
training » pour capter de nouvelles recrues ; énième méthode
de self-défense qui clame sa démarche
marketing dans l’amalgame incongru de mots japonais, français et
anglais. Le marketing et la publicité feraient-ils acheter n'importe
quoi ? Seulement quand on veut bien se laisser conditionner, quand
on ne
réfléchit pas suffisamment, quand on laisse l'ego aux commandes.
Les clubs de vrai budo sont devenus rares ; la plupart
sont aujourd’hui plus proche du sport de combat ou de la self-défense
que de l’art martial, en particulier en France où la fédération a
toujours impulsé un esprit beaucoup plus sportif — c'est sa
vocation
première — que martial. C’est fort dommage car le budo est
la seule voie qui permet de concilier sécurité et sérénité
— personnelles
et collectives —, d’abord en associant la maîtrise martiale à
l’éclosion de nouvelles dispositions spirituelles, ensuite en
respectant un principe immuable : il faut réfléchir avant
d’agir ; condition sine qua non pour ne pas propager le chaos
autour de soi. Le budoka accompli suit une philosophie claire
et humaniste qui oriente son existence sans la moindre ambiguïté. Tel
le samouraï, il vit comme il s’entraîne, avec la même application et la
même vigilance ; c’est l’attitude kufu qui consiste à tout
exécuter à la perfection. L’attention extrême portée en permanence à
toutes les activités, de la plus anodine à la plus importante, permet
de voir et d’enregistrer l’événement apparemment insignifiant, le
détail le plus ténu, l’information subliminale. Un vrai budoka
n’est jamais surpris.
« Bien se connaître » :
une nécessité connue depuis la Grèce antique.
Cette opposition entre la réponse
réflexe et la réponse élaborée consciemment ne s’arrête pas au
paradigme des
agressions ; toutes les relations à autrui sont concernées. Afin
de bien cerner cette problématique, demandons-nous à quel type
psychologique appartiennent les gens toujours sûrs d’eux, qui ont
réponse à tout, qui répliquent de façon fulgurante, ces divers
comportements entretenant des liens étroits.
La réponse instantanée physique ou orale, qui exclut toute réflexion,
ne surgit pas par miracle. Elle a été élaborée longtemps à l’avance en
prévision d’un événement ou d’une question à forte probabilité de
survenue ; elle sera donc souvent approximative, la sollicitation
du moment étant rarement conforme aux prévisions. Elle peut également
provenir d’un simple conditionnement ; dans ce cas, elle sera
convenue, inapte à redonner à l’intelligence la place qui lui revient.
Quant à la certitude ostensiblement affichée et à l’omniscience
proclamée, elles ressortissent à la manipulation et ont recours à des
procédés de camouflage de l’ignorance et de l’incompétence. Ceux qui
s’adonnent quasi exclusivement à ces pratiques croient ― ou on leur a
fait croire ― que ce sont les seules méthodes qui leur permettront de
réagir efficacement et d’impressionner un auditoire, un contradicteur
ou des agresseurs. Ils craignent que leurs capacités d’observation,
d’analyse et de prise de décision ne soient pas suffisantes pour faire
face rapidement à l’imprévu ; ils ont peur qu’un temps de
réflexion soit interprété comme de l’incompétence ou un manque
d’assurance qui offrirait à la partie adverse l’opportunité de lancer
ses piques. L’utilisation de ces artifices plus ou moins conscients
leur procure un sentiment de sécurité. En vérité, ceux qui ont besoin
de ces béquilles pour s’imposer, pour apparaître sûr d’eux, ne se font
pas réellement confiance, mais ils veulent qu’on croie en leur
assurance ; ce en quoi ils finissent par croire eux-mêmes. Ce
qu’ils prennent pour de la confiance en soi n’est qu’une forme
d’autosuggestion. Ce sont des illusionnistes, des crypto-angoissés. Et
ils ont raison d’être stressés, car être sûr de soi est la garantie
de s'enferrer dans l'erreur d'appréciation et d’être surpris par
l’aléa, l'imprévu ou le piège qui ne manqueront pas de survenir.
Si nous excluons ceux qui présument
pouvoir se faire confiance alors qu’ils sont aveuglés par leurs
conditionnements et leurs pulsions, il reste un très petit pourcentage
d’heureux élus dans l’univers de la vraie confiance en soi. Cela
s’explique par le préalable nécessaire à son éclosion dont peu de gens
ont conscience : la connaissance de soi que l’ego s’applique à
maquiller, à déformer, à escamoter. Toutefois, bien se connaître ne
permet pas de tout surmonter, mais donne une indication fiable du
potentiel d’action dont on dispose. Celui-ci peut s’améliorer grâce à
l’apprentissage, à l’entraînement et au développement des qualités
mentales, mais si quelques petites années suffisent aux plus doués pour
acquérir un niveau de connaissance académique ou technique honorable,
la maîtrise de l’esprit exige un long travail avant d’atteindre un état
de conscience supérieur : mushin, mushin-no-shin ou kensho.
Les vrais budo conduisent sur cette difficile voie ; ils
ne négligent pas pour autant la partie technique, mais ce n’est pas
leur seul axe de travail.
La vraie confiance en soi n’arrive donc pas par hasard ; elle est
le fruit d’une certaine ascèse. Toutefois, elle n’est pas inaccessible.
Idéalement, dans l’état de conscience kensho, l’esprit est en
prise directe avec la réalité. Ego n’existe plus ! Les obstacles
qu’il dressait ont totalement disparu. Ainsi la confiance en soi peut
être à son zénith, car le monde intérieur comme le monde extérieur
apparaissent avec la plus grande clarté. Mais si cet état d’esprit est
extrêmement difficile à atteindre, d’autres s’offrent à nous plus
aisément. En particulier mushin, qui consiste à bâillonner
momentanément l’ego, est envisageable avec une dose d’effort très
raisonnable. Certes l’esprit conserve des zones d’ombre, mais on a
conscience de celles-ci et le niveau de confiance s’établit en tenant
compte de ce handicap.
Être sûr de soi — attitude mentale
proche de la confiance en soi purement psychologique qui fait fi de la
réalité — est malgré tout une attitude tentante, car elle s’est érigée
en modèle d’efficacité quasi universel. De plus, elle est beaucoup plus
facile d’accès que la vraie confiance en soi ; il s’agit d’une
technique, verbale et posturale, qui s’apprend assez rapidement.
D’ailleurs, il est utile de la connaître, puisque, comme on l’a vu,
elle inhibe la combativité de nombreuses personnes, facilitant ainsi la
conclusion des échanges tendus. Cependant, il faut en user avec
parcimonie et à bon escient. À trop y recourir, on risque de devenir un
de ces personnages arrogants et invivables qui vivent dans la peur
permanente d’être démasqués.
Quand on a compris tout cela, acquérir une véritable confiance en soi,
grâce à une connaissance de soi physique et mentale approfondie,
conjuguée à une excellente capacité d’observation, d’analyse et de
décision apparaît comme un objectif essentiel, motivant, mais exigeant,
car il va falloir contraindre l’ego au silence. Toutefois,
parvenir à un niveau de conscience supérieur en étant nul ou faible
dans un domaine technique particulier permettra juste de ne pas se
faire d’illusion sur ses capacités en ce domaine. Ainsi, augmenter son
niveau de confiance face à l’agression exige de progresser dans la
maîtrise des techniques et stratégies de défense, puis de
s’auto-évaluer avec une grande rigueur.
Abandonnez toute référence à votre niveau officiel ; les dan
délivrés par une instance fédérale n’ont aucune valeur dans le monde
réel. Aucun examinateur ne peut pénétrer les arcanes de votre esprit,
or celui-ci est le général qui conduira vos troupes — capacités
techniques, physiques et mentales — à la victoire. Des soldats qui ne
sont pas ou mal commandés sont pires qu’inutiles ; ils sont
dangereux. Votre esprit doit être apte à assurer efficacement ce
commandement et vous seul pouvez en déterminer la réelle valeur, donc
ce que vous êtes vraiment capable de maîtriser. Votre niveau
d’efficacité dépend du degré de vraie confiance que la réalité
perceptible peut
vous accorder : intelligence et compétence de votre général ;
préparation et
équipement de vos troupes ; le tout en regard des forces adverses.
En effet, c’est la confiance en vous qui vous
permet d’agir à bon escient, sereinement, de façon précise et juste,
mais il faut
impérativement qu’elle se fonde sur des données objectives. Tout le
reste n'est que poudre aux yeux.
L’art du questionnement.
Pour s’améliorer, s’entraîner ne suffit
pas. Cela permet de mieux maîtriser ce qu’on sait ; ça ne permet
pas d’étendre son savoir — sachant qu’un savoir n’est rien s’il ne
débouche sur un savoir-faire. Seuls ceux qui s’interrogent avancent. À
condition, bien sûr, de trouver des réponses. Pour cela, il faut
douter, douter de tout, tout remettre en question, bannir les
certitudes, observer plus attentivement, analyser plus finement,
émettre des hypothèses, les vérifier, recommencer, y compris pour ce
qui semble définitivement acquis, car comment faire la différence entre
ce qu’on sait, ce qu’on croit savoir et les connaissances obsolètes ou
erronées ? De toute évidence, il faut être motivé, avoir envie de
découvrir, d’apprendre, de développer de nouvelles compétences, mais il
est nécessaire de s’y prendre correctement ; il y a un art du
questionnement.
Une question bien formulée contient le germe de la réponse et
aucune source ne doit être négligée.
Dans le domaine scientifique, les chercheurs ne travaillent pas seuls.
Celui qui pose la question, le thème de la recherche, ne sera peut-être
pas celui qui fournira l’essentiel du travail et de sa synthèse. Il en
va de même dans la pratique martiale ; si vous posez des questions
sensées vous obtiendrez des réponses. Peu importe que vous les trouviez
seul ou avec une aide quelconque, votre sensei en particulier.
Cependant, si le débutant doit être strictement encadré afin de ne pas
s’égarer — il faut posséder un bagage suffisant pour juger de la
pertinence d’une question ou d’une réponse —, les yudansha
doivent s’autonomiser au fur et à mesure de leur progression.
Prenons un exemple : oi zuki.
Cette technique est qualifiée par de nombreux hauts gradés karatékas
d’éducatif dénué de réalisme. Aucune question n’émanera de qui adhère à
ce dogme ; oi zuki restera éternellement un éducatif.
Cependant, ces experts ont-ils raison ? Sûrement, puisque ce sont
des experts ! Mais des experts en quoi ? La plupart sont
pollués par l’esprit de la compétition sportive ; justement là où
l’essentiel de l’efficacité a disparu. Mieux vaut postuler une réelle
efficacité du oi zuki académique dans le cadre martial de
l’agression, mais sans doute ne se manifestera-t-elle qu’après une
assimilation technique parfaite — assez rare chez les yudansha,
probablement à cause de l’idée préconçue de son inefficacité en
vraie situation d'agression abusivement comparée au combat de
compétition
sportive — et un travail d’investigation soigné. Pour cela, on
orientera sa recherche en émettant des hypothèses concrètes qui justifient
l'utilisation du oi zuki :
l’adversaire est distrait ; il recule ; il attaque de loin
avec une arme longue ; votre oi zuki permet
simultanément d’esquiver une attaque et de surprendre un
adversaire situé à l'opposé ; la main du hikite sert d’abord à saisir, à
contrôler, à menacer, à dévier ; etc. L’hypothèse doit susciter
des questions. Qu’est-ce qui peut distraire l’adversaire ?
Pourquoi reculerait-il ? Pénétrer dans son attaque me confère-t-il
un avantage ? Lequel ? La saisie de sa menace — main
avancée,
bâton, matraque, etc. — pour paralyser son action peut-elle me
permettre de me tracter et d’accélérer suffisamment mon oi zuki
pour le surprendre ? Et ainsi de suite.
Certes, ces idées et leurs
implications ne surgiront pas par hasard ; pour émerger, elles
nécessitent un certain niveau technique et une indéfectible volonté de
maîtrise, de perfection, d’efficacité, caractéristiques indissociables
de la notion de budo. Quand les bases sont assimilées, ce type
d’investigation doit induire des perspectives d’utilisation réaliste
des techniques académiques ou subtilement aménagées qu’il
faudra tester. Certaines seront des impasses, mais d’autres donneront
des résultats satisfaisants ou ouvriront la porte à un champ
d’exploration plus large. La curiosité, le besoin de comprendre,
l’ouverture d’esprit, l’amour du détail et la recherche de perfection
doivent s’installer dans les gènes du budoka authentique ;
il est la source de lumière qui éclaire ce qui reste dans l’ombre pour
les autres.
Cette méthode heuristique ne doit pas conduire à un long catalogue
d’utilisations disparates d’une technique particulière. Pour être
exploitables, vos découvertes doivent s’intégrer à vos connaissances
préalables et s’organiser selon des concepts stratégiques et logiques
afin de
construire un ensemble cohérent, de combler les lacunes, de détecter
les éventuelles failles et de préparer le lit des nouvelles
interrogations.
S’il est primordial d’examiner
soigneusement chaque technique pour détecter toutes ses potentialités,
les kata, loin de se résumer à une succession de mouvements,
recèlent d’énormes quantités d’enseignements susceptibles d’aider à
maîtriser les ennemis, tant extérieurs qu’intérieurs. Cependant, un kata
n’est pas une finalité en soi. C’est une base de travail destinée à
acquérir des compétences techniques, tactiques, stratégiques, éthiques,
psychologiques, qui, elles-mêmes, s’appuient sur des qualités physiques
et mentales. Répéter inlassablement ces formes est insuffisant pour
découvrir toute leur richesse. Certes, les kata ont souvent été
comparés à du zen en mouvement. Comme celui-ci, ils peuvent conduire à
l’illumination qui soudain éclaire toutes les zones d’ombre que
l’esprit abritait. Cependant, cette lucidité n’exclut pas la nécessité
du travail de recherche ; lucidité n'est pas synonyme de science
infuse. Techniques de base et kata doivent être régulièrement
répétés, mais il faut également les interroger. Ils détiennent les
réponses et vous les livreront si vous savez leur présenter les bonnes
questions. Soyez patient ! le savoir-faire martial ne s’acquiert
pas en un tournemain, et n’attendez pas tout de votre sensei ;
s’il fournit une réponse à une question qui ne vous est pas venue à
l’esprit, vous n’en tirerez pas un grand bénéfice, car pour assimiler
correctement un nouveau savoir, il faut en être demandeur.
Interrogez-vous ; interrogez les faits ; interrogez votre
pratique ; interrogez votre sensei ; le directeur de
recherche, c’est vous.
Un vrai budo pour une vraie confiance.
La vraie confiance en soi n’est pas une
posture, un état d’esprit permanent ou la conviction béate de sa haute
valeur. Elle s’établit quand on estime disposer de qualités et
compétences supérieures à celles exigées par une épreuve particulière,
quand la connaissance de soi et la réalité ne sont pas déformées par
les turpitudes de l’ego. Elle peut se développer à condition d’être
pragmatique et de fuir tout ce qui ressemble à de l’autosuggestion.
Pour étendre la confiance ciblée, il faut affronter des épreuves non
encore maîtrisées, mais un manque de confiance générale risque
d’inciter à la dérobade. Développer les qualités et compétences
fondamentales et transversales élèvera le niveau de confiance générale
que l’on peut s’accorder face aux inconnues d’une tâche nouvelle ou
d’un événement imprévu. Ainsi, le renforcement de la confiance générale
contribue à étendre son panel de compétences ciblée puisqu’on ne se
dérobera plus, ou moins souvent, devant la difficulté inédite.
Cependant, en dépit des assertions des pseudo-psys, cela ne fonctionne
pas dans l’autre sens ; la maîtrise d’une activité nouvelle
n’augmente pas la vraie confiance générale, sauf si elle est réellement
transposable ou si elle s’accompagne d’un accroissement des qualités
fondamentales.
Le budo a pour vocation de
procurer une confiance réaliste au budoka confronté aux
différentes formes de violence : physique, verbale ou larvée. S’il
rend sûr de soi, c’est l’assurance de s’être fourvoyé. La vraie
confiance ne se confond pas avec la certitude. Pour obtenir cette
confiance, le budoka doit viser deux objectifs :
- D’une part, museler son ego ou, mieux, l’éradiquer,
ce qui confère une qualité d’observation sans faille et une
connaissance de soi sans fard — car l’ego est une prison où les
luttes
intestines sont incessantes et dont les murs privent d’une vision
claire du monde réel — ;
- D’autre part acquérir une science du combat la plus
élevée possible.
Cependant, la résolution des embarras de
l’existence requiert en priorité des qualités intellectuelles,
mentales, relationnelles et éthiques, les compétences techniques et
spécialisées n’étant sollicitées qu’en second lieu. C’est pourquoi, la
pratique d’un vrai budo ― qui développe conjointement
toutes
les qualités de l’esprit, l’ensemble des capacités physiques et une
technique martiale complète ― améliore sensiblement la confiance
en soi
générale puisque les nombreuses qualités transversales, fondamentales,
physiques et psychiques, indispensables à la maîtrise martiale seront
utiles dans de nombreuses activités et situations.
Il ne faut donc pas se tromper de
chemin. Apparaître sûr de soi, en gonflant ses muscles, en affichant
sa morgue ou sa vanité fanfaronne, est une posture facile à adopter
rapidement, d’autant
plus qu’il n’est pas nécessaire d’être compétent, ce qui la rend
attrayante mais confine son adepte dans la médiocrité. Développer la
confiance réaliste en soi est un long parcours semé d’embûches ;
certains sont rebutés. Cependant, à l’arrivée, le bilan des deux
options n’est pas le même, loin de là.
- Un ego mis sur la touche, une parfaite connaissance de soi et
une perception limpide de la réalité permettent de porter la maîtrise
martiale à son zénith. Mais ce n’est pas tout ; ces nouvelles
dispositions spirituelles, en ouvrant les portes de l’éveil, de la
sagesse, du nirvana ou de la sapience, selon les différents vocables
usités, transcendent le budoka qui a su surmonter les obstacles
de la voie et irradient dans tous les domaines de son existence.
Il est épanoui, serein, lucide et confiant dans ses
capacités puisqu’il se connaît parfaitement ; il est
l’architecte d’un monde d’entraide, harmonieux et pacifique
où une confiance mutuelle peut enfin exister puisque fondée sur
la réalité.
- Les individus arogants, sûrs d'eux, prisonniers
de leur ego, empêtrés dans les multiples conflits qui assaillent
les esprits ordinaires, alimentent
inconsciemment les tares d’une société fondée sur la domination
de l’un
sur l’autre où l’agressivité, la tromperie et le dédain servent
d’arguties. La vraie confiance, fondée sur la réalité et non sur une
conviction, qu’ils peuvent accorder à
eux-mêmes ou à autrui est extrêmement limitée.
Développer la confiance en soi est
un objectif louable et même incontournable pour le
budoka, mais il ne faut pas se laisser griser
par les beaux discours et les propositions fallacieuses.
Seule la réalité, celle qui apparaît quand l’ego
disparaît, et des compétences maîtrisées, notamment
martiales, peuvent susciter la vraie confiance, celle
qui n’est pas une hypothétique construction mentale.
Peut-être est-il possible de l’acquérir avec d’autres
moyens que le budo, mais attention, tous les
chemins ne mènent pas au paradis ; un peu
de discernement — un ego bâillonné — est
salutaire au moment de choisir sa voie.
Sakura sensei

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