LES STYLES DE KARATÉ
Les fondateurs des quatre
principaux styles :
Chojun Myagi (Goju-ryu), Kenwa Mabuni (Shito-ryu), Gichin
Funakoshi (Shotokan-ryu) et Hironori Otsuka (Wado-ryu).
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À la
fin du 19e siècle, à Okinawa, le temps de l’entraînement
secret était révolu, mais les maîtres veillaient encore jalousement sur
leur art martial, immense trésor propre à aiguiser la convoitise,
qu’ils enseignaient à des disciples rigoureusement sélectionnés. Le
Tode comportait alors trois styles (Shuri-te, Naha-te et Tomari-te)
qui évoluèrent en deux tendances : Shorin et Shorei.
Avec le 20e siècle, le Tode devint l’Okinawa-te, puis le
kara-te
qui fut pris d’une frénésie expansive, d’abord au Japon, puis dans le
reste du monde. Et subitement, le nombre de styles se multiplia.
Aujourd’hui, la Fédération Française de Karaté répertorie un vaste
panel de styles - treize dans la rubrique « karate-do »
et vingt-deux dans « karate-jutsu » ;
classification d’ailleurs contestable. Mais ce n’est rien en regard de
ce qu’il est possible de découvrir lors d’une recherche
exhaustive : des centaines d’organisations revendiquent
des spécificités telles qu’elles justifient d’être incluses dans la
liste des styles.
Qu’est-ce qu’un style de karaté ? Cette prolifération est-elle
justifiée ? Certains styles sont-ils plus intéressants ou plus
efficaces que d’autres ?
Après avoir examiné la genèse des principaux styles de karaté, nous
tenterons de répondre à ces questions, mais au préalable, il convient
de bien circonscrire notre discours. Nous limiterons notre étude aux
styles dont la filiation avec l’art martial pratiqué dans l’île
d’Okinawa est indiscutable, même s’ils ont subi d’importantes
influences extérieures, et exclurons les synthèses de différents arts
martiaux où le karaté n’est pas majoritaire. De plus, en dépit des
qualités indéniables de certains experts contemporains, nous ne
présenterons pas la biographie de ceux qui sont nés après la seconde
guerre mondiale car leur influence n’est pas encore assurée.
À l'origine
Carrefour
des influences japonaise et chinoise, inimitable creuset d’une culture
exceptionnelle liée à une histoire qui ne l’est pas moins, Okinawa,
minuscule île (2 275 km2)
de l’archipel des Ryukyu, a
enfanté le plus abouti des arts martiaux que l’espèce humaine ait
développés. Au 19e siècle, tous ceux dont le nom a compté
dans l’histoire du karaté ont suivi l’enseignement de Sokon Matsumura,
suggérant ainsi qu’il concentrait tous les acquis techniques élaborés
par de nombreuses générations d’experts du plus haut niveau. Le karaté
était-il parvenu à son ultime perfectionnement ? Aucun document
indiscutable ne nous permet, malheureusement, de l’affirmer mais un
faisceau d’arguments, si ce n’est de preuves, nous guide vers cette
conclusion. Cependant, la multiplication ultérieure des styles, écoles
ou méthodes semble attester de la nécessité pour de nombreux experts du
20e siècle de poursuivre l’amélioration du karaté en dépit
du large consensus qui s’était opéré autour de l’enseignement de
Matsumura. Mais, devant cette étonnante prolifération de styles, on
peut légitimement se demander si la vanité de certains experts
- au demeurant excellents - qui lui ont succédé ou l’aveugle
empressement des disciples à hisser un maître un peu trop humble sur un
piédestal, voire quelque préoccupation mercantile, n’ont pas contribué
à cette anarchique accumulation.
Espérons néanmoins constater un certain nombre d’apports techniques,
psychiques ou philosophiques déterminants. Mais dans ce cas, cela fait
surgir une question embarrassante : s’il y a eu de réelles
avancées, pourquoi les autres styles ne les ont-ils pas récupérées,
annihilant ainsi les différences ? Une petite rétrospective
historique pourra peut-être nous conférer quelque lumière.
L’Histoire
a créé à Okinawa les conditions « idéales » pour l’émergence
d’un art martial à main nue sophistiqué :
- Située au confluent des ambitions
chinoises et japonaises, cette île a toujours constitué un
« merveilleux » champ de bataille.
- Le pays était agité de violentes et
incessantes tensions internes (au moins depuis le milieu du 15e
siècle) ;
- C’est sans doute le seul lieu au
monde où les armes ont été prohibées durant presque quatre siècles.
- Les armes à feu, compte tenu des
deux siècles d’isolationnisme du Japon - et en conséquence
d’Okinawa
qui était sous domination japonaise depuis 1609 - ne sont apparues
qu’à
la fin du 19e siècle.
Trois
villes d’Okinawa, aujourd’hui regroupées dans la capitale Naha, ont
constitué les épicentres de l’art martial local :
- Shuri, s'est développée autour du
palais royal. Outre le roi et sa cour, la population de cette ville
était surtout constituée d'aristocrates, de nobles, et de membres de la
haute bourgeoisie. Population renforcée par l’assignation à résidence
imposée par le roi à tous les nobles du royaume, conjointement au
désarmement de l’ensemble de la population, pour juguler toute
tentative d’insurrection. On y pratiquait le Shuri-te.
- Naha, ville portuaire, était surtout
peuplée de marins, de dockers, et de commerçants. L’art martial local
se nommait Naha-te.
- Tomari était un village de paysans
qui consacraient leur temps libre au Tomari-te.
Outre leurs qualités
martiales propres, les Okinawaïens ont puisé dans l’art des samouraïs
japonais, qui pratiquaient le ju-jutsu, et dans le wu-shu
chinois.
Concernant les apports chinois, qui ont été considérables, la
spécificité des villes de Shuri et Naha a influencé l’installation des
Chinois en fonction de leur statut social : les nobles à Shuri,
les commerçants et marins à Naha. Tomari a subi des influences plus
mitigées. La religion - le peuple et les nobles ne suivaient pas
les
mêmes rites - a certainement contribué à orienter les visiteurs
chinois
vers telle ou telle destination. Les bouddhistes chinois ont
généralement préféré Shuri, car le bouddhisme zen y était bien
implanté, notamment grâce aux samouraïs. Le taoïsme populaire a conduit
les visiteurs chinois vers les populations laborieuses de Naha et Tomari.
Voici
ce qu'on peut lire dans la quasi totalité des écrits sur la genèse
du karaté :
« Les
voyages dans l’autre sens ont suivi les mêmes
itinéraires : les habitants de Shuri vers le nord de la Chine et
ses temples bouddhistes, ceux de Naha vers le sud plus marqué par le
taoïsme. Cela explique l’énorme influence du temple
bouddhiste de Shaolin, situé en Chine du Nord, - célèbre grâce à ses
moines guerriers - sur le Shuri-te et la différenciation progressive
des deux styles, puisque le wu-shu de la Chine du
Nord et celui de la Chine du Sud utilisent des concepts de combat
différents, voire antinomiques.
On ne s’étonnera donc pas de l’adoption du nom « Shorin-ryu »
par le Shuri-te au 19e siècle, période où la Chine
constituait la référence culturelle à Okinawa, puisque
« Shorin » est la transcription okinawaïenne de
« Shaolin ». Peu de temps après, le Naha-te prendra le nom
« Shorei-ryu », du nom d’un temple du sud de la Chine.
Cela
est en grande partie faux et il convient de rétablir la vérité. En
effet, Shorin et Shorei désignent tous les deux
Shaolin dans des dialectes différents. En fait, tous les Okinawaïens
sont allés
étudier le Shaolin-quan dans le même temple en Chine du sud, dans la
province du Fukien et ont subi les mêmes
influences. Les différences de style sont donc dues uniquement aux
affinités de chaque maître pour une forme particulière de pratique.
Mais revenons un peu en arrière avec quelques biographies.
Nota bene : l’ordre de présentation du nom et du prénom obéit à des
règles variables. Au Japon les identités calligraphiées avec des kanji
sont présentées dans l’ordre « nom, prénom ». Transcrites en
alphabet occidental, les Japonais eux-mêmes utilisent plutôt la formule
« prénom, nom ». C’est celle que nous adoptons dans le
présent document. Les titres, Peichin ou Sensei, suivent le nom.
Shuri-te
Shinjo
Choken, membre de la cour du roi vers la fin du 16e siècle
et le début du 17e, est le premier nom que les annales du
Shuri-te nous ont légué. Surviennent ensuite, vers le milieu du 17e
siècle et au 18e, Chatan Yara (1668-1756), Takahara Peichin
(1683-1760), Kushanku (?-1790), ambassadeur militaire chinois et maître
de kempo Shaolin, sur lequel nous possédons peu de
renseignements mais que nous retrouvons dans le nom d’un kata
-
Kushanku ou Kosokun ou Kanku - et Tode Sakugawa (1733-1815). Sokon
Matsumura (1797-1889) marquera la fin de l’histoire du Shuri-te et
l’avènement du Shorin-ryu.
Yara est né dans le
petit village de Chatan à Okinawa.
Il séjourna une vingtaine d’années en Chine où il apprit plusieurs
styles de boxe chinoise. À son retour à Okinawa il acquit très
rapidement une enviable réputation d’efficacité.
Il fut l'un des maîtres de Takahara Peichin.
Vers la fin de sa vie, il a enseigné à Sakugawa, en particulier le kata
Hakusturu
(kata de la Grue Blanche). C’est alors que le vieux Yara et le
jeune Sakugawa rencontrèrent Kushanku qui leur apprit son légendaire kata.
Chacun l’enseigna à son tour à ses propres
élèves. La version de Sakugawa, qui, selon diverses sources, n’en
aurait pas très bien compris les subtilités, nous est parvenue par
l’intermédiaire de Sokon Matsumura (1797-1889) ; celle de Yara,
certainement plus fidèle au modèle d’origine, a cheminé sur une voie
pavée de noms moins célèbres pour aboutir à Chotoku Kyan (1870-1945).
Évidemment ces divergences d’interprétation nous interpellent, mais que
dire des sept versions nettement différenciées qui existent
aujourd’hui ?
- Takahara Peichin (1683-1760)
Shinun Ho Takahara est
né dans le village d'Akata, province de Shuri. Il fut conjointement
moine bouddhiste Shaolin, astronome, cartographe et maître tant de
Shuri-te primitif que de Shaolin kempo.
Voyant les arts martiaux comme un mode de vie et bien que le « do »
n’ait pas encore fait son apparition dans ce domaine, il établit une
« éthique » du parfait combattant : compassion,
humilité, modestie, fidélité et compréhension profonde de l'essence des
techniques.
Il accordait une importance primordiale aux kata qui étaient,
selon lui, des outils efficaces pour comprendre et tester les
techniques de combat.
Sakugawa, personnage légendaire du Shuri-te, fut son principal
disciple.
Le titre honorifique de « Peichin » lui fut accordé par le
roi, pour services rendus au pays.
- Tode Sakugawa (1733-1815)
On trouve parfois les
dates 1762-1843 correspondant vraisemblablement au fils Sakugawa qui,
bien que maître d’art martial lui aussi, n’est pas celui qui est entré
dans la légende.
De son vrai nom Kanga Sakugawa, il fut disciple, pendant six ans de
Takahara Peichin, puis, à partir de 1756, pendant six ans de Kushanku.
C'est de Kushanku qu'il a appris la technique appelée « hikite ».
Il fit plusieurs voyages en Chine pour perfectionner son art, ce qui
contribua dans une large mesure à l’évolution du Shuri-te, mélange de
techniques locales et de kung-fu Shaolin. À son retour à Okinawa, il
était considéré comme étant le plus grand expert local de boxe
chinoise, d'où son surnom : Tode (main de Chine).
Il eut de nombreux disciples, mais le plus éminent fut Sokon Matsumura.
- Sokon Matsumura (1797-1889)
À noter que des dates
différentes et plus tardives sont très souvent citées pour encadrer la
vie de Matsumura, mais seules les dates que nous avons mentionnées
s’articulent correctement avec celles de ses contemporains.
Appelé aussi Bushi (guerrier) Matsumura, il est issu de la noblesse
locale et commença l'apprentissage du Shuri-te à l'âge de dix ans, sous
la férule de Tode Sakugawa dont il fut le dernier disciple et devint le
successeur.
Ses qualités de combattant étaient si exceptionnelles qu'il devint très
rapidement, en 1816, à l'âge de dix-neuf ans, le responsable et
instructeur de la garde du palais de Shuri et garde du corps personnel
du roi. Il est resté à ce poste sous les trois derniers règnes des rois
d'Okinawa.
Il s'entraîna avec plusieurs maîtres chinois dont un dénommé Chinto. Il
créa, en son honneur, un kata qui porte son nom (Gankaku en
prononciation
japonaise).
Il systématisa son art pour pouvoir l'enseigner et y introduisit les kata
Kushanku et Hakutsuru, que Sakugawa lui avait enseignés, et créa, outre
Chinto, les kata Passai (Bassai) et Gojushiho. Afin de
renforcer le corps et permettre de développer la stabilité du
combattant dans des déplacements rapides, il inventa le kata
Naihanchi (Tekki).
Parmi ses disciples, il convient de distinguer Anko Itosu (1830-1915),
son successeur officiel.
À la fin de sa vie, il intégra les kata du Tomari-te et ceux du
Shuri-te dans un style unique qu’il nomma « Shorin-ryu ».
Tous les styles modernes de karaté, sans aucune exception, sont issus
de son enseignement, y compris, en partie, le Goju-ryu et le Uechi-ryu.
Tomari-te
Ce style, qui ne s’est réellement affirmé qu’au 19e
siècle, comportait quelques kata originaux, mais sa forme générale
était très
proche du Shuri-te, car les deux villes, sous l’impulsion de Sokon
Matsumura et Kosaku Matsumora - attention à la confusion entre ces
deux
noms -, se sont progressivement engagées dans une fructueuse
collaboration alors que la rivalité est restée vive avec Naha.
- Kosaku Matsumora (1829-1898)
C’est la figure de
proue du Tomari-te.
Il a d'abord étudié le Tomari-te avec Karyu Uku (1800-1850) puis avec
Kishin Teruya (1804-1864) lequel lui a enseigné les kata
Rohai, Wanshu (Empi) et Wankan.
Ensuite, il fut un certain temps disciple de Sokon Matsumura. Il
s’entraîna également avec le Chinois Chinto qui lui aurait appris
Chinte, Jiin et Jitte.
Il avait une soixantaine d’années quand Kentsu Yabu (1866-1937) et
Choyu Motobu (1865-1927), deux disciples d'Anko Itosu, vinrent le
défier comme cela se pratiquait couramment à Okinawa. Mais Matsumora
utilisa une autre voie que le combat pour s’imposer : Yabu et
Motobu ont bu le thé, écouté les préceptes de Matsumora sur les
« règles de la politesse » et l’ont quitté en l’appelant
« Maître ».
On pense généralement que les dimensions morale et philosophique sont
l’apanage du karate-do ; ce deuxième exemple, le premier
étant Takahara, montre que le karate-jutsu ― la transition
s’est opérée dans la première moitié du 20e siècle ― de
Matsumora ne négligeait pas l’aspect spirituel de l’art martial.
Ses deux principaux disciples furent Chotoku Kyan (1870-1945), et Choki
Motobu (1871-1944 ; frère de Choyu).
Naha-te
Alors
que les apports chinois ont simplement enrichi le Shuri-te dont la
genèse se perd dans la nuit des temps, le Naha-te a subi une influence
du wu-shu nettement plus marquée. L’histoire de ce
style démarre beaucoup plus tardivement puisqu’on ne trouve pas de
personnalité marquante avant le milieu du 19e siècle.
- Seisho Aragaki (1840-1918)
Naissance à Kumemura ou
sur l'île voisine de Sesoku, Okinawa. Fonctionnaire et interprète à la
cour royale d’Okinawa, il eut pour professeur le Chinois Wai Xinxian de
Fuzhou, une ville de la province du Fujian.
Il était célèbre pour l'enseignement de Unshu (Unsu), Seisan
(Hangetsu), Shihohai, Niseishi (Nijushiho), Sanchin et pour sa maîtrise
des armes du kobujutsu.
Les techniques et kata d’Aragaki sont disséminées dans un
certain nombre de styles modernes de karaté et de kobudo. Le
Chito-ryu - créé par Tsuyoshi
Chitose ; à ne pas confondre avec le Shito-ryu - est sans
doute le
style le plus proche de l’enseignement d’Aragaki. C’est sans doute la
raison, alliée au fait qu’il n’est pas né à Naha, pour laquelle Aragaki
est rarement cité comme précurseur du Naha-te. Cependant, sa formation
martiale essentiellement chinoise et l’influence qu’il a eue sur le
jeune Higaonna l’inscrivent sans
ambiguïté dans cette lignée.
- Kanryo Higaonna (1853–1915)
Parfois aussi appelé
Higashionna, il est né à Naha, sur l'île d'Okinawa, de parents
marchands de bois de chauffage.
Au début des années 1860, il débuta l'étude des arts martiaux sous la
férule de Seisho Aragaki. Plusieurs autres maîtres, dont Matsumura,
complétèrent sa formation.
En 1877, Higaonna s'embarqua pour Fuzhou. Il y passa plusieurs années
pour étudier, presque à plein temps, les arts martiaux chinois avec
plusieurs professeurs, notamment Liu Liu Ko que Higaonna citait comme
quelqu'un d'extrêmement fort.
En 1885, Kanryo Higaonna retourna à Okinawa et reprit l'affaire
familiale. Il commença aussi à enseigner les arts martiaux à Naha et
dans les alentours. Il se distinguait dans son style par l'intégration
de techniques à la fois dures
(go) et souples (ju) dans un système unique. Il devint
tellement incontournable que le nom Naha-te finit par être assimilé à
son enseignement.
Higaonna était connu pour son puissant kata Sanchin.
À sa mort, en 1915, il laissa quelques rares disciples, mais on compte
parmi ceux-ci quelques-uns des maîtres les plus influents du
karaté : Chojun Miyagi (1888–1953), Shigehatsu Kyoda, Koki Shiroma
et Seiko Higa (1898-1966).
Miyagi, qui fondera plus tard le Goju-ryu lui succéda à la tête de
l’école.
Comment
expliquer l’avance historique prise par le Shuri-te sur les deux styles
concurrents, Tomari-te et Naha-te ?
Quand on souhaite une réelle efficacité, on se dote d’une arme ;
le combat à mains nues n’est qu’un pis-aller. Cependant, les armes sont
interdites dans le royaume d’Okinawa depuis le 15e siècle.
Or, à Shuri résident les nobles ; leur seule arme est le sabre. Si
le roi leur en interdit le port, il ne leur reste que leurs mains. Naha
et Tomari sont des villes de travailleurs qui utilisent de nombreux
outils difficiles à interdire ; tout naturellement, ces outils
deviennent les armes du kobu-jutsu et c’est seulement quand la
surveillance
des samouraïs s’accroît que le combat à mains nues se développe. De
plus, les nobles de Shuri n’ont rien à faire et peuvent consacrer
beaucoup de temps à l’entraînement alors que paysans ou pêcheurs ne
connaissent guère le temps libre.
Shorin-ryu
Ainsi
nommé par Sokon Matsumura, ce style est donc, pour l’essentiel, issu de
concepts de combat tirés du
Shuri-te, du Shaolin quan (poing de Shaolin) et, de façon plus
marginale, du Tomari-te. Le Shorin-ryu est aujourd’hui encore très
pratiqué, mais de grandes différences s’observent entre chaque maître.
Les principaux disciples de Matsumura, en dehors de son petit fils,
Nabe - qui n'eut qu'un seul et unique élève, Hohan Soken (1889-1982) -,
furent Yasutsune Azato (1827-1906), Anko Itosu (1830-1915), Kentsu Yabu
(1866-1937), Chomo Hanashiro (1869-1945) et Chotoku Kyan (1870-1945).
Cette liste, non exhaustive de maîtres présente quelques figures, parmi
les plus marquantes de l'histoire du Shorin-ryu.
Yasutsune Itosu, plus
connu sous le nom Anko Itosu, fut le disciple de Sokon Matsumura entre
1840 et 1848.
C'est lui qui introduisit dans les écoles d'Okinawa, au début du 20e
siècle, l'entraînement de l'Okinawa-te ―appelé ainsi, pour gommer les
différences entre les différents courants du Tode et aussi pour
supprimer les références à la Chine, les séquelles de la guerre
sino-japonaise (1894-1895) étant encore trop fraîches. Afin de
valoriser l’aspect éducatif du karaté, il le transforma en une forme
d’éducation physique.
Anko Itosu jugeait les kata anciens trop complexes pour des
collégiens ; aussi créa-t-il, en 1907, des kata
simplifiés, les Pinan (Heian), à partir des kata
Passai et Kushanku. Il scinda aussi le kata Naihanchi en trois
afin de rendre son apprentissage plus facile. On lui attribue également
la création de Kosokun-sho (Kanku-sho) et Shiho-Kosokun.
Porté par son élan, il modifia notablement la quasi-totalité des kata
que ses maîtres lui avaient transmis. Ce fait, conjointement à
l’abandon de l’aspect martial du karaté, lui sera reproché par une
partie des maîtres d’Okinawa qui préféreront continuer à se référer à
Sokon Matsumura.
Il eut néanmoins de très nombreux disciples, dont les quatre principaux
furent Shoshin Chibana, Gichin Funakoshi, Shinpan Shiroma et Kenwa
Mabuni.
Il a été surnommé « le père du karaté moderne ». Il peut
également être considéré comme celui qui dénatura le plus profondément
l’héritage du Shorin-ryu.
- Yasutsune Azato (1827-1906)
Il fut, comme son ami
Anko Itosu (mêmes prénoms, Yasutsune, et mêmes surnoms, Anko), un
disciple éminent de Sokon Matsumura.
Il est aussi devenu excellent cavalier et expert de l'école de sabre
Jigen-ryu. Contrairement à Itosu, il est resté fidèle au fondement
martial du Tode.
Gichin Funakoshi (1868-1957) était dans la même classe que son fils, à
l'école primaire, et c'est tout naturellement qu'il devint son disciple
avant de poursuivre avec Itosu.
La plupart de nos maigres connaissances à son sujet nous viennent de
Funakoshi.
Né à Shuri, il a
commencé l'entraînement chez Sokon Matsumura, puis chez Anko Itosu,
disciple et successeur du précédent.
Il enseigna lui-même le Shorin-ryu de 1910 à 1930 à Okinawa.
Son fils est connu aux États-Unis comme expert Shorin-ryu sous le nom
de Yabe.
Il est cité dans de multiples faits marquant l’histoire du karaté mais
souvent en association ou dans l’ombre d’un autre maître.
- Chomo Hanashiro (1869-1945)
À un âge précoce, il
débuta avec Sokon Matsumura et poursuivit avec Anko Itosu dont il
devint l’adjoint. Dès le début du
20e siècle, Hanashiro a enseigné dans une école secondaire à
Shuri.
Dans les années 1920, Hanashiro était l'un des maîtres les plus réputés
à Okinawa. Il fut l’un des premiers, en 1905, à utiliser le terme
« karate ».
Chomo Hanashiro eut quelques étudiants célèbres : Shigeru Nakamura
(1894-1969), Tsuyoshi Chitose (1898-1984 ; fondateur du
Chito-ryu), Chozo Nakama (1899-1982 ; fondateur du Shubokan) et
Zenryo Shimabukuro (1904-1969 ; fondateur du Seibukan Shorin-ryu).
Né à Shuri, c'est l'un
des maîtres d'Okinawa les plus connus.
Il fut initié au karaté par son père, qui put l'introduire auprès de
Sokon Matsumura.
Avec Matsumura il apprit les kata Seisan et Gojushiho.
Avec Matsumora, il apprit l'ancienne version de Passai et Chinto. Un
disciple de Chatan Yara lui enseigna Chatan Yara no Kushanku.
Il est presque certain que le karaté de Chotoku Kyan est resté l'un des
plus fidèles au karaté d'origine pratiqué au 19e siècle, et
même avant, à Okinawa.
Redoutable combattant, de petite taille, il développa un karaté basé
sur les esquives. À une époque où les défis étaient courants, il n'a,
parait-il, jamais été battu. Il donna le nom de Sukunai-Hayashi-ryu à
son style de karaté.
Outre Shoshin Nagamine (1907-1997), qu'il désigna comme successeur, ses
deux élèves les plus fidèles furent Zenryo Shimabukuro (1908-1969) et
Joen Nakazato (né en 1922).
Nakazato a créé en 1954 le Shorinji-ryu pour le différencier du
Shorin-ryu dont il est issu.
- Shoshin Chibana (1885-1969)
Aussi nommé Chojin
Kuba, il fut, dès l'âge de quinze ans, le disciple d’Anko Itosu jusqu'à
la mort de celui-ci. À l'age de trente-cinq ans, il ouvrit un dojo à
Shuri et nomma son école Kobayashi-ryu, qui est une des prononciations
japonaises possibles des idéogrammes utilisés pour transcrire
Shaolin-shu.
En 1956, il fut le premier président de l'Okinawa Karate-Do Renmei
(fédération qui regroupe l'ensemble des styles de l'île).
Il créa, en 1961, l'Okinawa Shorin-ryu Karate Kyokai.
Enseignant de très grande réputation, il eut de très nombreux
disciples. Les principaux furent Yuchoku Higa (1910-1994), Shuguro
Nakazato (né en 1919), Katsuya Miyahira (né en 1916).
- Shinpan Shiroma (1890-1954)
Connu aussi sous le nom
de Gusukuma (prononciation chinoise de Shiroma).
Élève de Anko Itosu, il conserva l'enseignement de son maître et le
transmit tel quel à de nombreux disciples, parmi lesquels Yoshio
Nakamura (né en 1916), et Ankichi Arakaki (1899-1927).
Parallèlement, il étudia le Goju-ryu, avec Kanryo Higaonna.
Il participa à la création de l'école Shito-ryu, avec son ami Kenwa
Mabuni.
- Shoshin Nagamine (1907-1997)
Soldat, puis officier
de police et, surtout, grand maître de karaté.
Naissance à Tomari. Il fut un enfant chétif et maladif. En 1926 atteint
de graves troubles gastriques, il commença seul un régime sévère et se
mit au karaté sous la surveillance bienveillante de son voisin, Shoshin
Chibana. Il recouvra rapidement une bonne santé, grâce à un dur
travail, tant à l'école qu'à l'entraînement de karaté. Il finit par
avoir une telle condition physique, qu'il devint le leader du club de
karaté de son lycée et fut surnommé Chaippai Matsu (le pin tenace).
Il continua l'étude du Karaté l’année suivante avec Ankichi Arakaki et
poursuivit avec Taro Shimabuku (disciple de Chotoku Kyan).
Plus tard, après avoir été démobilisé de l'armée japonaise avec
laquelle il a combattu en Chine, il entra dans la police et s'entraîna
avec Chotoku Kyan et Choki Motobu (1871-1944).
En 1953, ayant pris sa retraite de la police, il rentra à Naha et y
ouvrit son propre
dojo qu'il nomma Centre Matsubayashi-Shorin-ryu (école Shorin de la
forêt de pins).
Il créa, en collaboration avec Chojun Miyagi (1888-1953 ; créateur
du Goju-ryu), deux nouveaux kata très simples, les Fukyugata
qui sont des kata
préparatoires pour les débutants.
Il enseigna jusqu'à sa mort en 1997. Son fils lui succéda à la tête de
son dojo.
- Katsuya Miyahira (né en 1916)
Disciple de Shoshin
Chibana, de qui il apprit surtout les kata enseignés par Anko
Itosu, c'est avec Choki Motobu qu'il s'est initié au kumite.
Miyahira affirme : « Sans makiwara, il n'y a pas de
karaté ».
Un de ses élèves, Kenyu Chinen (né en 1944), enseigne à Paris le
Shorin-ryu et le kobudo qu’il a appris de Shinpo Matayoshi
(1922-1997), expert de Shorin-ryu et grand spécialiste de kobudo.
- Yoshio Nakamura (né en 1916)
Il fut le disciple de
Shinpan Shiroma, lui-même élève d’Anko Itosu.
Il connut la plupart des grands maîtres de karaté d'Okinawa. Il possède
une vaste connaissance des arts martiaux et de leur histoire.
Bien qu’ayant débuté le karaté très jeune, ce n'est qu'à l'âge de
cinquante ans qu'il pensa être capable d'enseigner le karaté dans son
dojo de Naha, qu'il a appelé le En-Bu-Kan (Temple de la Culture
Martiale).
Son enseignement très traditionnel perpétue l'apprentissage des kata
originaux Shorin-ryu. Spécialiste des bunkai, Nakamura a mené
une vie de recherche sur la
complexité et l'utilisation des techniques utilisées en kata.
Il est président de la Zen Okinawa Karate-Do Renmei.
Yoshio Nakamura a mis par écrit son expérience et une partie de son
savoir dans un ouvrage intitulé : « Shuri Shorin-ryu
Karate-do ».
- Shuguro Nakazato (né en 1919)
Né à Naha, il commença
le karaté au Japon à l'âge de seize ans.
Après la guerre, il devint disciple de Shoshin Chibana.
Au décès de son maître en 1969, il sera officiellement le successeur de
cette école malgré son statut de disciple externe
(soto deshi).
Son courant se nomme le Shorinkan et est l'une des grandes branches
actuelles du Shorin-ryu.
Tous les maîtres que nous venons de présenter se sont toujours référé
au terme Shorin ou à un de ses dérivés mais chacun a cultivé sa
différence dans la lignée du Shorin-ryu de Sokon Matsumura ou celle
d’Anko Itosu, ce qui nous offre aujourd’hui un vaste éventail de styles
se réclamant d’une origine commune.
Certaines constantes peuvent néanmoins caractériser le
Shorin-ryu :
- Des postures relativement hautes, quasi naturelles, et souples ;
- Une grande rapidité des déplacements ;
- Un travail approfondi des kata ;
- Une respiration naturelle et non forcée ;
- Des techniques de frappes plus directes que circulaires.
Bien d’autres maîtres
ont reçu le Shorin-ryu en héritage, mais pour diverses raisons, ils ont
abandonné cette dénomination et en ont plus ou moins modifié le contenu
technique ou philosophique. Voici les principaux :
Shotokan
Ce style est aujourd’hui le plus pratiqué dans le Monde
mais les variantes
liées à chaque maître sont particulièrement marquées en particulier du
fait d’une grande confusion entre la pratique du père Funakoshi et
celle du fils qui étaient extrêmement dissemblables.
- Gichin Funakoshi (1868-1957)
Né à Shuri, il est le
descendant d'une lignée de samouraïs.
Vers sa dixième année, il commença sa formation martiale avec Anko
Azato. Quelques années plus tard, il s’entraîna occasionnellement avec
Anko Itosu qui devint son seul maître à la mort d’Azato en 1906. Bien
qu’étant resté beaucoup plus longtemps avec Azato, c’est le karaté
d’Itosu qu’il choisit de transmettre, pensant ainsi mieux répondre aux
désirs de la jeunesse nipponne qui rejetait les valeurs ancestrales et
s’émerveillait des nouveautés occidentales comme la boxe anglaise.
Il effectua en 1916, à Kyoto, une démonstration qui fut sans doute la
première en dehors d’Okinawa.
En 1922, à l'âge de cinquante-quatre ans, il présenta le karaté
d'Okinawa au ministère de l'éducation à Tokyo. Cette deuxième
démonstration publique de karaté au Japon, eut quelque succès et le
fondateur du judo, Jigoro Kano, invita Funakoshi au célèbre
dojo du Kodokan, pour qu'il fasse une démonstration devant des
spécialistes des arts martiaux. À la suite de sa prestation, il
commença à donner des cours à Tokyo.
Afin de favoriser l’introduction du karaté dans l’ensemble du Japon,
Funakoshi publia en 1922 un livre intitulé « Ryukyu Kempo
Karate », le premier écrit formel sur l'art du karate-jutsu,
qui fut favorablement accueilli. Ensuite en 1929, alors que la seconde
guerre sino-japonaise était en gestation, il donna des noms japonais
aux kata pour lesquels on utilisait à Okinawa la prononciation
chinoise et, en concertation avec d’autres experts de karaté, il
changea les idéogrammes du terme « karate ». Bien que
la prononciation fût identique, la signification passait de « la
main chinoise » à « la main vide ».
Durant cette époque, Funakoshi commença à pratiquer le bouddhisme zen,
ce qui renforça l’aspect philosophique de son enseignement et le
conforta dans sa conception éducative du karaté. Il refusait toute
forme de confrontation car, prétendait-il, le karaté était trop
dangereux pour envisager des jyu-gumite. Cet aspect laisse
supposer un côté très martial à son enseignement. Mais l’absence de
mise en pratique, puisque ses entraînements se limitaient, pour
l’essentiel, au travail des kata, et sa fidélité envers les
principes développés par Itosu plaident plutôt pour une occultation du
volet martial. Ambiguïté répercutée sur ses élèves chez lesquels on
remarquera de nombreuses hésitations entre les aspects martiaux,
sportifs et éducatifs du karaté.
À la fin des années 30, des clubs de karaté s'étaient mis en place dans
les établissements d'enseignement supérieur un peu partout au Japon.
Pour accueillir correctement un nombre croissant d’élèves, en 1939
Funakoshi fit construire le
dojo « Shotokan ». « Shoto », qui signifie
approximativement « vagues de pins », est le nom qu'il
utilisait pour signer ses calligraphies et ses poésies.
Dans les raids aériens de la seconde guerre mondiale, le Shotokan fut
détruit et la croissance du karaté s'arrêta temporairement. Après la
guerre, des élèves de Funakoshi se regroupèrent et, en 1949, formèrent
la Japan Karate Association (JKA) qui avait des prétentions
hégémoniques sur l’ensemble du karaté mais ne représenta jamais que le
Shotokan, avec Gichin Funakoshi comme maître suprême officiel. Malgré
son titre, Funakoshi ne cautionna jamais les initiatives de la JKA qui
fut reconnue officiellement par le ministère de l'éducation le 10 avril
1957.
Gichin Funakoshi forma de nombreux élèves qui devinrent eux-mêmes des
maîtres renommés : Obata, Okuyama, Egami, Harada, Hironishi,
Takagi, Ohshima, Nakayama, Nishiyama, Kase.
Gichin Funakoshi a été gratifié de son vivant de l’appellation
exceptionnelle « O-sensei » (grand maître).
Cependant, en 1957, après sa mort, un désaccord public entre la JKA et
plusieurs anciens élèves de Funakoshi dont Obata, Ohshima et Egami
- créateur, quelques mois plus tard, du Shotokai -, qui se disaient
écœurés par la dérive sportive et commerciale que prenait
l'organisation officielle, entraîna une première scission.
- Yoshitaka Funakoshi (1906-1945)
C'est le fils
Funakoshi, Yoshitaka, également appelé Gigo Funakoshi, qui fut à
l'origine du style Shotokan tel qu'on le rencontre le plus souvent
désormais. Ce style est considéré comme l'un des plus puissants grâce à
des positions basses et de longues attaques. Un autre développement
technique réside dans les positions hanmi (de trois quarts)
lors des blocages. D’autre part, s’il n’en est pas l’inventeur, le fils
Funakoshi a pour le moins vulgarisé l’utilisation des techniques de
jambe : mawashi geri, yoko geri kekomi et keage,
ura mawashi geri et ushiro geri.
Gichin Funakoshi a laissé une empreinte plus marquée que son fils grâce
à ses écrits et à sa longévité, mais les transformations techniques
adoptées par le Shotokan sont en majorité l’œuvre de Gigo Funakoshi. Le
père s’est beaucoup soucié de l’esprit, le fils a privilégié le corps.
Son karaté fut martial, grâce à sa recherche passionnée de
l’efficacité,
et sportif - mais pas encore victime des dérives liées à la
compétition -, compte tenu de ses exigences physiques pas toujours
respectueuses de l'anatomie.
- Masatoshi Nakayama (1913-1987)
Nakayama est né dans la
préfecture de Yamaguchi. Il commença à étudier le karaté en 1932 sous
la direction de Gichin Funakoshi et de son fils.
En 1949, il a participé à la fondation de la JKA et fut nommé
instructeur en chef. Nakayama est connu pour avoir travaillé à la
diffusion du Shotokan dans le Monde grâce à la mise en place d’un
système de formation d’entraîneurs de haut niveau qui furent envoyés en
délégation sur tous les continents.
Malheureusement, après sa mort, la JKA a subi de profondes dissensions.
Ainsi sont nées plusieurs organisations :
- Japan Shotokan Karate Association
avec Keigo Abe (très fort compétiteur, né en 1938).
- Japan Karate Shotokai avec
Tetsuhiko Asai (grand champion kata et kumite ayant
développé un karaté très fluide, en esquives, presque une danse ;
1935-2006).
- Karatenomichi avec Mikio Yahara
(célèbre pour son kata de compétition Unsu et sa victoire lors
d’une altercation qui l’aurait opposé à 34 yakusa, il s’est
orienté vers la recherche de l’efficacité absolue des atemi ;
né en 1947).
- Hidetaka Nishiyama (1928-2008)
Né à Tokyo, Nishiyama a
commencé le kendo en 1933, puis le judo en 1938. En 1943, il a commencé
à s'entraîner au karaté avec Gichin Funakoshi.
Il a participé à la fondation de la JKA et a été élu au conseil
d'administration.
En 1952, il fut chargé d’entraîner les militaires américains du
Strategic Air Command.
En juillet 1961, il s’installa aux États-Unis et organisa le premier
championnat national de karaté à Los Angeles où il avait établi son
dojo.
Après avoir œuvré à la création de diverses structures de karaté
amateur destinées à promouvoir le karaté sportif, Nishiyama fonda en
1985 la Fédération Internationale de Karaté Traditionnel (ITKF) qu’il
fit reconnaître comme seul organe directeur du karaté traditionnel à
l’échelon mondial. Sans doute a-t-il joué sur la signification du terme
« traditionnel », car la trace qu’il laisse est plus sportive que
martiale. Certes, il a essayé de redorer le blason martial du karaté
mais sans jamais abandonner la compétition. D’ailleurs, ses élèves les
plus connus sont tous d’anciens champions.
Naissance à Tokyo. Dès
l’âge de cinq ans il pratiqua le judo assidûment. En 1944, alors qu’il
avait commencé à s’initier à l’aïkido, il découvrit le livre « Karate
Do Kyohan » de Gichin Funakoshi et décida de se rendre au Honbu Dojo
Shotokan où le fils Funakoshi, Yoshitaka, l’accepta malgré son jeune
âge, après une longue discussion sur le budo. Cette rencontre
fut une révélation et, bien
qu’il se soit peu entraîné avec lui, la pratique de Yoshitaka fut un
choc pour le jeune Kase et le modèle qu’il chercha sans cesse à imiter.
Dans son enseignement, Taiji Kase se référa constamment à ce fils
Funakoshi qui recherchait « plus de mental, plus de puissance, plus
d’énergie ».
En 1945, il entra à l’université Senshu d’où il sortit diplômé en 1951.
Il fut capitaine de l’équipe de karaté, ce qui lui permit de pratiquer
intensément avec Genshin Hironishi (1913-1999), un des rares 5e
dan nommés par Gichin Funakoshi, et Jotaro Takagi,
un des plus fidèles élèves de Yoshitaka Funakoshi. Présenté par
Hironishi, il entra à la JKA et devint un professeur des plus
qualifiés. Il entraîna de jeunes instructeurs : Enoeda
(1935-2003), Shirai (né en 1937), Kanazawa (né en 1931), Ochi (né en
1940).
En 1965 et 1966, il dirigea sans relâche des entraînements et des
démonstrations à travers le monde pour le compte de la JKA.
Il se fixa à Paris en 1967.
À la fin de sa vie, il était convaincu que le développement sportif du
karaté moderne, bien qu’il y ait largement contribué en formant de très
nombreux champions, faisait perdre au karate-do son âme
authentique et était incompatible avec le concept de budo.
Kase décède à l’âge de soixante-quinze ans à Paris. L’empreinte qu’il
laisse est particulièrement marquée en France, mais aussi en
Yougoslavie, Italie, Algérie, Mali et Côte d’Ivoire.
- Tsutomu Ohshima (né en 1930)
Ohshima est né en Chine
ou il passa son enfance. Très jeune il s'initia au sumo, au kendo puis
au judo.
De retour au Japon juste avant le début de la 2e guerre
mondiale, il découvrit le karaté. Inscrit au Waseda Karate Club, de
1948 à 1953 il étudia directement sous la férule de Gichin Funakoshi
qui lui décerna le 5e dan (le plus haut grade) juste
avant de mourir en
1957. Pour cette raison dans son école il conserva le 5e dan
comme grade maximum atteignable et refusa
toujours les grades honorifiques par respect pour son maître.
Ohshima a ensuite travaillé avec divers seniors prestigieux, mais il a
surtout été influencé par Shigeru Egami (1912-1981) et Hiroshi Noguchi.
Il fut un des précurseurs du karaté en occident. Son enseignement a
conservé un aspect très « martial » en dépit d’une période où il fut
particulièrement actif pour instaurer la compétition. Ses kata
sont très proches de ceux de Gichin Funakoshi, mais ses cours réservent
une large place aux kumite.
- Hirokazu Kanazawa (né en 1931)
Naissance dans la
préfecture d'Iwate, au Japon. Il commença le karaté à l'âge de dix-huit
ans après avoir étudié le judo. Rendu célèbre par sa victoire en kumite
aux premiers championnats du Japon en 1957 avec un poignet cassé, il
entra alors à la JKA qui lui confia un rôle d’ambassadeur pour propager
le karaté dans le Monde. Il effectua sa première tournée internationale
en visitant Hawaï, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
En 1977, il quitta la JKA et fonda sa propre organisation :
Shotokan Karate International (SKI). Sa maîtrise du tai-chi a largement
influé sur son karaté qui allie puissance et fluidité. Autre
particularité : un karaté spectaculaire grâce à son aisance dans
les coups de pied jodan, caractéristique jugée incongrue par
les tenants de l’art martial à cause,
entre autres, de l’exposition excessive du bas-ventre. Cela est
toutefois devenu la norme dans le karaté sportif.
- Keinosuke Enoeda (1935-2003)
Il a été instructeur en
chef de la Fédération de Karaté de Grande-Bretagne jusqu'à sa mort due
au cancer.
Après des études à l'université Takushoku il a étudié au dojo de la JKA
à Tokyo avec Masatoshi Nakayama. Il a remporté plusieurs titres en kumite.
En 1965, conformément à la politique de la JKA d'envoyer ses
instructeurs à l'étranger pour propager le karaté Shotokan, il s'est
rendu en Angleterre avec Shirai, Kanazawa et Kase. Il se fixa alors à
Liverpool.
- Hiroshi Shirai (né en 1937)
Shirai est né à
Nagasaki et a commencé le karaté en 1956 à l’université.
Il a suivi le cours des instructeurs JKA de 1960 à 1962 sous la férule
de Nakayama, Nishiyama et Kase. Durant ces cours, Kase eut une grande
influence sur lui, mais son principal instructeur fut Nishiyama.
Ce fut un très bon compétiteur.
Établi en Italie depuis 1965, il dirige régulièrement des séminaires à
l’étranger. Son enseignement du karaté privilégie l’étude des bunkai.
Plusieurs fois champion
du Japon, en kata et kumite. Responsable de la JKA pour
l'Allemagne. Entraîneur national de l'Allemagne durant de nombreuses
années.
Il fait partie de ces compétiteurs qui prétendent concilier sport et
art martial. « N’oubliez pas que la compétition n’est qu’une
partie du karaté » dit-il aux jeunes champions. Mais son
enseignement est destiné à former des champions, en espérant - vœu
pieux - qu’ils sauront se recycler quand cessera le temps des
podiums.
Shotokai
Ce style se présente lui-même comme le prolongement des recherches de
Yoshitaka Funakoshi et intègre des techniques et notions propres à
l’aïkido afin de rendre la méthode davantage conforme aux traditions du
budo. Toutefois, une observation méticuleuse fait
naître quelques doutes sur cette filiation, notamment à cause de
l’absence de kime dans les atemi.
- Shigeru Egami (1912–1981)
D’abord judoka, il
découvre le karaté en 1932 avec Gichin Funakoshi.
En 1935, des disciples de Gichin Funakoshi fondèrent une
association : le Shotokai qui devint un style de karaté à part
entière en 1957 sous l’égide de Shigeru Egami. Sur la fin de sa vie,
Egami donna une orientation très mystique à son style. Cette tendance a
été poursuivie par un de ses disciples, Hiroyuki Aoki, qui fonda le
Shintai-do. Deux courants, issus de deux personnalités marquantes,
prédominent dans le Shotokai actuel : l’un fut initié par Tetsuji
Murakami, l’autre est conduit par Mitsusuke
Harada.
- Tetsuji Murakami (1927-1987)
Né à Shizuoka, au
Japon. À l'âge de dix-neuf ans, il commença le karaté avec Masaji
Yamagushi (élève de O-sensei). Dans le même temps il étudia le kendo,
l’aïkido et un peu d'iaido. En 1957, il fut invité en France
par Henri Plée avec lequel il signa un contrat qui ne lui était pas
très favorable. En 1959, il se libéra et ouvrit son propre
dojo. Dès ce moment, son influence s'étendit progressivement au reste
de l'Europe : Allemagne, Angleterre, Italie, Portugal, Yougoslavie et
Suisse. En 1968, il se rendit au Japon où il rencontra Shigeru Egami.
Très impressionné par Egami et sa technique, il décida de faire une
transformation profonde dans sa pratique. Il revint en Europe auréolé
du titre de représentant officiel de la Nihon Karate-do Shotokai. Il
meurt à Paris en 1987. Son karaté était extrêmement exigeant et il
n’eut, de ce fait, jamais beaucoup d’élèves mais ceux qui l’ont suivi
sont restés des inconditionnels.
- Mitsusuke Harada (né en 1928 en Mandchourie).
Il assista en 1943, à
quinze ans, à une démonstration de karaté menée par Yoshitaka Funakoshi
qui l’impressionna. Il prit alors ses premières leçons de karaté à
l'université de Waseda, Japon, sous la férule de Funakoshi père et de
ses élèves, surtout Shigeru Egami, dont il subira plus tard
l'influence.
Gichin Funakoshi lui décerna son grade de godan en 1956.
D’abord installé au Brésil, il se fixa en Angleterre et prit ses
distances par rapport à toutes les organisations de karaté. Il se
plaisait à répéter une citation de Gichin Funakoshi assez révélatrice
de son opinion : « Il n'y a pas de style en karaté, c'est
comme la philosophie. Chacun a son opinion. Qui a raison ? Qui a
tort ? Personne ne peut le dire. Chacun doit essayer d'aboutir à
un point où il pourra montrer qu'il a créé quelque chose dans sa
vie. » Indiscutablement, son enseignement présente de grandes
originalités et est très éloigné de celui de Murakami.
Wado-ryu
- Hironori Ohtsuka (1892–1982)
Naissance à Shimodate
City, Japon. Sa pratique d’un art martial commença en 1898 avec
l’apprentissage du ju-jutsu. En 1905, il devint l’élève de
Shinsaburo
Nakayama, grand maître de l’école Shindo-Yoshin de ju-jutsu qui
l’entraîna au ju-jutsu ainsi
qu’au kendo. La formation fournie par cette école lui donna alors une
connaissance étendue de techniques de saisies, luxations et
contre-prises ainsi qu’un certain savoir en matière de percussions.
Entre 1912 et 1917, Ohtsuka s’intéressa à plusieurs disciplines mais
surtout à différentes formes de kempo présentes au Japon, afin
d’approfondir sa
connaissance en atemi. En 1921, Nakayama le désigna comme son
successeur officiel et quatrième maître du Ju-jutsu
Shindo-Yoshin ; et cela à seulement vingt-neuf ans, ce qui est
tout à fait exceptionnel.
L’année suivante, Ohtsuka assista à une démonstration que Gichin
Funakoshi effectuait à Tokyo. Il vit dans le karaté des techniques lui
permettant de parfaire son ju-jutsu. À sa demande, Funakoshi
l’accepta comme élève. C’est donc en juillet 1922 que commença son
apprentissage du Shotokan. Deux ans plus tard, il ouvrit sa première
école de karaté à l’université de Tokyo où il resta cinq ans sous la
direction technique de Funakoshi. Pendant ces cinq années, Ohtsuka
travailla également avec différents maîtres : Jigoro Kano
(1860-1938 ; fondateur du judo), Morihei Ueshiba (1883-1969 ;
fondateur de l’aïkido), Yasuhiro Konishi (1893-1983 ; futur
fondateur du style Ryobukai qui intègre des techniques de kendo) et
Choki Motobu (initiateur de la lignée Motobu-ha Shito-ryu).
À l’époque, le karaté de Funakoshi reposait presque uniquement sur les
quinze kata du style - 5 Heian et 10 kata
classiques -, qui n’avaient pas encore subi les aménagements de
Yoshitaka et étaient proches de l’enseignement d’Itosu. Mais Ohtsuka
trouva que ces kata comportaient des éléments inapplicables en
combat. En 1928, Konishi lui présenta Mabuni (1889-1952), futur
fondateur du Shito-ryu, fraîchement arrivé d’Okinawa, à qui Ohtsuka
énonça ses doutes quant à l’efficacité des kata de Funakoshi.
Le savoir encyclopédique de Mabuni sur les kata fut une
bénédiction pour Ohtsuka qui n’avait
pas su, jusque-là, en pénétrer l’essence. Dès lors, il admit
définitivement la supériorité du karaté.
C’est à ce moment que des désaccords naquirent entre Funakoshi et
Ohtsuka. Ce dernier trouvait le karaté de Funakoshi trop dur et voulait
développer le kumite, ce que Funakoshi refusait. En dépit des
arguments de son professeur, Ohtsuka commença à pratiquer des exercices
de combat libre. La différence de leurs démarches rendit dès lors la
séparation inévitable.
Certains groupes d’étudiants, préférant la démarche d’Ohtsuka, le
suivirent et formèrent, vers 1934, le Wado-ryu (école de la voie de la
paix). Durant l’année 1940, Ohtsuka enregistra son style au Butokukai
de Kyoto, devenant ainsi un des quatre grands styles du karaté japonais
avec le Shotokan, le Goju-ryu et le Shito-ryu. En 1981, il transmit les
rennes du Wado-ryu à son fils aîné, Jiro Ohtsuka, qui prit alors le nom
Hironori Ohtsuka II.
Le Wado-ryu se caractérise par des positions plus hautes que dans les
autres styles et un travail important des esquives et de la défense
personnelle.
Shito-ryu
Né à Shuri, Kenwa
Mabuni était un descendant de la célèbre famille de samouraïs
Onigusukini. Il commença son apprentissage de l'art du Shuri-te dans sa
ville natale à l'âge de treize ans sous la tutelle du légendaire Anko
Itosu. Il s'entraîna avec lui pendant de nombreuses années et apprit
beaucoup de kata. Un de ses proches amis, Chojun Miyagi
(fondateur du Goju-ryu) présenta Mabuni à une autre personnalité de
l'époque, Kanryo Higaonna, et il commença à apprendre le Naha-te sous
sa direction.
L'enseignement d'Itosu incluait des techniques directes et puissantes
comme celles démontrées dans les kata Naihanchi et
Passai ; celui de Higaonna,
quant à lui, s'articulait particulièrement autour du déplacement
circulaire et de méthodes de combat rapproché ainsi qu'on peut les
découvrir dans les kata Seipai et Kururunfa. À ce jour, le
karaté Shito-ryu repose toujours sur un assemblage des styles Shuri-te
et Naha-te.
Bien qu'il soit resté toujours fidèle à ses deux grands maîtres, Mabuni
chercha à compléter et enrichir son apprentissage auprès d'autres
professeurs : Seicho Aragaki (1840-1918), Tawada Shimboku
(1851-1920), Sueyoshi Jino (1846-1920) et Wu Xianhui (1886-1940 ;
maître chinois connu sous le nom de Go Kenki). De fait, Mabuni était,
dès les années 1920, légendairement connu pour sa connaissance
encyclopédique des kata et de leurs applications. Par la suite,
en tant que policier, il enseigna aux autorités locales et, sous
l'encouragement de son professeur Itosu, aux divers écoles de Shuri et
Naha.
Pendant ces mêmes années, Mabuni fit partie d'un club de karaté qui
était géré par Chojun Miyagi et Choyu Motobu (1865-1927) avec l'aide de
Chomo Hanashiro (1869-1945) et Juhatsu Kiyoda (1886-1967 ;
fondateur du Toon-ryu). Choyu Motobu était un maître de Shuri-te et de
Gotende, l'art secret de lutte de la cour royale d'Okinawa. Hanashiro
était aussi expert de Shuri-te tandis que Kiyoda et Miyagi avaient plus
un bagage de Naha-te. Connu comme le Ryukyu Tode Kenkyu-kai (club de
recherche du karaté des Ryukyu), ce dojo était une légende. Des experts
d'horizons différents s'y entraînaient et y enseignaient. C'est là que
Mabuni apprit certaines techniques du kung-fu de la grue blanche.
Entre 1917 et 1928, Mabuni effectua un certain nombre de voyages à
Tokyo dans l’espoir de populariser le karaté sur les îles principales
du Japon. En fait, nombre de maîtres de son époque partageaient cet
objectif : Funakoshi avait émigré vers Tokyo au début des années
1920 pour promouvoir son art à Honshu.
En 1929, Mabuni partit habiter à Osaka afin de devenir instructeur de
karaté à plein temps dans un style qu'il
appela Hanko-ryu ou style semi-dur. Lorsqu'il introduisit son style au
Butokukai, il le rebaptisa Shito-ryu, nom dérivé des premiers kanji
des noms d'Itosu et de Higaonna. Grâce au
soutien de Ryusho Sakagami (1915-1993), il ouvrit un certain nombre de
dojos dans la région d'Osaka. À ce jour, la majeure partie des
pratiquants du Shito-ryu se situe dans la région d'Osaka.
À l'automne de sa vie, il développa plusieurs kata comme
Aoyagi, qu'il élabora spécialement pour l'autodéfense féminine, Juroku,
Myojo et Nipaipo.
Kenwa Mabuni mourut en 1952 et céda le flambeau à ses fils, Kenei et
Kenzo. Son fils Kenzo est mort en 2005.
Il est le troisième
fils de Udun Motobu, membre de la branche cadette de la famille royale
d'Okinawa. C’est donc Choyu, le fils aîné, qui, selon la tradition,
hérita de la formation aristocratique et des secrets de l’art martial
familial, le Motobu-ryu.
Malgré ce handicap, Choki Motobu, personnage haut en couleur, décida de
devenir l'homme le plus fort d'Okinawa. Il développa quasiment seul son
propre style, testé dans de nombreuses bagarres qu’il déclenchait
incessamment. Il eut beaucoup de mal à se faire admettre comme disciple
mais, grâce à son titre de noblesse et ses extraordinaires capacités,
finit par obtenir un enseignement de la part des plus grands maîtres de
son époque : Sokon Matsumura, Anko Itosu, Sakuma Peichin et Kosaku
Matsumora.
Quoique de gabarit très fort, il était particulièrement rapide, ce qui
lui valu le surnom de Zaru Motobu (Motobu le Singe).
En 1921, il a terrassé un boxeur russe, alors champion du monde des
super lourds, d'un shuto à la tête. Il releva de nombreux défis et ne
fut jamais battu. Cela l'a rendu populaire et a contribué au
développement du karaté au Japon.
Son kata préféré était Naihanchi. Il le considérait comme la
base du karaté.
Motobu eut une influence importante auprès de Mabuni et Miyagi. À la
fin de sa vie, il abandonna les défis et se tourna enfin vers le
véritable esprit du karate-do. Son style était très réaliste et
efficace. Sa technique favorite était le coup de poing du dragon, poing
à une seule phalange pliée avec lequel il écrasait facilement un makiwara.
L’école de Choki Motobu s’est perpétrée avec Kosei Kokuba et le
Motobu-ha Shito-ryu.
Né dans le village de
Kokuba actuellement Naha, il était le plus jeune fils d'une branche de
la famille royale d'Okinawa, la famille de Sho Shi. Il débuta
l’apprentissage du karaté avec Choki Motobu. En 1940 il s’installa à
Osaka. Le 6 juin 1943, Kuniba (mêmes kanji que Kokuba, mais au
Japon c’est la prononciation japonaise qui s’impose) fonda le dojo
Seishinkan (dojo du cœur pur) et l’association Seishinkai. À la mort de
Choki Motobu, en 1944, Kosei Kuniba devint le Soke (littéralement «
chef de famille ») de l'école Ryukyu Motobu-ha. Son dojo fut un des
hauts lieux des arts martiaux où tous les grands noms de l’époque se
sont croisés.
Kosho Kuniba naquit au
Japon à Yamanashi, près du Fuji Yama. Il commença son entraînement dans
les arts martiaux en 1940 sous la direction de son père, Kosei.
À l'âge de huit ans, il étudia le Kenyu-ryu avec Ryusei Tomoyori.
Kuniba père voulait que son fils soit un vrai samouraï comme le furent
ses ancêtres. Aussi devait-il connaître tous les arts martiaux. Par
conséquent, il suivit également une formation de judo, d’aïkido, d'iaido
et de kobudo.
En 1947, il commença à s'entraîner régulièrement avec Kenwa Mabuni,
mais comme le
dojo de son père recevait le gratin des arts martiaux, il put pratiquer
avec tous les grands noms de l’époque. En 1952, il étudia le Mugai-ryu iaido
avec Ishii Gogetsu. Il commença alors à
enseigner le karaté à l’université d’Osaka.
En 1956, il s'est rendu à Okinawa, où il s'entraîna avec Shoshin
Nagamine, étudia le kobudo avec Shinken Taira et Kenko Nakaima.
Avec
Junko Yamaguchi, il apprit l'utilisation des tonfa.
Après la mort de son père en 1959, Kosho a été élu par le conseil des
Shihan du Seishinkai au poste de Soke du Motobu-ha Shito-ryu. À l'âge
de vingt-quatre ans, il devint le plus jeune Soke au Japon et prit le
nom de « Shogo » qui signifie « fort guerrier ».
Récipiendaire de nombreuses distinctions au cours de sa carrière, il a
reçu l'un des hommages les plus élevés quand il a été gratifié, dans
l’Encyclopédie japonaise, d’un article de quatre pages pour illustrer
les rubriques « karate et kobudo ».
En 1970, il a été choisi par la Zen Nippon Karate-do Renmei (maintenant
la JKF) pour faire une démonstration lors des premiers championnats du
Monde de karaté au Budokan de Tokyo. Même honneur, en 1972, lors des
seconds championnats du Monde qui se sont déroulés à Paris.
Il a créé le goshin-budo, système de défense personnelle qu'il
a développé à partir de ses connaissances en judo, ju-jutsu,
aïkido et iaido. L’ensemble de son art était d’une richesse
inouïe et d’une très grande subtilité.
Ajoutons qu’il a collaboré à de nombreux films d’arts martiaux
(vingt-deux dont un documentaire largement primé, « Budo :
the art of killing ») et eu les honneurs de nombreux articles dans
les revues d’arts martiaux.
En 1983, il ouvrit un dojo aux États-Unis, à Portsmouth, où il vécut
jusqu'à sa mort en 1992. Pendant son séjour à Portsmouth, il a
concentré ses efforts sur l'enseignement et la promotion de son art sur
tous les continents, notamment en France où il vint fréquemment entre
1987 et 1992 à l’invitation de Patrick Tamburini (1949-1996). En dehors
du Japon, le Seishinkai est actuellement bien établi aux États-Unis,
mais la liste de ses implantations est longue : Mexique, Inde,
Suède, Russie, Sri Lanka, Israël, Turquie, Antilles, Amérique du Sud et
toute l’Europe.
À sa mort, il était détenteur de quatre titres de Soke :
- Sandai Soke du Motobu-ha karate-do ;
- Shodai Soke du Kuniba-ryu goshin-do ;
- Shodai Soke du Kuniba-ryu kobudo ;
- Shodai Soke du Kuniba-ryu iaido.
Malheureusement, comme
bien d’autres, la succession de Shogo Kuniba a été assez houleuse et
reste problématique.
- Teruo Hayashi (né en 1924)
Teruo Hayashi est né à
Nara (ancienne capitale du Japon) près d’Osaka. Il pratiqua d’abord le
judo et vers 1943, se mit à l’étude du karaté et du kobudo
avec Kosei Kuniba. Il fit preuve de grands talents, rarement observés
chez un individu aussi jeune, et maîtrisa plusieurs types d'armes
anciennes : bo, kama, tonfa, tenbei,
tenpei, nunchaku, sai, sansetsukon,
kusarigama, suruchin, manji-sai,
etc. Pour cette raison,
il fut appelé « le maître d'armes ».
À la mort de Kosei Kuniba, en 1959, vu sa position de sanpai du
Seishinkai et l’âge de Shogo Kuniba, il resta aux côtés de ce dernier
en qualité de président pour l'aider dans sa tâche et cela jusqu’en
1968.
Bien qu’ayant fondé sa propre école, le Shito-ryu Hayashi-ha, il est
resté conseiller technique pour le Seishinkai.
- Fumio Demura (né en 1938)
À l'âge de huit ans il
commença à s'entraîner avec Ryusho Sakagami (1915-1993 ; disciple
de Kenwa Mabuni) en Shito-ryu Itosu-kai. À partir de 1958 il pratiqua
le kobudo sous la direction de Shinken Taira (1897-1970).
Il vit dans le sud de la Californie depuis 1965 où il a acquis une
enviable réputation malheureusement un peu trop fondée sur ses
multiples collaborations cinématographiques et ses démonstrations un
peu trop … cinéma !
Cela ne l’a pas empêché de devenir instructeur en chef du Shito-ryu
Itosu-kai États-Unis. Cependant, en 2001, un conflit avec cette
organisation se soldera par son expulsion. Il a fondé depuis le
Shito-ryu Genbu-kai International dont il est le président. Cette
organisation promeut le genbudo qui est une activité ludique et
sportive utilisant des armes en mousse. Prétendue création qui reprend
ce qui existait déjà sous le nom de chambara.
En résumé, le Shito-ryu comporte quatre grandes
tendances :
- Mabuni-ha ; la plus répandue.
- Itosu-ha ; transmise par Ryusho Sakagami.
- Kuniba-ha ; la référence à
Motobu semble aujourd’hui abandonnée à cause de la réputation
sulfureuse de Choki Motobu et surtout de l’énorme notoriété de Shogo
Kuniba au Japon et dans le Monde.
- Hayashi-ha ; style qui donne
la prééminence aux armes du kobudo.
Et une dont les
caractéristiques s’éloignent quelque peu des quatre autres et dont le
nom usuel fait l’impasse sur la dénomination Shito-ryu : le
Shukokai.
Shukokai
Né à Kobe, au Japon,
Chojiro Tani s’initia très tôt aux arts martiaux d’Okinawa. Il eut
comme
premier professeur Chojun Miyagi, mais c’est avec Kenwa Mabuni qu’il se
perfectionna réellement durant ses études universitaires. Il devint
enseignant à l’université de Kobe.
Sa rigueur issue de son statut d’enseignant lui permit de développer un
style qui optimise la dynamique du mouvement du corps en se basant sur
une logique scientifique. Il insistait sur une coordination
particulière des paramètres
psycho-physiques, qui influent sur la fluidité, et permettent d’obtenir
un rendement explosif.
En 1948, il créa sa propre branche de karaté, le Tani-ha Shito-ryu et
l’association Shukokai dont la vocation était purement sportive et
dénuée de prétentions martiales afin de décider les forces d’occupation
à lever le veto qui pesait sur les arts martiaux nippons depuis 1945.
Pari réussi à tous points de vue, puisque l’interdiction fut levée et
que, plus tard, ses élèves brillèrent en compétitions kumite et
kata.
Le phénomène « compétition » explosant à partir des années 60, le
Shukokai connut une belle expansion surtout qu’il eut comme principal
ambassadeur Yoshinao Nambu (né en 1943), un combattant réellement
exceptionnel.
Il faut croire toutefois que le Shukokai, vu son aspect strictement
sportif, n’était pas apte à satisfaire Nambu qui créa le Sankukai,
puis, tel un aboutissement, le Nambu-do.
Shorei-ryu
C’est le nom générique donné au Naha-Te à partir de la fin du 19e
siècle. Il a donné naissance au Goju-ryu et à l'Uechi-ryu, deux styles
qui revendiquent mordicus leurs origines chinoises. Ce sont des styles
puissants, très efficaces en combat rapproché. Leurs créateurs se
nomment Chojun Miyagi et Kanbun Uechi.
Goju-ryu
- Chojun Miyagi (1888–1953)
Il naquit au sein d'une
famille de riches commerçants. À l'âge de trois ans, il fut adopté par
son oncle qui en fit son héritier. Ses parents adoptifs, propriétaires
d’un commerce d'importation de médicaments de Chine, étaient les
fournisseurs de la famille royale et de toute la noblesse de l'île.
Cela lui permettra plus tard de se consacrer entièrement à l'étude et
au développement du karaté sans le moindre souci d'ordre matériel.
À son entrée au lycée, il commença l’étude du Naha-te sous la direction
de Kanryo Higaonna. À la mort d’Higaonna, en 1915, il prit la tête de
l'école et jeta, cinq ans plus tard, les bases du Goju-ryu.
En 1921, le prince héritier Hirohito fit escale à Okinawa et une
démonstration d'arts martiaux fût organisée pour l'occasion au château
de Shuri. Tous les grands maîtres de l’Okinawa-te y
participèrent ; Miyagi était du nombre. Dans les années qui
suivirent, Funakoshi effectua plusieurs démonstrations au Honshu, l’île
principale du Japon et commença à y enseigner son art. Aussi Miyagi
décida-t-il de ne pas laisser le Shorin-ryu s’octroyer un
quasi-monopole au Japon et, en 1928, il se rendit à Kyoto. Il y
effectua de
nombreuses démonstrations, notamment dans les universités, mais devant
l'accueil très réservé du public, il comprit que sa démarche, comme
celle de Funakoshi, ne serait pas aisée vu le caractère hermétique de
la culture martiale japonaise. La reconnaissance du karaté en qualité
de budo dépendait, en fait, de l'acceptation du Dai Nippon
Butokukai, organisme d'État japonais créé dans le but de contrôler tous
les arts martiaux du pays.
En 1929, Miyagi décida d'appeler son style le Goju-ryu.
En 1935, il se présenta pour l'examen de maître bushido devant
les autorités du Dai Nippon Butokukai. C'était la première fois qu'un
maître de karaté faisait cette démarche. Il obtint le titre de Kyoshi,
honneur conféré pour la première fois à un maître de karaté. Le plus
important était toutefois l’intégration officielle du karaté dans la
grande famille du budo, mais seul le Goju-ryu en bénéficia ce
jour-là.
Les autres styles durent entreprendre la même démarche, mais le chemin
était tracé.
Le style Goju-ryu a été celui de la casse par excellence. Resté assez
traditionnel, il marie des techniques issues de différentes écoles
chinoises ainsi que les bases ancestrales d'Okinawa. Caractérisé par
des positions naturelles, il comprend des modes de frappes et des
déplacements souvent circulaires, visant les points vitaux. Le Goju-ryu
est fortement influencé par les méthodes de combat chinoises :
mêmes concepts techniques, même importance donnée au travail de
l'énergie interne. Les postures sont stables et puissantes - sanchin
dachi est la plus caractéristique du style et se retrouve dans tous
les kata du Goju-ryu -, les coups de pieds bas
uniquement - essentiellement mae-geri et kansetsu-geri -,
la respiration ventrale sonore, les
déplacements courts et en demi-cercle. Le représentant du Goju-ryu en
France est actuellement Zenei
Oshiro (né en 1953).
- Gogen Yamaguchi (1909–1989)
Jitsumi Yamaguchi est
né à Kagoshima, Kyushu (troisième plus grande île du Japon). À l'école,
il pratiquait le kendo et a commencé son étude du karaté avec Seko Iga,
un élève de Miyagi. Yamaguchi a ouvert son premier club de karaté à
l'Université Ritsumeikan à Kyoto, tout en poursuivant ses études de
droit. Très rapidement, son dojo devint célèbre dans la ville entière
pour son entraînement difficile et ses exercices de respiration
intensifs. Il ébaucha alors les premières étapes de ce que nous
connaissons aujourd'hui comme étant le jyu kumite - combat
libre.
En 1931, Gogen Yamaguchi rencontra Chojun Miyagi. Cette rencontre
provoqua un profond bouleversement dans ses convictions ; jusqu’à
cet instant, Yamaguchi avait seulement considéré le côté dur du
Goju-ryu. Il commença alors à chercher d’autres sensations, tant
spirituelles que physiques. Quant à Miyagi, il fut impressionné par
Yamaguchi qui maîtrisait à merveille l'aspect dur du Goju-ryu et le
surnomma « Gogen » - ce qui veut dire « brut ».
Gogen Yamaguchi devint le représentant officiel du Goju-ryu au Japon.
Les années 1935 à 1945 qui suivirent furent marquées par le conflit
russo-japonais puis la seconde guerre mondiale. Yamaguchi fut
emprisonné en Mongolie pendant deux ans. À son retour au Japon, il est
devenu l'un des personnages les plus fascinants de l'histoire du
karaté. Ses mouvements rapides et gracieux mais aussi sa position de
combat préférée, neko ashi dachi, lui valurent le surnom de
« Chat ».
Les contributions de Gogen Yamaguchi au Goju-ryu et au karaté en
général sont nombreuses. Il a notamment combiné karaté et pratiques
spirituelles en incorporant le yoga et le Shinto dans le Goju-ryu. Il
pensait que corps et esprit ont une relation mutuelle qu'il nous est
possible d'explorer grâce à des exercices de respiration et de
concentration, pour ainsi comprendre l'essence des arts martiaux. C'est
pour cette raison que le Goju-ryu présente plusieurs techniques de
respiration appelées « ibuki ».
Sous l'impulsion de plusieurs élèves de Yamaguchi, certaines écoles
Goju-ryu ont abandonné de la dureté au profit d'une plus grande
fluidité. C'est le cas du Goju-ryu Kuyukai enseigné par Osamu Hirano
(né en 1939). À titre d'exemple, Sanchin, le kata respiratoire
symbole du Goju-ryu, y perd en
contraction et sonorité pour y gagner en profondeur.
- Ei'ichi Miyazato (1922–1999)
Miyazato a commencé sa
formation avec Chojun Miyagi à l'âge de treize ans. Sauf pour une brève
période au cours de la seconde guerre mondiale, il a étudié en
permanence avec Miyagi jusqu’à la mort de ce dernier.
Après le décès de Miyagi qui, apparemment, n’avait laissé aucune
instruction, un groupe d’élèves a désigné Miyazato comme successeur.
Sans doute cette décision était-elle mal acceptée - le premier
fils de
Miyagi, An’ichi, était le successeur logique - puisque Kei Miyagi,
le
deuxième fils de Chojun Miyagi, fut appelé à témoigner. Il certifia que
son père avait toujours dit que Miyazato était la seule personne sur
qui il pouvait compter dans son dojo.
Cela serait purement anecdotique si Miyazato n’avait pas pris en grippe
An’ichi Miyagi et son élève Morio Higaonna qui, incontestablement, lui
a fait beaucoup d’ombre.
- Morio Higaonna (né en 1938)
Originaire de Naha, il
est actuellement l’instructeur chef de l’International Okinawa Goju-ryu
Karate-do Federation (IOGKF), implantée dans une trentaine de pays. Il
commença le Shorin-ryu à 14 ans, mais deux ans plus tard, il opta pour
le Goju-ryu enseigné par An’ichi Miyagi (1931-2009), fils de Chojun
Miyagi. En 1960, il déménagea à Tokyo pour étudier le commerce à
l'Université Takushoku. Invité à enseigner au dojo Yoyogi de Tokyo, il
a rapidement attiré beaucoup d’élèves. Dans les années 70, il acquit la
réputation d’être « l’homme le plus dangereux au Japon dans un
vrai combat. »
Il est aujourd’hui installé aux États-Unis.
Uechi-ryu
Issu d’une famille
paysanne d’Okinawa souvent victime d’agression, il décida d’apprendre
les arts martiaux pour devenir fort et respecté. Il débuta
l’apprentissage du bo-jutsu et du Tode avec des experts de sa
contrée natale formés par divers maîtres au nombre desquels figure
Sokon Matsumura. À vingt ans, pour éviter la conscription de l’armée
japonaise, il s’exila en Chine. Dans une province du Fujian, Kanbun
rencontra le maître chinois Shu Shi Wa (1874-1926), expert de
Pangainon, une école de boxe chinoise basée sur les styles du Tigre, de
la Grue et du Dragon dont le nom signifie mi-doux, mi-dur. Son
originalité est le travail mains ouvertes, les coups portés avec la
pointe des orteils, les piques aux yeux, les blocages
circulaires ; l'attaque est simultanée à la défense.
Kanbun Uechi, sous la direction de Shu Shi Wa, obtint son Menkyo Kaiden
(diplôme de professeur) au bout de dix ans d’entraînement intensif. Il
fonda alors un dojo en Chine dans lequel il enseigna trois ans. En
1909, lors d’une altercation, un de ses élèves porta un coup mortel à
son adversaire, entraînant de facto l’opprobre de la population envers
Uechi et son enseignement. Aussi décida-t-il de retourner à Okinawa,
bien décidé à ne plus enseigner.
En 1924, Uechi quitta l’archipel pour Wakayama, près d’Osaka. Un an
plus tard, poussé par deux compatriotes okinawaïens, dont Ryuyu
Tomoyose, il se décida enfin à reprendre l’enseignement.
En 1940, son école prend le nom « Uechi-ryu ».
En 1947, il décide de rentrer à Okinawa, son dojo est confié à
Tomoyose. Terrassé par une grave maladie, Kanbun décède l’année
suivante, en 1948.
Au fil des années, son fils, Kanei va, peu à peu, populariser et
moderniser le style, mais sans trahir l'esprit du Pangainon : dur
dans les attaques et souple dans les blocages.
Kanbun Uechi n’enseignait que trois kata. Kanei créera trois
nouveaux kata.
L'Uechi-ryu est, à l’heure actuelle, un style très présent à Okinawa et
est reconnu pour son efficacité. Les démonstrations de Takemi Takayasu
(né en 1950) suffisent à s’en convaincre.
Goju-ryu
et Uechi-ryu ont d’évidentes parentés. Toutefois, ce dernier revendique
une totale indépendance vis-à-vis du Goju-ryu. De fait, si leurs
sources sont les mêmes, ils se sont développés sans jamais interférer.
Et
quelques styles inclassables :
Isshin-ryu
- Tatsuo Shimabuku (1908–1975)
Son prénom de naissance
était Shinkichi. Le surnom de Tatsuo lui fut donné plus tard, après
avoir créé son école.
Shimabuku, né dans le village de Kyan à Okinawa, débuta le karaté à
douze ans. Excellent athlète, vainqueur de plusieurs compétitions de
lancer de javelot et de saut en hauteur, il devint disciple de Chotoku
Kyan en 1932.
À partir de 1936, et ce durant deux ans, il étudia le Goju-ryu sous la
direction de Chojun Miyagi, mais il considéra toujours Kyan comme son
principal maître.
Ensuite, il s'entraîna avec Choki Motobu pendant un an environ et
acquit une excellente formation en kobudo.
Malgré l’interdiction des arts martiaux imposée par les forces
d’occupation, il ouvrit son premier
dojo en 1946 dans le village de Konbu.
Dans les années 50, il commença à mélanger en un style unique, ce qu'il
trouvait de meilleur dans le Shorin-ryu et le Goju-ryu. En 1956, il
baptisa son école « Isshin-ryu ».
Ses premiers élèves étrangers furent des Marines américains stationnés
à Okinawa qui introduisirent cette école aux États-Unis.
Kyokushinkai
- Masutatsu Oyama (1923-1994)
Né en Corée, son
véritable nom était Choi Young-i. Il découvrit d’abord le kempo
chinois et les arts martiaux anciens de Corée - pas le taekwondo qui
est une création récente à base de karaté. Le Goju-ryu de Gogen
Yamaguchi lui fut enseigné plus tard par un travailleur saisonnier
employé à la ferme de ses parents.
En raison de sa turbulence, son père l'envoya à quatorze ans dans une
école militaire à Tokyo. Il y suivit l'enseignement de divers maîtres,
parmi lesquels Gichin Funakoshi.
Après ses études, sur les conseils d’un expert de Goju-ryu, il s'exila
pour méditer et s’entraîner dans les montagnes, accompagné d'un de ses
élèves, Yashiro. Isolés du reste du monde, ils avaient pour seul
contact un dénommé Kayama, qui les ravitaillait régulièrement. Ils
s'imposèrent une discipline de fer et un entraînement rigoureux,
puisant leur technique dans les formes coréennes anciennes, le
Goju-ryu, le Shotokan et le Taikiken de Kenichi Sawai (1903-1988).
Yashiro craqua au bout de six mois et Oyama dut lui aussi abandonner au
bout de quatorze mois par suite, dira-t-il, de la défection du mécène
qui l’approvisionnait.
Comme cette aventure n’eut aucun témoin, il circulera, par la suite,
les histoires les plus rocambolesques qui se puissent concevoir.
Quand Oyama revint à la civilisation en 1950, il testa sa force sur un
taureau. Il en aurait affronté cinquante-deux dans sa vie et en aurait
tué plusieurs, toujours à mains nues bien sûr. En 1952, il entama une
tournée de démonstrations et de défis aux États-Unis puis en Asie en
affrontant karatékas, boxeurs, lutteurs et autres adversaires qu'il
domina largement, dixit sa biographie officielle. En 1953, il ouvrit
son premier dojo à Tokyo et, en 1964, il donna à son style le nom de
Kyokushinkai (l'école de l'ultime vérité).
Les combats de compétition se déroulent en plein contact, avec
possibilité de K.O. (avec de nombreuses interdictions). Cependant,
comme dans beaucoup d’autres écoles, l’entraînement est relativement
conventionnel, à base de kihon et kata.
Gembukan
- Tsuneyoshi Ogura (1909-2007)
D’origine okinawaïenne
par sa mère et descendant de Shingen Takeda (1521-1573), célèbre
samouraï japonais, par son père, il fut élève de Chotoku Kyan et Kentsu
Yabu, tous deux maîtres de Shuri-te, et de Makoto Gima
(1896-1989 ; disciple de Itosu puis de Funakoshi) qui lui transmit
les formes antiques de nombreux kata avec leurs applications
martiales. Il fut contemporain et parfois l’élève de la plupart des
maîtres de karaté d’Okinawa et du Japon de la première partie du 20e
siècle : Chibana, Funakoshi, Ohtsuka, Mabuni, Miyagi, etc.
Comme pour le Shotokan, cette école a pris le nom du dojo fondé en 1944
par Ogura : Gembukan ― aucun rapport avec le Genbukai de Demura.
L’enseignement porte sur des kata du Shuri-te, du Tomari-te et
du Naha-te dans leur forme originelle, constituant ainsi une synthèse
intéressante. Plus que la puissance, cette école, qui s’ancre dans les
vieilles traditions martiales, privilégie la fluidité du geste.
Le Gembukan est représenté en France par Roland Habersetzer (né en
1942) et Pierre Portocarrero.
Mises en
garde
Évidemment,
d’autres styles, d’autres écoles existent et des maîtres dont nous
n’avons pas parlé dépassent sans doute en intérêt certains experts
ayant bénéficié d’une note biographique. Mais cette rétrospective n’a
aucune prétention d’exhaustivité et ce n’en est d’ailleurs pas le but.
Son utilité réside dans la confrontation de biographies généralement
présentées pour illustrer la genèse d’un style ou d’une école - ryu,
ha, kan, kai, do - et
souvent pour en faire briller les ors.
Leur juxtaposition permet de mieux appréhender la place et les réels
apports des protagonistes de la grande histoire du karaté.
Toutefois, malgré la présentation des styles dans une sorte de
généalogie, il convient d’adopter la plus grande prudence sur
l’interprétation des filiations successives, la réalité étant souvent à
mille lieues de ce qui apparaît comme une évidence.
À la mort de Shogo Kuniba, qui fut un grand parmi les grands, le
conseil des shihan du Seishinkai a désigné Kunio Tatsuno
(1942-1999) comme successeur. Cette décision reposait sur des motifs
clairs : Tatsuno était très riche - financièrement - et
se proposait d’œuvrer à l’expansion du Seishinkai et à l’admission du
karaté dans la liste des disciplines olympiques. L’homme, infatué,
s’est montré totalement indigne de cet honneur - sa philosophie et
sa technique étaient celles de la brute épaisse - et il s’est
empressé de
tirer un trait sur tout le goshin-budo développé par Kuniba.
Par ailleurs, un élève de Shogo Kuniba, Toshio Kaneta (né en 1936), a
fondé le Sogo Budo Kaneta-kai. Kaneta, un peu moins fin techniquement
que Kuniba, plutôt fruste sur le plan intellectuel, transmet avec une
parfaite maîtrise l’intégralité du karaté et du goshin-budo de
Shogo Kuniba. D’un côté le même nom d’école mais un style extrêmement
dégradé, de l’autre, le même style mais un nom d’école différent.
Que dire également de la succession officielle entre Sokon Matsumura et
Anko Itosu dont on sait comment il a transformé le legs. Prudence,
donc, sur la teneur des héritages ou des créations.
Précisons
qu’une bonne partie des biographies de cet article a subi, après de
multiples recherches et recoupements, des retouches par rapport à
celles qui figurent dans la littérature et sur Internet. Des
incohérences ont ainsi été corrigées, des affabulations mises en doute
et des panégyriques ramenés à de plus justes proportions.
Quels
enseignements peut-on tirer de cette rétrospective ?
Notons
tout d’abord que les différences d’un maître ou d’un style à l’autre
sont de trois ordres :
- Technique : même pour le
profane, les divergences sautent aux yeux ;
- Éthique : si, fondamentalement,
l’art martial n’admet aucune règle, la vie en société exige un
code ; mais quel code ?
- Philosophique : quel est le but
ultime de l’art martial ?
Et un constat :
les modifications techniques n’affectent généralement pas la finalité
d’un art martial, mais les différentes approches philosophiques
influent profondément sur la technique et peuvent entrer en conflit
avec certains préceptes éthiques.
Soyons clair : les autorités politiques et administratives
d’Okinawa, avec Itosu comme fer de lance, introduisent le karaté dans
les écoles, évidemment avec l’objectif éducatif en point de mire.
L’aspect martial est sans état d’âme passé à la trappe par Itosu et son
équipe pour répondre au mieux aux désirs des pédagogues. Cela se
traduit par l’abandon de toutes les techniques dangereuses et notamment
par la fermeture des poings dans les kata en lieu et place des
multiples techniques mains ouvertes. L’intelligentsia japonaise
accueille favorablement cette initiative locale, ce qui ouvre, pour les
maîtres okinawaïens, des perspectives d’expansion dans le reste du
Japon. Dans les années suivantes, Funakoshi d’abord, puis Mabuni,
Miyagi et Ohtsuka, pour ne citer que les principaux, se ruent sur ce
créneau porteur et ouvrent chacun de nombreux clubs au sein des
universités. Aucun ne reniera les préceptes définis par Itosu et tous
enseigneront un art amputé de ses attributs martiaux sauf, peut-être et
pour certains, dans leurs clubs privés, en dehors des institutions
scolaires dans lesquelles le karaté est devenu une vulgaire gymnastique
- le mot a été employé par les Japonais eux-mêmes. Contrairement à
l’art martial, la gymnastique ne véhicule aucune philosophie ou
éthique. Les pédagogues ont donc affublé ce karaté gymnique d’un
catalogue de qualités morales à cultiver - et souvent à ânonner -
afin de justifier
l’appartenance du karaté à la grande famille du budo.
Certains maîtres se sont opposés, au moins dans le discours, à cette
dérive gymnique, mais une grande partie de ces réfractaires s’est
orientée vers le karaté sportif de compétition ; autre travers qui
éloigne le karaté de l’art martial puisqu’il faut également interdire
les techniques dangereuses - donc efficaces - et établir des
règles. Le
lecteur aura d’ailleurs noté au passage que certains maîtres réputés,
après avoir promu le karaté sportif, ont émis des réserves, voire de
franches oppositions, envers la compétition.
Quelques maîtres ont poursuivi leur chemin dans l’étroit sillon de
l’art martial authentique ; ce ne sont généralement pas les plus
connus.
Ces observations n’enlèvent rien aux immenses qualités des champions et
pédagogues, mais il faut être conscient de l’itinéraire sur lequel on
s’engage, car il n’est jamais bon de se bercer d’illusions. Il faudrait
être aveugle, ou idiot, pour nier le gouffre qui sépare karaté martial
et karaté sportif. Malheureusement, de nombreux maîtres, anciens
champions, entretiennent la confusion.
Deuxième point :
Si les modifications apportées à un art martial peuvent être
techniques, éthiques ou philosophiques, les motivations qui les ont
engendrées sont principalement commerciales, administratives,
politiques ou personnelles.
- Préoccupations commerciales
Entre 1920 et 1940,
c’est bien un nouveau marché qui s’est ouvert au Japon pour le karaté
et chaque maître a revendiqué sa part. Impossible cependant d’accuser
les pionniers de mercantilisme, car il ne semble pas que la recherche
du profit ait alimenté leur motivation, ce qui ne sera pas le cas d’un
certain nombre de leurs successeurs. Quoi qu’il en soit, l’histoire de
l’expansion du karaté d’Okinawa, d’abord au Japon, puis dans le Monde,
est une illustration parfaite de la conquête d’un marché - la JKA
est
avant tout une entreprise exportatrice - avec tous les travers qui
lui sont inhérents.
Un exemple :
Au 18e siècle, Kushanku démontre la technique du hikite
à deux maîtres d’Okinawa et très rapidement tous adoptent cette
innovation qui renforce l’efficacité des tsuki.
Au 20e siècle, les maîtres du Shotokan introduisent la
poussée du hara dans les atemi, procurant ainsi à
chaque technique une puissance nettement accrue - le full-contact et
autres sports apparentés se réjouiront de ce progrès -, mais la plupart
des autres styles de karaté dédaignent ou déguisent cette avancée sous
une forme moins performante dont Ohshima dit : « Certains
n’ont rien compris au travail du hara et font la danse du
ventre. »
Pourquoi
observe-t-on cette différence de traitement envers deux avancées
incontestables ? Ne tournons pas autour du pot : les lois du
commerce. Aux 18e et 19e siècles, le seul souci
est d’être le plus efficace possible, nul ne se préoccupe de sa part de
marché. Toute innovation est alors immédiatement adoptée par tous,
annihilant progressivement les différences de style ; cela aboutit
au karaté de Sokon Matsumura. Mais au 20e siècle, il faut
s’imposer dans un marché concurrentiel en pleine expansion. La
plus-value d’un produit tient à ses différences, véridiques ou purement
rhétoriques, que l’on présentera comme des atouts. L’uniformisation, la
standardisation anesthésient l’intérêt du consommateur. Et, tout en
collant au plus près aux attentes du public, chaque style va cultiver
ses particularismes même au prix d’amputations sérieuses de sa valeur
martiale. D’ailleurs, ce critère n’est plus primordial ; les mots
d’ordre sont devenus « éducation » et « sport ».
Néanmoins, chaque style conservera quelques aspects spectaculaires ou
ésotériques propres à impressionner et attirer le public : le
shiwari - la casse - en est le meilleur exemple.
Fondamentalement,
de nombreux maîtres souhaiteraient enseigner un karaté réellement
martial, mais ils
raisonnent tous, ou presque, en termes d’audience, bien relayés par les
fédérations qui comptabilisent fébrilement leurs licenciés. Pour bien
vendre, il faut présenter une belle vitrine. Dans ce but, la
compétition fait consensus. D’où son omniprésence et les nombreuses
ambiguïtés rencontrées dans l’enseignement du karaté.
Bien entendu, suivant les styles ou les maîtres, cette évolution
teintée de mercantilisme est plus ou moins marquée, mais, à la vérité,
les purs de l’art martial sont une infime minorité à partir du 20e
siècle.
- Incitations administratives
Une reconnaissance
administrative est souvent liée à des avantages financiers, logistiques
ou promotionnels, ce qui peut inciter un expert à la solliciter. Or,
tous les organismes - fédération, collectivité, sponsor,
etc. - exigent
des contreparties. Quelques exemples :
- Tous les maîtres de karaté
l’affirment, outre les atemi, les kata contiennent des
projections, des saisies et dégagements, des luxations et des
contrôles. Cependant le karaté a été admis dans l’univers fermé du budo
avec une panoplie martiale limitée aux
techniques de percussion. C’était justement la faiblesse du ju-jutsu,
aussi les promoteurs du karaté se sont-ils engouffrés dans cette brèche
afin de présenter un art bien différencié. C’est d’ailleurs sur ce même
critère qu’ont achoppés les tenants du karaté
olympique vers la fin du 20e siècle, les responsables du CIO
trouvant le karaté trop proche du taekwondo déjà
présent sur la liste des disciplines olympiques.
- Les collectivités territoriales ou
les établissements publics peuvent accorder des subventions en
contrepartie d’actions à caractère social, éducatif ou sportif qui ne
seront pas neutres sur le contenu de l’enseignement. Et le montant des
subventions est souvent corrélé aux résultats sportifs. Les purs de
l’art martial, qui, le plus souvent, ne participent pas aux
compétitions, ne sont pas logés à la bonne enseigne.
- Toute structure a ses propres
règles auxquelles les adhérents doivent se soumettre ce qui ne manque
pas de créer des adaptations hasardeuses. Par exemple, le programme des
passages de grade d’une fédération ne correspond pas forcément aux vœux
de chaque maître.
Certes, si l’expansion
du karaté est une vraie réussite, d’aucuns regrettent que ce soit au
prix de notables transformations et surtout d’un regrettable
appauvrissement. Ainsi, confrontés à des exigences administratives,
nombreux furent les maîtres forcés d’introduire dans leur style ou
école des modifications techniques qu’ils n’auraient pas spontanément
souhaitées.
- Impératifs politiques
Si l’expansion du
karaté au Japon s’est d’abord faite sur le mode gymnique et éducatif,
au moment de la seconde guerre mondiale, le Japon, belliciste,
expansionniste, a encouragé l’esprit guerrier lobotomisé et les clubs d’arts
martiaux se sont retrouvés en première ligne pour former des kamikazes.
Après la défaite de l’Axe, toute activité à caractère martial a été
bannie jusqu’en
1948 avec quelques exceptions notables, notamment pour le karaté.
D'ailleurs,
celui-ci fut le premier à bénéficier d’une nouvelle autorisation grâce
à l’aspect apparemment inoffensif de ses kata. Les résolutions
pacifiques signées par le
Japon, bien acceptées par une population totalement dévouée à son
empereur, constituèrent le terreau sur lequel a pu se développer un
karaté exclusivement sportif. Les adeptes du véritable art martial se
sont fondus dans ce mouvement ou se sont faits discrets. Il a fallu
attendre de nombreuses années pour voir certains maîtres revenir au
karaté martial.
- Prédispositions naturelles
Gichin Funakoshi avait
des bras d’acier et prenait un grand plaisir à voir les attaques
adverses se briser sur ses défenses ; aussi enseignait-il un
karaté relativement statique fondé sur de puissants blocages. Ohtsuka,
dont les avant-bras n’avaient pas la même solidité, préféra s’orienter
vers un travail plus fluide en donnant la priorité à l’esquive. Si l’on
poursuit l’examen des promoteurs des différents styles, on ne peut
manquer d’observer une correspondance entre leurs prédispositions
physiques ou psychiques et la forme de leur art. Chacun adapte l’art
martial à ses penchants naturels. Ainsi au sein d’un même style,
certains ont un style dur, d’autres sont très fluides ; certains
adoptent des positions basses, d’autres plus naturelles ; certains
privilégient l’esquive, d’autres le blocage ; et la liste des
divergences pourrait s’allonger presque indéfiniment. Là où le bât
blesse, c’est dans la prétention de la plupart des maîtres à enseigner
ce qui leur convient sans se préoccuper de ce qui convient à leurs
élèves. Concevable lorsque, dans les siècles passés, le maître avait
quelques disciples sélectionnés, cette formule est aujourd’hui absurde
quand un maître prétend imposer le même moule à des milliers d’élèves
directs et indirects.
En
assemblant les divers éléments que nous venons de souligner, nous
voyons se profiler une vision d’ensemble de la genèse des styles :
- Première période : le Tode.
Hormis la clandestinité des entraînements, aucune contrainte ne
perturbe l’avènement d’un art martial totalement abouti. Sokon
Matsumura concentrera entre ses mains la quintessence de l’art martial
local.
- Seconde période : l’Okinawa-te.
L’ouverture du Japon sur le Monde suscite un engouement pour les
valeurs occidentales et notamment pour le sport auquel les maîtres vont
s’adapter. Puis l’introduction de l’Okinawa-te dans l’enseignement
amène les premières contraintes administratives avec pour corollaire
une profonde mutation de la technique et de sa finalité. Tout le monde
à Okinawa ne cautionnait pas cette initiative, mais les
« pédagogues », Itosu en tête, et les « sportifs »
l’emporteront sur les « guerriers » qui, bien que ne
disparaissant pas totalement, seront largement marginalisés, surtout
après 1945.
- Troisième période : le karate.
Les maîtres ont pris conscience de la valeur de leur art et de son
marché potentiel. Tels les marchands de lessive qui plus tard
multiplieront les emballages contenant le même détergent, ils nous
concoctent un large panel de styles où le consommateur crédule aura le
sentiment d’avoir le choix. Car, il faut bien le souligner les
différences sont souvent plus marquées entre deux enseignants de même
style qu’entre les styles eux-mêmes.
Pourtant, si les styles
se sont multipliés, un facteur d’uniformisation agit sournoisement
depuis une cinquantaine d’années : la compétition. Il fut un temps
où un kata Shito ne se pratiquait pas comme son équivalent Goju
ou Wado. Même au sein d’un style, les différentes écoles avaient leurs
spécificités et de notables nuances s’observaient dans leurs kata
respectifs. Aujourd’hui, la compétition a
imposé des standards que le jeune champion doit respecter s’il veut
prétendre à la victoire et les entraîneurs se sont adaptés à ce nouveau
diktat. Certes, chaque style possède des kata distincts, avec
des positions particulières, mais la manière de les exécuter s’est
normalisée et il est devenu difficile de dire de quel style est un
karatéka qui présente un kata que l’observateur ne connaît pas.
En combat, cette distinction est encore plus ardue.
Cette évolution, qui doit concerner environ quatre-vingts pour cent des
clubs dans le Monde, n’a cependant rien de réjouissant puisque, comme
l’ont fait remarquer de très nombreux maîtres, la compétition sportive
s’est développée au détriment de la valeur martiale du karaté. Pour les
puristes, cet avatar est la plus grande catastrophe qui pouvait
affecter le karaté. En voici les principales conséquences :
- La large panoplie de l’art martial permet
de faire face à toutes les formes d’agression. Le compétiteur ne
travaille que les techniques autorisées et surtout celles qui
« payent » en shiai (combat arbitré).
- Le véritable art martial doit
conduire à la sérénité. La compétition produit et exploite l'agressivité,
pas seulement d’ailleurs dans les arts martiaux.
- La richesse de l’art martial permet
de pratiquer toute sa vie sans lassitude. Dans les clubs
« compétition » ou ceux qui suivent inconsciemment le même
entraînement, on dénombre beaucoup d'enfants, nettement moins d’adultes et
pratiquement aucun vétéran.
Inutile de se torturer l’esprit pour comprendre pourquoi.
- La compétition sportive impose de
dominer ses adversaires ; l’attaque prédomine puisqu’il faut gagner.
L’art martial permet de résoudre sereinement toutes les formes
d'agression ; la défense est son principal pilier.
Philosophie, éthique et
technique, tout oppose le sport de compétition et l’art martial.
Au
milieu du 20e siècle, il était encore permis de penser
qu’une cohabitation était possible entre compétition et art
martial ; d’ailleurs certains, peu nombreux il est vrai, sont
parvenus à ce précaire équilibre. Néanmoins, au début du 21e
siècle, le doute n’est plus de mise ; le raz de marée de la
compétition a submergé l’art martial qui n’est plus que ruines hormis
quelques clubs ou groupements dirigés par de vrais maîtres,
miraculeusement rescapés. C’est dommage, car, fondamentalement, la
compétition de karaté peut être considérée comme une forme
d’entraînement ou comme un jeu qui utilisent une partie des techniques
du karaté sans pour autant se substituer à l’art martial. La réalité
est, malheureusement, tout autre.
Mais la démarche « éducative » porte également une lourde
responsabilité dans cette faillite. D’abord, il n’était pas nécessaire
d’édulcorer autant le karaté pour l’enseigner au tout venant. L’art
martial est une arme redoutable, tout le monde en convient, mais il
recèle un pouvoir éducatif bien plus grand qu’un simple sport. Et avant
d’être efficace, donc éventuellement dangereux, le pratiquant aura
assimilé, durant plusieurs années, philosophie, éthique, contrôle de
soi, etc. De plus, s’il est concevable d’adapter l’enseignement aux
différentes tranches d’âge, il est totalement aberrant d’enseigner le
même ersatz de karaté aux « poussins » et aux
« seniors », à la seule différence de l’aspect ludique qui
imprègne généralement les cours pour enfants.
Malgré les récriminations de certains instructeurs, c’est pourtant ce
qu’on observe dans une majorité de clubs.
Donc, s’il s’agit de transpirer, acquérir quelques habiletés ou gagner
deux ou trois médailles, n’importe quel style de karaté fait l’affaire.
Mais si le but est de s’épanouir dans une pratique martiale conçue pour
accompagner une vie entière, il convient de bien choisir son professeur
afin d’être en accord avec sa philosophie, son éthique et sa technique.
Dans ce cas, comprendre sur quoi repose son enseignement est capital.
Choisir un style : une manière de s'égarer
Il y
a tout lieu de penser que le karaté idéal est proche de celui de Sokon
Matsumura puisque tous les experts de l’époque ayant laissé une trace
ont suivi ses cours. Et ce n’est pas un simple hasard, car certains ont
dû se démener pour être acceptés comme élèves du maître.
En ces temps, l’efficacité était toujours la première motivation mais,
comme on l’a vu, chacun y accédait en fonction de ses propres
prédispositions. Or tous ont trouvé dans l’enseignement de Sokon
Matsumura les ingrédients nécessaires à la satisfaction de leur
sensibilité profonde.
Ce vrai karaté, efficace, dangereux, était en lui-même porteur d’une
philosophie et d’une éthique car tout homme intègre et intelligent ne
peut se dispenser d’une profonde réflexion quand il tient entre ses
mains - au sens propre - un pouvoir de vie et de mort. D’ailleurs les
maîtres de l’époque n’hésitaient pas à refuser leur enseignement à qui
en était indigne.
Cependant,
deux dates ont marqué l’avènement d’un profond changement de la
mentalité japonaise avec des répercussions notables sur les arts
martiaux :
- 1853, où les armes à feu firent une
irruption remarquée avec l’expédition américaine Perry ; il
s’ensuivit une désaffection progressive envers les arts martiaux
traditionnels qui ne semblaient plus être en phase avec la réalité.
- 1868, début de l’ère Meiji, qui
signa la fin de l’isolationnisme du Japon et la disparition de la
société féodale. Les valeurs occidentales supplantèrent rapidement les
valeurs traditionnelles japonaises.
Les successeurs de
Matsumura, pris dans ce séisme, ont, dès la fin du 19e
siècle et tout au long du 20e, adapté le karaté aux goûts du
grand public et aux exigences des pédagogues, pris le train du sport,
de la compétition, puis du sport-spectacle et du sport-marchandise,
multiplié les styles et ont même observé sans trop frémir la naissance
de certains avatars comme le body-karaté, le karaté artistique,
le karaté défense training...
Rien d’étonnant dans cette
évolution ; elle reflète notre civilisation, ses exigences,
ses valeurs contestables, ses plaisirs superficiels, son goût
pour le spectacle et sa
frénésie de nouveautés bien alimentée par le besoin de
reconnaissance des infatués.
Les
styles de karaté se différencient sur des détails : position de la
main qui fait « hikite », préférences dans l’exécution
des blocages, prépondérance d’attitudes qui favorisent tel ou tel
enchaînement, techniques fluides ou saccadées, etc. Tout au plus, les styles
issus du Naha-te, Goju-ryu
et Uechi-ryu, orientent-ils vers le combat rapproché, le Shotokan-ryu
vers les attaques longues et le chi-mei et le Wado-ryu vers
l'esquive. Tout cela ne revêt guère d’importance car, en pratique, nous
avons besoin de toutes ces techniques. L’essentiel est dans la finalité de
l’enseignement et dans la capacité de s'adapter judicieusement aux
différentes situations que le budoka peut rencontrer.
Voici le vrai choix qui s'offre à chacun :
- Karaté éducatif, pour les enfants.
Ce n’est qu’une approche destinée à éveiller les capacités physiques et
mentales des plus jeunes.
- Karaté ludique. L’unique mot d’ordre
est : « se faire plaisir ».
- Karaté gymnique, pour transpirer et se maintenir en forme.
- Karaté sportif. L'essentiel réside dans des détails qui ne
correspondent à aucune nécessité martiale - ce domaine est totalement
passé à la trappe. Il n'y a pas lieu de s'en offusquer ;
c'est un sport et rien d'autre.
- Karaté martial ; le seul qui
peut revendiquer les appellations « karate-jutsu »
grâce à son efficacité en toute circonstance et « karate-do »
car il accorde
une place essentielle à la maîtrise de l’esprit. Le seul à satisfaire un
vrai budoka.
Finalement, le choix d'un style n'est pas une priorité ;
ce qui compte est ce que nous faisons du karaté qui nous est enseigné.
Les bases sont fondamentalement les mêmes dans tous les styles. Certes, il vaut mieux être en accord
avec la philosophie et la pédagogie de son professeur, mais même dans un club sportif un
budoka peut cultiver l'esprit martial. Alors, comme le disait Gichin Funakoshi :
« Il n'y a pas de style en karaté » dès lors que l'on s'engage dans la voie martiale
telle que Sokon Matsumura la pratiquait et l'enseignait.
Sakura sensei
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