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LA LETTRE DU GOSHIN BUDOKAI N°35 Janvier 2016

 

 

préparation physique

 


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Les activités physiques et sportives, balbutiantes au début du vingtième siècle, ont acquis en un peu plus d’un siècle un statut de quasi nécessité, les bienfaits et le plaisir qu’elles procurent étant aujourd’hui largement reconnus. Encore faudrait-il, pour mériter totalement cet engouement, qu’elles échappent à certaines erreurs dont les conséquences sont parfois fâcheuses. Certes on se blesse parfois accidentellement, toute activité comporte des risques, mais ici nous évoquons surtout les déséquilibres engendrés par des entraînements sportifs inadaptés qui provoquent à court terme de multiples affections de l’appareil locomoteur et à plus long terme des souffrances dont l’origine, trop ancienne, est rarement identifiée. Désagréments fréquents, mais qui ne constituent peut-être pas la conséquence la plus regrettable. En effet, une activité sportive mal conduite ne permet pas une bonne acquisition des qualités physiques fondamentales et des techniques spécifiques. S’ensuit un taux d’abandons précoces bien trop élevé ; personne n’aime se prélasser dans la médiocrité.
S’en remettre à un professionnel chevronné semble donc être l’évidente solution. Pourtant, même les entraîneurs sérieux commettent des bévues et l’affiliation à un club, même réputé, ne met pas à l’abri des blessures ni du désenchantement. En cause — outre, en karaté, l’entretien d’une ambiguïté trompeuse sur ses multiples facettes et finalités qui perturbe, déçoit et décourage de nombreux néophytes —, la diversité des profils physiques et psychologiques des sportifs qu’il est difficile d’appréhender et d’intégrer dans un cours collectif. En effet, chaque personne est une énigme pour elle-même et, a fortiori, pour autrui. L’injonction socratique « Connais-toi toi-même », souligne bien l’importance et la difficulté de la connaissance intime, tant de l’esprit que de son enveloppe charnelle, les deux ayant d’étroites interconnections. Comment, l’entraîneur qui, neuf fois sur dix, ne se connaît pas très bien lui-même, pourrait-il discerner, au-delà des apparences, les attentes, les motivations, la volonté, les atouts, ou à l’opposé, les contraintes, les maux, les faiblesses, bref tout ce qui anime ou freine un sportif, et construire, le cas échéant, un cours collectif adapté à chacun ? Au mieux peut-il proposer un programme correspondant à ce qu’il estime être le profil type de ses sportifs avec, s’il est très expérimenté, quelques recommandations personnalisées.

C’est dire si celui qui ne veut pas dilapider son énergie en efforts stériles, ou pire dangereux, doit connaître, comprendre et assimiler les fondements de la performance athlétique afin de transpirer utilement sans se blesser. Et, c’est primordial, se connaître parfaitement lui-même pour faire converger harmonieusement les exigences de la discipline sportive et le développement de ses propres qualités physiques et mentales. Une vie sportive se déroule rarement sans quelques anicroches, mais il faut tout faire pour en limiter le nombre et l’ampleur. C’est une condition sine qua non pour préserver le plaisir et alimenter la motivation, indispensables ingrédients d’une pratique pérenne, seule façon de donner du sens au budo dont les fondements philosophiques, éthiques, psychologiques, stratégiques, techniques et leurs subtiles imbrications ne s’assimilent réellement qu’à très long terme. Les consignes de l’entraîneur ne sont certes pas à rejeter, mais chaque pratiquant a le devoir d’en saisir les implications afin de les adapter finement à ses particularités s’il veut progresser sans souci majeur. Un minimum de connaissances physiologiques et une juste perception de soi, corps et esprit, sont donc souhaitables. Cela devient même totalement indispensable lorsqu’un travail personnel vient compléter les cours collectifs ou dans le cadre d’une pratique indépendante.

 

Tous performants

L’espèce humaine est d’une extrême diversité. Entre la singularité de chaque ADN et l’infinie variété des histoires personnelles, chacun peut se considérer comme unique. Ce qui amène certains à affirmer : « Je n’y peux rien, je suis comme ça ! » C’est l’antienne ressassée par ceux qui considèrent leur état comme une fatalité biologique ou qui refusent l’effort physique ou psychique nécessaire au changement. Or chacun peut, dans une certaine mesure et à condition d’opérer correctement, acquérir des capacités, tant spirituelles que corporelles, qui contredisent une prétendue hérédité ou qui s’opposent à un état perçu comme irrémédiable ; de multiples exemples en témoignent. Dans ce but, il faut avoir quelques lumières sur les objectifs raisonnablement envisageables et les moyens d’y parvenir, bien se connaître pour déterminer ceux qui conviennent et accepter de fournir les efforts nécessaires.

Viser un minimum de performance sportive impose de développer de multiples capacités physiques et mentales. Certaines activités d’une grande richesse, tels les vrais arts martiaux, semblent les exiger toutes. Pourtant, si l’on exclut les aspects spirituels inhérents au budo, seules quatre capacités physiques s’avèrent fondamentales : souplesse, puissance, adresse et endurance. Toutes les autres en découlent ou les recoupent. Un bon planning d’entraînement doit donc harmoniser le travail de ces quatre piliers de la performance sportive en tenant compte des spécificités de la discipline et des innombrables particularités individuelles.

Vous manquez de force ? La musculation devrait pallier cette lacune. Vous rêvez d’être souple ? Un bon programme d’étirement amènera forcément un surcroît d’aisance gestuelle. Vous êtes vite essoufflé ? Un jogging régulier développera votre endurance. Vous êtes maladroit ? La répétition régulière d’un geste sportif améliorera votre taux de réussite. Cependant, la simplicité de ces conseils de préparation physique cache de nombreuses chausse-trapes dans lesquelles il est facile de tomber. Un peu de jugeote devrait pourtant éviter les erreurs les plus grossières — qui ne sont pas toujours les moins fréquentes.

Descartes ouvre avec une certaine ironie son Discours de la Méthode par ces mots : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». Ironie car en 1637, tout comme aujourd’hui, le bon sens n’habitait évidemment pas tous les esprits même si, comme il le souligne, personne ne se plaint d’en manquer.
Redonner un peu de bon sens, tel est l’objectif de ces quelques réflexions sur la préparation physique des sportifs et, plus particulièrement, des budoka.

 

Capacités physiques

Puissance, souplesse, endurance et adresse représentent donc les qualités physiques nécessaires et suffisantes à une construction athlétique aboutie. Quelques explications s’imposent pour que le bon sens puisse s’appuyer sur des prémices solides.

  • La puissance instantanée (P) est le produit d’une force (F) par une vitesse (v) : P = F.v. Sans force, pas de puissance ; sans vitesse non plus. Les deux doivent donc être cultivées, mais le karateka est plus attentif à l’efficacité de ses atemi, déterminée par l’énergie cinétique (E) transmise à la cible lors du choc, égale à la moitié de la masse (m) en mouvement multipliée par le carré de sa vitesse (v) : E = 1/2m.v2. Cette formule met en évidence la prépondérance de la vitesse sur la masse ; il s’ensuit qu’un petit gabarit peut être très efficace s’il cultive sa vitesse d’exécution. Ces explications permettent surtout de bien saisir l’ensemble des paramètres de l’efficacité du karateka et leur imbrication : force, vitesse et masse. Toutefois, la masse en question est celle qui est réellement mobilisée pour percuter l’adversaire. Dans un tsuki réalisé par un expert, grâce au kime, ce n’est pas le bras seul qui frappe mais tout le corps centré sur le dynamisme du hara. Un débutant met beaucoup de temps pour comprendre et assimiler tous les paramètres de cette efficacité. Cette maîtrise est donc plutôt à considérer comme une habileté. Force et vitesse restent bien les deux seuls pôles qui caractérisent la puissance.
    La force musculaire (la capacité à vaincre une résistance) conférée par la vie quotidienne est insuffisante pour rendre performant un sportif. Même un simple amateur ne peut se dispenser de la cultiver. Sans force, les accélérations sont sans vigueur et la vitesse atteinte dans un geste sportif toujours insuffisante. La musculation est un incontournable exercice.
    Pour un sportif, la vitesse n’est pas une notion univoque : un 100 mètres ou un marathon ne demandent pas les mêmes dispositions physiques. De plus, dans une majorité de sports, ce sont les variations de vitesse qui sont importantes, or ce sont ces phases de l’effort sportif qui exigent le plus de puissance ; c’est-à-dire le meilleur compromis entre la force et la vitesse.
    Force, vitesse, puissance ou explosivité : il va falloir privilégier certaines de ces options car leur compatibilité est limitée. Mais dans tous les cas, force et vitesse constituent la base indispensable ; ce sont leurs caractéristiques respectives et leur dosage qui vont orienter le développement des capacités physiques.
  • La souplesse est la capacité à solliciter ses articulations dans de grandes amplitudes. Parvenir au grand écart facial ou antéro-postérieur ; debout, jambes jointes et tendues, poser aisément la paume des mains à plat au sol ; joindre sans effort les doigts de chaque main, un bras dans le dos, l’autre derrière la tête ; réaliser un pont (reins cassés) depuis la station debout ; voilà des exemples qui signent une excellente souplesse. Cela étant, ces performances banalisées par de jeunes gymnastes ne sont pas accessibles à tout le monde, même animé d’une volonté d’airain, car les particularités morphologiques d’un individu lui interdisent de dépasser les limites imposées par sa propre mécanique articulaire. Cependant, hormis pour les articulations hyperlaxes qui doivent plutôt être tonifiées et dans la mesure où le système musculo-articulaire est respecté, une amélioration sensible de l’amplitude gestuelle est presque toujours possible et souhaitable, même en dehors des nécessités sportives.
  • L’endurance permet de fournir de la puissance longtemps. Évidemment, plus la puissance développée est importante, moins l’exercice peut se prolonger. Quand la puissance atteint un niveau élevé, on parle de résistance. Le jogging à une allure modérée constitue la base schématique de l’entraînement d’endurance. On peut le remplacer par des activités plus proches du sport concerné. Un ju-gumite (combat souple) d’une demi-heure à une heure, sans accélérations trop marquées ni interruptions, est un excellent substitut. Une bonne endurance est un gage de santé et une excellente base pour le travail de résistance, plus contraignant, qui peut s’aborder avec le fractionné, ou interval-training. Bien sûr, on peut sprinter, mais cinq à dix kata, voire plus, à pleine puissance entrecoupés de récupérations actives de trente secondes, ou des séries de kihon de même durée, seront tout aussi efficaces.
    D’autre part, le travail d’endurance et de résistance stimule les systèmes cardio-vasculaire et respiratoire. Difficile d’en faire abstraction, mais un cours de karaté en est plutôt bien pourvu.
  • L’adresse, ou habileté, requiert une bonne coordination articulo-musculaire, de la souplesse, de la vitesse, de la force et de l’endurance. Elle est évidemment liée à des dispositions de l’esprit indispensables pour qu’elle puisse se manifester : qualités d’observation, d’analyse, de prise de décision et absence de freins psychologiques pour l’essentiel.
    Des exercices sont susceptibles de la développer, mais une pratique sportive suffisamment riche et les éducatifs qui lui sont associés fournissent les ingrédients nécessaires.

Ces quatre capacités fondamentales sont bien étayées par la pratique classique d’un authentique budo. Cependant, endurance et habileté occupent la plus grande partie d’un entraînement classique, la préparation physique à base de musculation et d’étirements étant le plus souvent limitée à une partie de l’échauffement et de la phase de retour au calme. Or, la qualité du travail durant l’entraînement est étroitement dépendante de la puissance et de la souplesse. En effet, un manque de souplesse prive de l’aisance indispensable à l’ensemble de la gestuelle, augmente le niveau d’effort pour réaliser certains exercices, l’endurance se transformant vite en résistance, et, avec un handicap plus marqué, peut rendre impossibles des techniques requérant de grandes amplitudes. Quant au manque de puissance, il exclut toute velléité d’efficacité, tant pour s’opposer (force) que pour surprendre (vitesse) ou mettre hors de combat (énergie) et compromet la précision, car les gestes sont mal guidés. Puissance et souplesse conditionnent donc le potentiel de progrès technique ; les autres qualités physiques dépendent de ces deux piliers de la performance et sont largement travaillées durant les entraînements en club. Sachant cela, et sans négliger la technique, le budoka motivé devra s’efforcer de combler ses éventuelles carences par un travail personnel essentiellement axé sur la puissance et la souplesse. Mais comment procéder pour les développer efficacement sans créer de nuisance ?

Il ne suffit pas d’exécuter des séries de pompes, d’abdominaux et de flexions-extensions de jambes (squats), agrémentées de quelques postures de yoga pour se forger un corps d’athlète, surtout si on veut rester performant longtemps. De fait, de nombreux écueils attendent le public mal informé. Comme nous l’avons souligné au début de cet article, chaque individu est différent de son voisin : son hérédité, sa morphologie, son sexe, son âge, ses activités, son histoire personnelle, sa psychologie et ses motivations en font un être unique. Il est impossible dans ces conditions de se satisfaire d’une des nombreuses méthodes à vocation universelle proposées par les théoriciens du sport. L’acquisition de la souplesse et de la puissance doivent être adaptées aux particularités de chacun. À moins d’être une star du sport et de bénéficier d’un staff médical et technique qui vous concoctera un programme d’entraînement personnalisé, vous devez comprendre comment fonctionne le système ostéo-musculaire, puis en tenant compte de tout ce qui vous est particulier, élaborer votre propre programme. Cette démarche personnelle est indispensable, sinon vous serez la proie de la simplification outrancière, des modes — vérité d’hier, mensonge d’aujourd’hui — ou de l’incompétence malheureusement toujours trop fréquente. Tout n’est pas à rejeter, mais un peu de discernement est salutaire.
Nous allons essayer d’y voir plus clair.

 

Être à l’écoute de son corps

Pendant longtemps, « ceux qui savent » ont affirmé la nécessité de choisir entre puissance et souplesse, ces deux qualités physiques étant déclarées incompatibles. Résultat de cette pseudo-connaissance : des sportifs aux muscles hypertrophiés, raides comme des piquets ou, à l’opposé, des gens hyperlaxes qui s’exposent en permanence à de multiples luxations. Aujourd’hui encore certains n’en démordent pas en dépit de la contradiction offerte par de nombreux athlètes qui affichent une musculature et une souplesse hors du commun. Depuis quelques années, en effet, certains préparateurs sportifs savent conjuguer harmonieusement assouplissement et renforcement musculaire.

Si vous êtes attaché à la progression et à la pérennisation de vos performances ; si vous tenez à vous éviter les ennuis rencontrés par de nombreux anciens sportifs victimes des diktats de pathétiques gourous, ne choisissez pas. Ces deux qualités sportives fondamentales doivent s’entretenir conjointement et équitablement pour obtenir des résultats sportifs satisfaisants sans créer de nuisance sur le plan médical. Certes, les petits accidents de parcours et l’âge amèneront leurs problèmes respectifs, mais les excès les exacerberont. La vie est un jeu d’équilibre, au niveau individuel comme à celui des écosystèmes ; les déséquilibres conduisent toujours à des catastrophes. À chacun de décider si puissance et souplesse vont se compléter, élever le niveau de performance et procurer un bien-être durable ou se cannibaliser, dégrader la prestation technique et fournir leur lot de désagréments.

Si vous souhaitez obtenir ce corps idéal, à la fois souple et puissant, ne rêvez surtout pas d’un corps de contorsionniste ou de culturiste ; l’objectif est l’harmonie entre ces deux pôles de l’idéal athlétique, loin de toute forme d’extrémisme. Comme il va vous falloir établir un programme personnalisé, il n’est peut-être pas inutile de rappeler comment fonctionne le système locomoteur, car il est difficile d’appréhender correctement ses propres particularités fonctionnelles sans un minimum de connaissances théoriques.

Deux parties sont à considérer dans le fonctionnement d’une articulation :

  • La partie motrice : le muscle, les tendons et les bourses séreuses.
  • La mécanique de transmission : les os, les cartilages, les ligaments, la capsule articulaire et la membrane synoviale.

S’y ajoutent :

  • Des propriocepteurs, disséminés dans les muscles et les articulations, qui permettent de contrôler et de gérer les mouvements des différentes parties du corps.
  • Des nerfs sensitifs et moteurs qui transmettent les informations.
  • Des vaisseaux qui amènent l’oxygène et les nutriments au cœur des cellules puis évacuent les métabolites.

Tous les composants du système locomoteur peuvent être blessés accidentellement ou subir les conséquences d’un mauvais état général. Toutefois, le préjudice le plus courant qui porte gravement atteinte aux capacités physiques est l’inactivité, surtout si elle est prolongée. Les gestes de la vie courante manquent de diversité et d’ampleur pour maintenir le corps dans un état satisfaisant pour un sportif quel que soit son niveau de pratique. Une blessure localisée empêche rarement de mobiliser les membres valides. Le corps, comme l’esprit, doit être actif pour rester sain et fonctionnel, mais il faut toujours se montrer attentif à ne pas le léser.

Être à l’écoute de son corps est impératif afin de comprendre ses besoins et, le cas échéant, de ne pas aggraver un déséquilibre ou une blessure bénigne. Dans un cours collectif, chacun doit adapter la forme et l’intensité du travail à sa constitution corporelle et à son état du moment. Il est inutile d’arrêter les entraînements à chaque petit « bobo », mais il faut être conscient des risques encourus à faire comme les autres quand le corps exprime son désaccord. Retenez un principe : les muscles peuvent souffrir ; les articulations, jamais. Ainsi, certains exercices réalisés aisément par les personnes souples et agiles risquent de blesser gravement ceux qui méconnaissent leur corps ou qui pallient leur raideur par des attitudes viciées ; par exemple, en infligeant un travail désaxé au genou à cause d’un mauvais positionnement du pied ou en compensant une mobilité réduite de l’épaule ou de la hanche par une flexion exagérée de la colonne vertébrale. D’autant plus s’ils y ajoutent des à-coups ou s’entêtent à répéter ces exercices seuls. Toutes les positions, tous les mouvements doivent respecter l’anatomie. Ces conseils évidents seront peut-être jugés superflus par certains, mais l’expérience nous l’a montré, ils sont nécessaires, car de nombreuses blessures ou des déséquilibres chroniques sont la conséquence d’une insistance obstinée et inconséquente. Le sport n’est d’ailleurs pas la seule activité en cause, certaines professions, certaines habitudes sollicitent toujours le corps de la même façon, engendrant ainsi des déséquilibres qu’il est essentiel de corriger.

Apprendre comment fonctionne son corps, tant en théorie qu’en perception intuitive, afin de le rendre plus efficient, d’éviter les blessures et affections qui découlent d’un état musculo-articulaire dégradé, devrait être le premier objectif de l’activité sportive. Trop de pratiquants se brutalisent, ou s’en remettent totalement à l’entraîneur, ou s’orientent spontanément vers ce qu’ils aiment et réalisent aisément, accentuant ainsi un déséquilibre déjà bien établi. Même, si votre seul objectif est la performance de court terme au mépris de votre santé future, cette démarche est improductive, voire aberrante dans l’état actuel des connaissances — mis à part chez les culturistes et contorsionnistes, il est devenu assez rare d’observer ce déséquilibre entre puissance et souplesse à haut niveau dans la plupart des sports, cette défaillance étant presque toujours pénalisante.

Si vous souhaitez développer votre corps harmonieusement, il est indispensable de le comprendre, car ce dont il a réellement besoin recouvre rarement ce dont vous avez envie. Celui qui est très souple, et se complaît dans les étirements, devra surtout se muscler ; celui qui est très fort, et se ravit de la taille de ses biceps, devra privilégier l’assouplissement. Toutefois, chez tous les individus, certains muscles sont généralement trop toniques, d’autres trop lâches. Un bon clinicien le détecte rapidement. Réduire ces distorsions s’avère indispensable surtout si elles concernent un muscle et son antagoniste — celui qui produit le mouvement inverse. Ainsi, tout le monde a besoin conjointement de renforcement musculaire et d’étirements, mais toujours de façon ciblée.

Cependant, le comprendre intellectuellement ne suffit pas pour éviter les erreurs ; c’est au sein même de votre corps que vous devez ressentir la moindre amorce de déséquilibre nécessitant d’y remédier. Acquérir cette capacité est à la portée de tous ; il faut commencer par se convaincre que le sujet le plus important dans la vie, c’est soi, corps et esprit confondus. Il ne s’agit en aucune manière d’un comportement égocentrique, mais de la prise de conscience d’une réalité incontournable : seul un individu épanoui, en bonne santé physique et mentale, totalement conscient de sa réalité profonde et de ses vraies compétences peut se consacrer efficacement à autrui. Pour apporter son aide comme pour maîtriser des agresseurs violents et acharnés. Inutile toutefois d’attendre d’être parfait pour faire preuve d’altruisme, ce qui voudrait dire jamais, mais il faut tendre vers cette perfection, savoir pénétrer les méandres de son esprit et les subtilités de son corps pour toujours se connaître très précisément quel que soit son état du moment. Plus vous avancerez dans cette démarche, plus il vous sera facile de détecter vos besoins réels, ou ceux d’autrui, sans vous laisser influencer par de fallacieuses arguties. De fait, ce ne sont pas vos abdominaux sculpturaux ou votre élégant grand écart facial qui vous permettront à eux seuls de vous sortir sereinement d’une attaque violente ni de vivre sans soucis, mais il faut le ressentir dans le hara, pas seulement dans la tête trop aisément victime de l’illusion. Ainsi, même si l’objet de cet article concerne essentiellement la puissance et la souplesse, aucune des quatre qualités physiques fondamentales ne doit être négligée. Une grande souplesse ne sert à rien sans l’adresse. Une force de colosse est inutile sans vitesse ni endurance ou résistance. Évidemment, l’esprit, sous ses différents aspects, doit être intégré à cette recherche de perfection.

Recentrons-nous sur la puissance et la souplesse puisqu’elles représentent le fondement de la performance sportive, adresse et endurance ayant besoin de ce socle pour s’édifier solidement. En dépit d’interférences marquées, la puissance est généralement qualifiée de musculaire et la souplesse d’articulaire. Étudions-les sous ces vocables sans préjuger de leurs interactions que nous mettrons en lumière ultérieurement.

 

Puissance musculaire

Les muscles sont à l’origine de la puissance développée par un homme ou une femme. Il en existe plusieurs sortes ; seuls ceux qui sont reliés au squelette et permettent le mouvement nous intéressent pour notre sujet. Ces muscles sont excitables, contractiles, extensibles et élastiques. Ils sont constitués de fibres musculaires parallèles groupées en faisceaux. On dénombre trois types de fibres musculaires :

  • Fibres lentes, rouges car bien irriguées, endurantes mais peu puissantes.
  • Fibres rapides, blanches, puissantes mais peu endurantes.
  • Fibres intermédiaires, roses.

L’hérédité détermine leur répartition, mais un travail musculaire spécifique peut sensiblement la modifier.
L’élément moteur, situé au cœur des myofibrilles qui composent les fibres, est constitué de filaments de myosine et d’actine (myofilaments), entremêlés longitudinalement, qui peuvent glisser les uns sur les autres, permettant ainsi étirement et contraction. Lorsqu’un nerf moteur transmet un influx, les myofilaments s’interpénètrent plus ou moins, le muscle se raccourcit et modifie l’angle formé par les segments osseux.
Myofibrilles, fibres, faisceaux et l’ensemble du muscle sont entourés de membranes très élastiques qui se réunissent à l’extrémité du muscle pour former les tendons, eux-mêmes nettement moins élastiques, fixés sur les os de part et d’autre de l’articulation. Le muscle peut être étiré de façon passive ou en sollicitant le muscle antagoniste. Grâce à l’élasticité des différentes membranes, muscles étiré et contracté reviendront à leur taille de repos à l’arrêt de l’étirement. Cependant, un muscle étiré subit automatiquement une contraction dont l’intensité dépend de la vitesse et de l’ampleur de l’étirement (réflexe myotatique). Ce réflexe permet de stabiliser une position ou de protéger le muscle et l’articulation quand le risque de dépasser leurs limites physiologiques s’accroît ; des avantages certains, mais la médaille a son revers, nous le verrons bientôt.

Fondamentalement, se muscler n’est pas compliqué ; il suffit de se servir de ses muscles en leur opposant une résistance plus ou moins forte et en manœuvrant plus ou moins vite en fonction de l’objectif visé. De nombreuses méthodes ont été imaginées et répertoriées. Nous en explorerons certaines, mais, auparavant, il convient de souligner deux écueils qui guettent le sportif insouciant :

  • Un déséquilibre structurel potentiel si la musculation se concentre sur les seuls groupes musculaires qui semblent essentiels dans une activité. Les gestes sportifs, dynamiques ou statiques, doivent être dirigés ou stabilisés. Une différence de puissance marquée entre un muscle et son antagoniste compromet ce jeu d’équilibre. Il est de la plus haute importance de fortifier également les muscles antagonistes pour améliorer la précision des mouvements. Par ailleurs, chaque muscle ne travaille pas isolément ; ce sont des groupes musculaires qui sont sollicités et, le plus souvent, des chaînes musculaires qui vont, pour certaines, de la tête aux pieds. Attention donc à certains oublis dans le travail solitaire qui, outre des déficiences techniques, peuvent occasionner bien des tracas d’ordre médical :
  • Les pompes se complètent par des tractions.
  • Les bras et des jambes doivent trouver un appui solide pour démarrer vivement et percuter durement la cible ; un tronc puissant, avec des muscles bien coordonnés, est indispensable.
  • La belle sculpture des abdominaux ne doit pas faire oublier le travail des lombaires, des dorsaux et des fessiers.
  • La puissance des mawashi-geri réside pour une bonne part dans les quadriceps. Ura-mawashi-geri a besoin d’ischio-jambiers et de mollets solides. Mais surtout, ces deux mouvements ont besoin d’antagonistes puissants pour être parfaitement guidés et contrôlés.
  • La musculation régulière et répétée raccourcit inéluctablement les muscles qui perdent leur extensibilité. Avec deux conséquences :
  • La force pure augmente mais la puissance et l’énergie stagnent ou diminuent, car la plus faible amplitude de travail et le renforcement de la raideur des tissus conjonctifs pénalisent la prise de vitesse.
  • La souplesse se détériore puisque les muscles font obstacle à sa pleine expression. En effet, la raideur trouve autant son explication dans la perte d’extensibilité des muscles que dans l’articulation elle-même.

Une déduction s’impose : afin d’éviter pertes de puissance et de souplesse, le renforcement musculaire doit toujours être complété par des étirements.

 

Méthodes de musculation

Lors d’une contraction musculaire, le travail peut être :

  • Concentrique : le muscle se raccourcit (les triceps à la remontée d’une pompe).
  • Excentrique : le muscle s’allonge en freinant un mouvement (réception d’un saut).
  • Isométrique : l’effort est statique (gainage de l’ensemble des muscles du tronc et des jambes en appui prolongé sur les coudes et les pieds).
  • Pliométrique : passage d’un travail excentrique à un travail concentrique sans temps mort (succession de sauts en rebond).

Les culturistes recherchent le volume musculaire, les haltérophiles cultivent essentiellement la force. Ce sont des cas particuliers du sport sur lesquels il n’est pas bon de prendre exemple. Dans la plupart des autres sports, la force est conçue comme un préalable au travail de vitesse et d’explosivité. Les préparateurs physiques d’athlètes de haut niveau, qui exige d’exacerber certains paramètres de la performance, ont élaboré des méthodes de musculation sophistiquées pour obtenir le résultat convoité. Aujourd’hui, les haltères paraissent ringards quand on découvre l’allure futuriste des machines de musculation modernes. Les calculs alambiqués qui définissent un programme d’entraînement (muscle sollicité, forme de travail, matériel utilisé, charge, nombre de répétitions, vitesse d’exécution, temps de repos entre les séries, nombre de séries, espacement des séances, et surtout évolution de chaque paramètre) sont de la compétence exclusive d’experts qui n’utilisent pas tous, loin s’en faut, les mêmes abaques ou équations.
Rien n’interdit au budoka d’utiliser ces machines et ces méthodes si le cœur lui en dit, mais les arts martiaux à mains nues nous ont habitués à négliger l’accessoire et, dans l’action, à faire plus confiance aux sens qu’à l’intellect. En conséquence, nous conseillerons de privilégier la musculation sans matériel spécialisé ni calculs complexes. Cette solution présente plusieurs avantages :

  • Ne coûte rien.
  • Facile à mettre en œuvre.
  • Moins de risques de blessures — il est tentant, avec les machines, de se tester avec des résistances démesurées.
  • Pas ou peu d’hypertrophie musculaire — souvent redoutée par les femmes.
  • Développement implicite du ressenti — recours exclusif à ses sens pour déterminer les paramètres de l’exercice.

Le plus souvent, surtout sans matériel, vous travaillerez des groupes ou chaînes musculaires et non des muscles isolés. C’est encore un avantage car cela favorise la coordination.
Notre art martial demande de la puissance, surtout dans sa composante vitesse explosive ; la plupart des exercices seront donc pratiqués à des cadences élevées et la pliométrie largement utilisée : sauts, rebonds et répulsions en successions rapides. Attention ces exercices peuvent se révéler traumatisants s’ils sont abordés sans échauffement ni progressivité.

Les exercices de musculation trouvent leur efficacité dans la répétition. Diverses formes peuvent s’envisager, mais la plus courante consiste à enchaîner des séries identiques. Si vous débutez, commencez par cette forme. Des séries de dix répétitions conviennent bien ; vous pourrez ultérieurement utiliser des séries progressives. Cinq séries pour commencer, ou moins si nécessaire, que vous pouvez augmenter, sans vous précipiter et en fonction de votre aisance à les réaliser, jusqu’à dix ou quinze. Chaque série peut ensuite être portée à quinze ou vingt répétitions à condition de conserver un rythme élevé. Arrivé à ce stade, vous pouvez augmenter la charge de travail en modifiant le geste :

  • Les pompes en appui sur les genoux passeront à l’appui sur les orteils.
  • Les sauts seront plus hauts ou plus longs.
  • les squats se feront sur une jambe, l’autre à l’équerre, avec au début l’aide d’un bras tenant un support (à prohiber si vous souffrez des genoux).
  • etc.

Quand la charge naturelle atteint son maximum, l’utilisation de lests additionnels peut s’envisager, cependant, il est préférable de trouver des astuces pour augmenter la contrainte sans utiliser d’artifice. Exemple : les pompes seront rendues plus difficiles en modifiant les modalités d’exécution.

  • Position des mains différente (très écartées, l’une sur l’autre, sur les doigts, etc.).
  • Mouvements de vague avec posé des coudes et retour en appui palmaire.
  • Claquement de mains à chaque répulsion (devant ou derrière).
  • Pompes sur un bras.
  • Séries plus longues (certains dépassent les 100 pompes d’affilée, mais est-ce vraiment utile pour un karateka ?).

Ces variations permettent de mobiliser l’ensemble des fibres et des fuseaux musculaires qui ne travaillent pas tous en même temps lors d’un geste particulier.
Ne cherchez pas l’exploit dans vos premières séances, brûler les étapes n’est pas une bonne stratégie, mais l’amélioration doit être perceptible après quelques semaines, sinon augmentez la dose de travail ou modifiez la fréquence de vos séances.

L’isométrie se retrouve dans tous les exercices de gainage, véritable assurance santé pour la colonne vertébrale et paramètre essentiel de l’efficacité du kime. Inutile, toutefois, d’aligner d’interminables séances de gainage statique, car c’est dans l’action qu’il acquiert son maximum de pertinence. Le renforcement classique des abdominaux et dorso-lombaires participe à l’élaboration de cette capacité et de nombreux exercices dynamiques (pompes, abdominaux, keri-waza, etc.) exigent un bon gainage pour être efficaces et sans danger, notamment pour la région lombaire. Appliquez-vous à bien sentir ce gainage quand vous les exécutez et soignez vos kime en verrouillant le bras du hikite pour bien contracter les dorsaux.

La récupération est une phase essentielle du travail de musculation. Elle nécessite du temps, une bonne hydratation, une alimentation équilibrée et un sommeil réparateur. Le temps de récupération est une donnée controversée dans les milieux sportifs car, en définitive, il est propre à chacun. On peut établir une moyenne, mais les écarts sont trop importants pour qu’elle revête une quelconque utilité. Par tâtonnement, vous devez trouver ce qui vous convient. En fonction de votre état du moment, ce laps de temps variera dans des proportions parfois considérables.
La musculation permet d’être de plus en plus fort, rapide ou endurant. Mais l’effort fatigue. Si vous répétez trop tôt un exercice qui vous a épuisé, vous n’arriverez pas à l’achever, a fortiori à progresser ; trop tard le bénéfice du phénomène de surcompensation aura disparu. C’est en effet grâce à celui-ci que la performance peut s’améliorer si la séance suivante intervient dans un créneau de temps allant d’environ un jour et demi à plus de dix jours. À chacun de trouver son rythme en vérifiant qu’il progresse régulièrement.

Pour éviter des séances longues et fastidieuses, il est souhaitable de les diviser et de changer de groupes musculaires à chaque fois — stratégie obligatoire si votre cadence est journalière. Cependant, trois séances par semaine d’une demi-heure maximum devraient apporter un résultat notable en quelques mois à la plupart des sportifs. De toute façon, la cadence de démarrage sera forcément arbitraire ; ce sont les résultats qui commanderont les modifications nécessaires. Quand vous aurez atteint votre objectif, sur lequel il faut se garder de surenchérir perpétuellement, la maintenance de vos capacités ne nécessitera plus de gros investissements.

Pour rompre la monotonie de séances de musculation classiques, pensez à des activités différentes ; le cyclisme par exemple. Cependant, un peu de réflexion et quelques aménagements peuvent rendre l’effort plus constructif. Avec des pédales plates classiques, vous poussez dessus ; le travail est déséquilibré puisque les antagonistes ne participent pas à l’action. Avec des pédales automatiques, ou des cale-pieds, une jambe pousse, l’autre tire et c’est toute la chaîne musculaire qui se coordonne, tronc et bras compris. De plus vous faites intervenir le réflexe controlatéral qui harmonise l’opposition des mouvements de flexion et d’extension. Pour un travail de musculation renforcé, montez des côtes et comme vous préférez développer la vitesse plutôt que la force, adoptez un développement court pour toujours mouliner à cadence élevée. Bien sûr, d’autres sports peuvent faire l’objet d’une démarche comparable.

Pour clore ce chapitre, nous rappellerons l’impérative nécessité de ne pas se blesser.

  • Lors d’exercices pliométriques (par exemple la répétition en rebonds de sauts à pieds joints depuis une surface surélevée et retour sur celle-ci) où une chute est toujours possible, l’environnement est-il suffisamment dégagé ? La surface surélevée est-elle stable ?
  • Le positionnement de la tête, du rachis ou du bassin est-il compatible avec le dynamisme de certains mouvements ? Il faut absolument bannir les ondulations brutales de tout ou partie de la colonne vertébrale ; pensez à bien gainer. Même dans des exercices statiques ou lents, le bon placement de l’ensemble du corps doit être l’objet d’une stricte surveillance.

L’objectif, grâce à l’investissement consenti, est d’améliorer sa condition physique, pas de se détruire. Soyez précautionneux et, dans la mesure où vos efforts amènent de réels progrès, n’en rajoutez pas trop, d’autant qu’il va falloir impérativement consacrer du temps aux étirements, sinon, les ennuis médicaux et la dégradation de vos performances sont assurés. D’ailleurs, durant les cours de karaté vous sollicitez vos muscles de façon répétitive ; chaque entraînement constitue en lui-même une séance de musculation. C’est pourquoi, la musculation pure ne devrait intervenir qu’en cas de déficit général avéré ou de besoin de rééquilibrage, situation malgré tout assez fréquente qui nécessite un travail ciblé.

 

Souplesse articulaire

Les problématiques d’un sportif souple et d’un autre raide ne sont pas les mêmes ; l’un veut conserver sa souplesse, l’autre désire l’acquérir. Les méthodes, les exercices, les efforts nécessaires n’auront sûrement rien de semblable. De plus, la raideur n’affecte pas toujours de façon homogène toutes les articulations et une même articulation est parfois raide sur un axe et souple sur un autre. Dans un cours collectif, tous ces cas cohabitent. L’entraîneur est confronté à une mission quasi impossible même s’il a bien repéré les handicaps et limitations de chacun. Il va donc falloir vous prendre en main vous-même si vous voulez vraiment améliorer votre souplesse.
D’autre part, on l’a vu précédemment, la musculation, quel qu’en soit l’objectif (force, explosivité, puissance, vitesse, résistance ou endurance), provoque un rétrécissement des muscles, mais également un renforcement, en épaisseur et solidité, de la capsule articulaire, des ligaments, des tendons et des différentes membranes du muscle. L’articulation est mieux contrôlée, comme tenue par des élastiques plus puissants, mais aussi moins libre.
Une distinction sémantique conventionnelle oppose les étirements destinés à restituer aux muscles leur longueur optimale et les assouplissements qui visent l’étirement des tissus conjonctifs et l’allongement des muscles au repos. En pratique, cette différence est assez délicate à établir, car ce sont souvent les mêmes exercices qui servent dans les deux cas et, il faut bien le souligner, il est inimaginable d’étirer un muscle sans toucher à l’articulation et vice-versa. Nous verrons néanmoins une possibilité de nuancer cette assertion. Examinons donc pour commencer les exercices proposés par les spécialistes de la préparation physique.

Dynamique, statique, actif, passif, activo-dynamique, PNF, myotensif, contracté-relâché, CRE, CRAC, balistique, stretching, yoga, eutonie, relaxation… On pourrait remplir des pages avec les intitulés des techniques d’assouplissement et leurs nombreuses déclinaisons. Quant à leur objectif, la manière de les utiliser, le moment adéquat… la cacophonie des opinions est inécoutable. Pourtant, presque toutes ces méthodes ont présenté des preuves d’efficacité sur certains sportifs… seulement sur certains, et pas toujours sur les mêmes profils. La principale dérive, qui entraîne cette zizanie, réside dans l’usage massif et inconsidéré de conclusions, souvent hâtives et simplistes, produites par des vulgarisateurs d’études scientifiques ou prétendues telles. On en retient des statistiques, des pourcentages ou des moyennes et on oublie que les écarts entre les chiffres dont on a tiré ces résultats sont importants quelle que soit l’étude. La prétendue meilleure méthode ne sera peut-être pas celle qui vous conviendra car aucune ne peut prétendre à la panacée. Laquelle vous est donc adaptée ? Si vous attendez qu’on vous le dise, c’est sans doute que vous êtes joueur ou quelque peu inconscient. Là encore, la seule solution sérieuse réside dans la connaissance de soi et de ses réels besoins. Peut-être faudra-t-il y adjoindre quelques connaissances techniques, beaucoup de bon sens et divers tâtonnements avant de trouver la bonne réponse.

Parmi les techniques d’étirement couramment proposées, certaines sont jugées trop compliquées, d’autres sont réputées dangereuses ou encore inefficaces. Ces opinions émanent souvent des adeptes d’autres méthodes ou sont formulées par des naïfs, ou des hypocrites, qui assignent aux étirements des objectifs qui ne sont pas les leurs. Nous ne nous laisserons pas influencer par le chant des sirènes de la médisance et procéderons à une exploration conduite par la logique.

 

Gestion du réflexe myotatique

En fait, s’assouplir ou s’étirer est mécaniquement simple. Pour ouvrir un compas, il suffit de tirer sur les deux branches pour les écarter. Si l’articulation est grippée, il faudra exercer une force plus élevée. Rapportée à l’anatomie humaine, la problématique est toujours aussi simple. Sauf que forcer sans retenue sur une articulation raide est la garantie de devoir consulter sans délai son thérapeute favori. A contrario, ne pas forcer suffisamment n’amènera rien du tout. Il va donc falloir procéder avec discernement pour obtenir un résultat correct sans abîmer la précieuse mécanique musculo-articulaire, mais, quelle que soit la méthode mise en œuvre, la principale pierre d’achoppement restera l’ensemble des contractions qui s’opposent à l’étirement : d’une part le réflexe myotatique, d’autre part les crispations parasites plus ou moins involontaires déclenchées par le souvenir d’événements traumatiques désagréables. Des muscles trop toniques en permanence, impossibles à relâcher, ajouteront un obstacle supplémentaire.
Le réflexe myotatique se présente sous deux formes avec contraction forte :

  • Dynamique : lors d’un étirement violent ; il dure une fraction de seconde.
  • Statique : quand un étirement inconfortable se prolonge ; il dure deux à dix secondes (ces temps sont avancés par des spécialistes, mais je doute de leur pertinence).

Et une forme avec contraction modérée :

  • Maintient du tonus nécessaire à la stabilisation d’une position.

Les formes dynamique et statique favorisent la survenue des crispations d’origine psychologique, elles-mêmes amplifiées par l’excès de tonicité de certains sportifs.
Posons-nous donc la seule question qui vaille vraiment : comment déjouer le réflexe myotatique et atténuer les appréhensions qui freinent l’étirement ? De fait, la deuxième partie de la question se résoudra en partie d’elle-même quand on aura la réponse à la première puisque ces crispations sont souvent induites par le réflexe myotatique, mais sans doute ce frein mental nécessitera-t-il une approche plus mesurée afin de rétablir la confiance.

Partons de quelques constatations sur les réactions à l’étirement musculaire corroborées par de nombreux travaux universitaires.

  • Quand l’étirement est très lent, le réflexe myotatique se déclenche plus tardivement. Seul ou avec l’aide d’un partenaire, étirez-vous de façon passive très doucement. Dès que la crispation apparaît, relâchez et recommencez encore plus délicatement.
  • Un étirement balistique (mouvement lancé) mais limité en amplitude qui n’a pas entraîné le réflexe de protection peut être réitéré en allant graduellement plus loin sans contraction parasite. À pratiquer exclusivement sur des muscles chauds. Évitez de démarrer trop vigoureusement ces étirements et amplifiez le mouvement très progressivement.
  • La contraction d’un muscle provoque le relâchement de son antagoniste. Les étirements actifs exploitent cette caractéristique, mais cette décontraction réflexe se prolonge quelques instants après l’arrêt de la contraction, temps suffisant pour étirer passivement cet antagoniste.
  • Un muscle préalablement contracté s’étire plus facilement, car cette contraction inhibe provisoirement le réflexe myotatique de celui-ci.
  • La relaxation, la méditation, un certain confort, une ambiance sereine, un bon positionnement corporel et surtout une respiration lente, profonde, abdominale contribuent au relâchement musculaire. Vous pouvez aisément sentir la détente d’un muscle étiré lors de l’expiration. Soignez le contexte dans lequel vous vous étirez, adoptez cette respiration calme et conscientisée avant de commencer vos étirements et maintenez-la durant tous vos exercices.
  • Il n’y a guère de profit à tirer longuement (plus de 30 secondes) sur un muscle contracté. Soit on parvient à le relâcher grâce à l’expiration ou des auto-massages, soit on recommence la procédure en veillant à éviter réflexe myotatique et crispations secondaires. Trois ou quatre étirements de courte durée procurent généralement un meilleur résultat qu’une obstination sur un muscle récalcitrant. Cela est vrai pour la plupart des sportifs, mais certains trouveront un bénéfice à s'étirer longuement.

Il est possible que certaines de ces suggestions ne vous procurent pas le résultat escompté dans votre recherche de gain en souplesse ; le réflexe myotatique, ses variantes et les crispations d’origines diverses ne se manifestent pas sur tous les sportifs de la même manière. Mais si vous parvenez à bien vous connaître — en l’occurrence à distinguer les limitations d’ordre mécanique de celles d’ordre psychologique —, vous découvrirez rapidement les formules les mieux adaptées à votre cas personnel. Attention, la méthode la plus efficace peut changer en fonction de l’articulation visée ou de vos dispositions du moment. Surtout, ne désespérez pas ! il vous faudra peut-être tout tester pour découvrir la bonne solution et, parfois, les résultats n’apparaîtront qu’après avoir soigneusement affiné la procédure d’étirement, car la manière dont le corps réagit est souvent surprenante. D’ailleurs, le premier résultat ne sera pas toujours celui qui était visé ; avant de gagner de l’amplitude de mouvement, vous découvrirez peut-être une aisance nouvelle ou un simple mieux-être. Les progrès sont souvent lents, mais vous devez les constater, sinon vous devrez parfaire votre méthode.
Ne vous acharnez pas ; soit vous pratiquez des étirements légers régulièrement, soit vous préférez des séances plus soutenues, mais, dans ce cas, vous ne devez pas répéter les mêmes exercices plus de deux fois par semaine, et jamais en étant fatigué ou courbaturé.

La simple récupération de la longueur optimale des muscles ne se heurte pas aux mêmes difficultés. Il suffit de s’étirer très régulièrement en n’oubliant aucune partie du corps. Malheureusement, une période sans étirement, même sans sport, conduit automatiquement à un rétrécissement musculaire qui limite l’amplitude articulaire. On se retrouve dans la nécessité d’un assouplissement et non d’un étirement.
Le corps est commandé par l’esprit. Compréhension, décision, motivation, volonté, freins psychologiques… tout provient de l’esprit. Si vous vous heurtez à des difficultés insurmontables, c’est peut-être un travail sur l’esprit qui ouvrira les vannes du travail productif sur le corps.

 

Techniques d’étirement

En dépit de la pléthore de méthodes d’étirement et d’innombrables dénominations qui recouvrent souvent des techniques proches ou identiques, voici en résumé les types d’étirement qui méritent d’être testés avec une illustration pratique pour chacun.

  • Étirements actifs.
  • Étirements dynamiques.
    La position d’étirement d’un groupe musculaire est atteinte sans aide extérieure grâce à la contraction des antagonistes.
    Exemple : en seiza, dos bien droit, placez le dos d’une main sur les vertèbres lombaires, tirez lentement le coude vers l’arrière, puis décollez la main du dos pour étirer davantage l’épaule ; tenez 2 secondes. Répétez 5 à 10 fois.
  • Étirements dynamiques amplifiés.
    Comme précédemment, puis amplification passive de l’étirement.
    Exemple : debout, vous élevez activement mais lentement, le plus haut possible, une jambe en position finale de yoko-geri-kekomi, puis faites-vous aider pour gagner 10 % d’amplitude ; position tenue 2 secondes. Répétez 5 à 10 fois. Vous pouvez monter jambe tendue ou selon la trajectoire du kekomi ; les deux sont bénéfiques.
  • Étirements balistiques.
    Mouvements répétitifs de grande ampleur. Position finale non tenue.
    Exemple : en zen-kutsu dachi, lancers vers l’avant et le haut de la jambe arrière tendue et retour à la position de départ.
  • Étirements fonctionnels. 
  • Étirements activo-dynamiques.
    Un muscle est placé passivement en position d’étirement, contracté, puis mobilisé de façon dynamique et répétée. Étirement et contraction préparent le muscle à son cycle fonctionnel.
    Exemple : debout, jambes tendues, un talon posé sur un support légèrement surélevé par rapport au sol, tournez les hanches face à celui-ci et inclinez le buste gainé vers l’avant pour étirer l’ischio-jambier 5 à 10 secondes ; contraction du muscle précité 5 à 10 secondes en tentant d’écraser le talon sur le support, puis série dynamique de talons aux fesses.
  • Étirements passifs.
  • Étirements statiques.
    Réalisés sans contraction grâce au poids du corps ou avec l’aide d’un partenaire.
    Exemple : en position assise, un partenaire ouvre lentement le compas formé par vos jambes tendues ; position maintenue 20 à 30 secondes.
  • Étirements PNF (Proprioceptive Neuromuscular Facilitation).
    Étirements passifs après inhibition du réflexe myotatique par contraction du muscle cible ou de l’antagoniste.
  • Contraction, relâchement, étirement (CRE).
    Exemple : bras tendus devant vous à hauteur d’épaule, vous pressez fortement une main contre l’autre 5 à 10 secondes (contraction des pectoraux) ; relâchez 2 à 6 secondes puis écartez horizontalement les bras et, en vous plaçant dans un angle de mur, avancez le buste pour amplifier l’angle d’ouverture (étirement des pectoraux) ; tenez 5 à 20 secondes.
  • Contraction d’un muscle, étirement de l’antagoniste.
    Exemple : debout, dos au mur, élévation active sur le plan frontal d’une jambe tendue ; blocage à mi-parcours (45°) par votre partenaire et poursuite de l’effort isométrique vers le haut pendant 5 à 10 secondes (contraction du quadriceps et du fessier) ; relâchement de 2 à 6 secondes et élévation passive maximale de la jambe tendue (étirement de l’ischio-jambier). Tenez 5 à 20 secondes.
  • Contraction, relâchement, étirement avec contraction de l’antagoniste (CRAC).
    Exemple : debout près d’un mur pour maintenir l’équilibre, une jambe tendue sur le côté en position de yoko-geri-kekomi, un partenaire l’élève lentement à son maximum pour étirer les adducteurs (intérieur de la cuisse). Descente de quelques centimètres, maintien sous le talon par le partenaire et effort isométrique maximal sur le talon vers le bas en contractant les adducteurs pendant 5 à 10 secondes. Relâchement de 2 à 6 secondes et nouvel étirement par le partenaire. À cet instant, vous rajoutez une contraction des abducteurs (extérieur de la cuisse) pour maintenir la décontraction de vos adducteurs et aider l’élévation de la jambe ; tenez 5 à 20 secondes.
    La dernière partie de cet exercice n’est pas facile à réaliser, mais elle mérite d’être testée et d’y mettre un peu de persévérance.

Quelques conseils :

  • Les temps indiqués sont indicatifs ; en fonction de votre ressenti, vous pouvez les modifier sensiblement.
  • Attendez au moins 30 secondes avant de répéter un étirement PNF.
  • Vérifiez en permanence le bon placement de votre corps.
  • Pratiquez des expirations lentes et profondes pour vous relâcher.
  • Ménagez les muscles fatigués et n’étirez pas ceux qui sont blessés.
  • Évitez les à-coups et dans les mouvements balistiques, relâchez bien l’articulation visée, mais gainez le tronc.
  • Sauf pour un travail d’assouplissement ciblé, procédez toujours de façon équilibrée : agoniste et antagoniste ; devant et derrière ; droite et gauche ; haut et bas.
  • Répétez vos étirements sous différents angles afin de solliciter les différentes fibres, faisceaux et chefs musculaires.
  • Pour être efficaces, vos étirements doivent dépasser la zone de confort, mais ne jamais entrer en zone de douleur. La formule « douleur agréable » semble parfaitement appropriée.

Tous ces étirements peuvent se pratiquer seul ; parfois au prix de quelques bricolages astucieux. Vous trouverez aisément des solutions, mais voici un exemple : pour lever passivement votre jambe tendue, vous pouvez tirer sur une sangle fixée à la cheville qui passe sur une barre située au-dessus de vous.

Reste à savoir quand s’étirer, dans quel but et avec quelle méthode. Deux périodes sont évoquées par la plupart des spécialistes : l’échauffement et la fin de l’entraînement consacrée à la récupération et au retour au calme. Certes, les experts les préconisent, les sportifs les réclament ; il est donc logique que l’entraîneur classique, désireux de bien faire sans trop se poser de questions, insère les étirements dans ces deux phases de son entraînement. Mais sont-ce les meilleurs moments pour s’étirer ou s’assouplir ? Poser la question constitue déjà une remise en question de la tradition sportive. Nous allons approfondir ce point, mais le sport n’est pas la seule activité — ou inactivité — qui justifie la pratique des étirements ; il faut aussi prendre en compte la nécessité de combattre les méfaits de la vie moderne.
Quand vous restez longtemps assis, en voiture, au bureau ou dans votre canapé, vous éprouvez le besoin de vous dérouiller de temps en temps, car le corps n’apprécie pas plus l’inactivité que les excès de l’activité. La position assise, outre les tensions mécaniques qu’elle occasionne sur les vertèbres lombaires, même en se tenant droit, raccourcit les quadriceps et étire les fessiers. Conséquence : des quadriceps qui accentuent la cambrure lombaire (lordose) et des fessiers trop lâches incapables de s’y opposer. Cela peut être dramatique si vous avez déjà souffert de lumbago, sciatique ou cruralgie. Que ce soit dans un but curatif ou préventif, vous devriez périodiquement — toutes les heures ? —, activer vos articulations et vous étirer, pas forcément longuement, mais de façon bien ciblée : entre autres, un étirement des quadriceps et une mobilisation active de toutes les articulations ayant souffert de l’immobilité. Pensez à un éventuel renforcement ultérieur de vos fessiers si ces stations assises sont très fréquentes. Ces activations articulaires et ces étirements réguliers demandent peu de temps, car il n’est pas indispensable de s’échauffer.

 

Quand s’étirer ?

Un muscle chaud, mais pas fatigué, se relâche et s’étire plus facilement. La chaleur peut avoir une provenance interne (effort), externe (pommade chauffante, douche chaude ou sauna) ou les deux (vêtements chauds et effort). Étirez-vous donc à chaud quand vous le pouvez, mais, attention, l’étirement d’un muscle venant de produire de gros efforts entraîne des microtraumatismes qui retardent la récupération ; après un entraînement intensif attendez le lendemain ou plus en cas de courbatures. Même après un effort moyen, il vaut mieux attendre un peu ; sous la douche bien chaude qui suit l’entraînement ou deux heures plus tard, c’est parfait.

Les étirements à froid, longtemps décriés, ne sont pas contre-indiqués, loin de là. Froid, le muscle est plus raide, car les myofilaments glissent moins aisément les uns sur les autres. La différence avec un muscle chaud est une évidence pour tous les sportifs conscients de l’origine de leur performance. Dans ces conditions, l’allongement lors d’un étirement concerne davantage les tissus conjonctifs : membranes, tendons, capsule. C’est sans doute le meilleur moyen d’obtenir un assouplissement plutôt qu’un simple étirement du muscle. Évidemment, si avec des muscles chauds il faut être attentif à ne pas provoquer de lésion, à froid, il est strictement interdit d’aller jusqu’à la douleur. En respectant cette consigne, le bénéfice devrait être notable, car la souplesse réellement fonctionnelle et utilisable au quotidien est celle que l’on a à froid.

Cela nous amène à une préconisation : étirez-vous le plus souvent possible, quand l’opportunité se présente ou quand vous le jugez nécessaire, sans vous traumatiser — pas d’étirement brusque ou balistique à froid —, et dès le réveil. Certains se disent réfractaires à toute activité physique au petit matin. Pourtant, dans le lit, quelques étirements de l’ensemble du corps, doux et progressifs, permettent de démarrer la journée avec plus d’entrain. S’étirer devrait être un réflexe naturel et bénéfique après une immobilisation prolongée. Inspirez-vous du comportement des félins qui ne manquent pas une occasion de se détendre ; leurs muscles et articulations sont semblables aux nôtres. Il suffit de quelques secondes pour étirer un ou deux groupes musculaires. Les longues séances ne sont donc pas nécessaires, mais il faut s’habituer à intercaler ces micro-séances entre les différentes activités journalières. Ces étirements seront le plus souvent passifs et toujours lents. N’ayez pas peur du ridicule si des collègues vous regardent d’un œil goguenard ; gageons même que certains finiront par vous imiter quand ils auront compris la pertinence de ces mouvements.

Si vous voulez gagner en souplesse, il sera peut-être indispensable d’effectuer un travail plus soutenu. Toutes les formes d’étirement passif sont utilisables. Assouplissez-vous à froid, puisqu’à chaud ce sont surtout les myofilaments qui glissent les uns sur les autres alors que vous souhaitez allonger l’ensemble des tissus conjonctifs. Si les contractions réflexes et parasites contrarient vos efforts, essayez sérieusement les étirements PNF, mais attendez au moins 48 heures avant de reprendre le travail sur un même groupe musculo-articulaire. Pour corriger l’amplitude des articulations particulièrement récalcitrantes, des séances dédiées pourront s’avérer nécessaires. Dans ce cas, soignez tous les détails : la technique, le confort, l’ambiance, la disponibilité d’esprit… Commencez donc par une simple relaxation, un mokuso, et chronométrez les phases de chaque exercice car une modification de quelques secondes peut changer l’état d’un muscle, sa réactivité et la facilité d’apparition des réflexes de protection.

Par définition, l’échauffement consiste à élever la température corporelle, mais aussi à préparer le corps et l’esprit à fournir de gros efforts ou à subir des contraintes importantes. Les étirements actifs et activo-dynamiques contribuent bien à cette mise en condition générale. Les étirements passifs ne sont pas prohibés, mais ils n’échauffent pas les muscles et les rendent moins réactifs dans l’heure qui suit ; à utiliser en connaissance de cause. Cette phase de l’entraînement n’est pas destinée, sauf séance spécifique, à l’assouplissement, mais à une préparation aux efforts violents. Le simple fait de définir son objectif évite bien des confusions.

Au milieu d’un entraînement d’art martial, un étirement ciblé peut s’avérer pertinent pour amorcer le travail d’une technique particulière, mais il ne doit pas être accompagné d’un relâchement trop prolongé qui induirait une baisse notable de la température corporelle. À ce moment, les étirements passifs ne sont pas conseillés puisqu'ils compriment durablement les vaisseaux qui amènent les éléments régénérateurs et évacuent les déchets métaboliques à un moment où le muscle a le plus grand besoin de ces transferts.

En fin de séance, les étirements, outre leur fonction de rétablissement de la longueur optimale des muscles, doivent contribuer au retour au calme et à la relaxation. Le dynamisme est à proscrire ; l’idée d’assouplissement également. Seuls les étirements passifs statiques peuvent trouver leur place à ce moment, mais en ne les maintenant ni trop vivement, ni trop longtemps pour éviter d’asphyxier le muscle. En dehors de la restitution de la longueur optimale du muscle, n’en attendez pas des miracles : ils n’atténuent pas les courbatures, toutes les études le prouvent, et risquent même de retarder la récupération, surtout après des efforts intensifs. Qui plus est, dans un cours collectif, il est difficile de connaître précisément l’état musculaire de chaque sportif à la fin de l’entraînement et, en conséquence, les étirements adaptés à chacun. Il est souhaitable de laisser la place à l’initiative personnelle. Chaque personne s’étirera, ou pas, ou plus tard, comme il lui convient. On favorise ainsi la connaissance de soi, pilier essentiel de l’exploitation raisonnée de son potentiel physique et mental.

 

Automassages

La musculation quelque peu soutenue provoque des microlésions au sein des fibres musculaires. Celles-ci sont à l’origine des courbatures ; l’acide lactique, métabolite qui limite la durée des efforts intenses, longtemps tenu pour responsable, n’y étant pour rien, car il disparaît en moins d’une heure. La réparation de ces blessures au sein des fibres s’effectuera naturellement en quelques jours. Quand le muscle est fatigué, les étirements, même légers, créent également des microlésions qui s’ajoutent aux précédentes et retardent copieusement la restauration de l’intégrité musculaire. On se gardera donc d’enchaîner sans délai musculation soutenue et étirement sur un même groupe musculaire. Cependant, ces microtraumatismes ne se guérissent pas toujours de façon idéale. Souvent, ils provoquent des adhérences — développement d’une fibrose — entre les différents tissus : structures musculaires, nerfs, vaisseaux et peau qui ne glissent plus correctement les uns sur les autres. Les massages apparaissent comme le remède idoine pour rétablir les plans de glissement. Attendu qu’il est rare de disposer à plein temps de son kinésithérapeute personnel, les automassages représentent l’unique solution viable.
Le sportif lambda n’a aucune connaissance des techniques de kinésithérapie et il est hors de question de lui donner une illusion de compétence en ce domaine. Nous proposerons donc des techniques extrêmement simples, accessibles à tous et n’utilisant aucun matériel particulier.

L’objectif assigné à ces automassages est de faire disparaître les adhérences. Pour cela, il suffit de mobiliser les différentes structures, musculaires, nerveuses et vasculaires, pour résorber ces développements de fibrose : frictions plus ou moins appuyées, percussions légères, malaxages, mais toujours sur des muscles relâchés ; rien donc de bien compliqué. Vous pouvez également faire rouler une balle de tennis ou un rouleau à pâtisserie sur l’ensemble musculaire à masser.
Oubliez les muscles blessés ou trop douloureux et commencez sur les autres avec délicatesse ; vous augmenterez la vigueur de vos massages progressivement en fonction de vos besoins. Ces automassages détendent les muscles, accélèrent la récupération, résorbent les adhérences et peuvent dénouer une contracture. Ne négligez aucune partie du corps ; la plante des pieds, la nuque ou les tempes sont souvent oubliées.

Reste à définir la fréquence de ces massages auto-administrés. La réponse est simple : le plus souvent possible. Dans le lit, sous la douche, avant ou après l’entraînement. Même assis à votre bureau ou au cinéma, vous pouvez triturer vos quadriceps, vos ischio-jambiers, vos adducteurs et abducteurs, vos pectoraux, vos triceps et biceps, etc. Quant à ceux dont les muscles trop toniques leur infligent une limitation excessive de l’amplitude articulaire qu’ils n’arrivent pas à corriger, ces manipulations pourraient bien constituer une part non négligeable de la solution.
Essayez sérieusement ces automassages, que vous pouvez associer à des mobilisations articulaires douces et progressives, étirez-vous régulièrement, équilibrez vos qualités de souplesse et de puissance ; quel que soit votre âge, vous améliorerez votre aisance, vos performances et votre santé.

Dans tous les sports, on remarque d’abord ceux qui réussissent : les champions bien sûr, mais aussi les sportifs anonymes dont la progression est rapide et régulière. Sans doute sont-ils dotés de prédispositions naturelles, car ils se distinguent dès leurs premiers entraînements, mais, invariablement, leur temps de pratique hebdomadaire se révèle largement supérieur à la moyenne. La plupart ne se contentent pas des cours offerts par leur club et prennent des initiatives qui s’avèrent souvent payantes pour renforcer leurs qualités physiques.
Les autres, ceux que la nature n’a pas dotés de dons exceptionnels, qui avancent moins vite, voire laborieusement, pourraient tous améliorer leur progression de manière sensible en modifiant leur manière d’aborder l’activité sportive et en fournissant eux aussi une petite dose d’investissement personnel. En général, ces sportifs attendent quasiment tout, ou trop, des cours proposés par leur entraîneur, car ils s’imaginent que celui-ci possède toutes les clés de leur progression. Or, on l’a vu, l’instructeur ne dispose généralement pas des outils psychologiques, techniques ou organisationnels qui lui permettraient d’adapter précisément ses entraînements de préparation physique à chaque sportif. Sa compétence est souvent indéniable, mais par la force des choses, elle se limite en pratique à la transmission des qualités d’adresse et d’endurance, alors que celles-ci dépendent étroitement de la souplesse et de la puissance. Certes, dans un cours de karaté, on apprend des techniques d’étirement et de musculation, mais elles sont rarement pratiquées au bon moment ni en conformité avec les besoins individuels et souvent limitées en diversité. Si vous faites partie de ceux qui aimeraient avancer plus vite, il est impératif que vous assumiez le rééquilibrage de votre préparation physique par un travail personnel bien conduit. Or, il n’y a que vous qui puissiez savoir précisément ce qui vous serait bénéfique ; à condition, bien sûr, que vous vous livriez à une introspection psychologique et physique sans a priori qui vous procurera les réponses exactes à la question : « De quoi ai-je réellement besoin pour être au mieux de mon potentiel physique et spirituel ? »

Vous en savez maintenant assez pour commencer. Il sera peut-être nécessaire de compléter votre panoplie, tant en musculation qu’en étirement, en demandant des conseils, en lisant quelques ouvrages ou en consultant certains sites Internet, mais aucun ne vous dira ce qui vous convient précisément. À vous d’en déterminer la forme, l’intensité, la périodicité et l’objectif ; votre entraîneur peut vous aider, mais n’en attendez pas des miracles, car il n’est ni devin ni omniscient. Cette vérité incontournable touche tous les sportifs, mais dans l’art martial, elle fonde l’objectif ultime : lors d’un recours vital aux techniques du budo, votre instructeur ne sera pas là pour vous tenir la main ; il ne peut y avoir qu’un seul vrai maître : vous !
En approchant de cette maîtrise, vous sentirez instinctivement d’où provient votre efficacité. Ainsi, la souplesse est importante dans la mesure où vous savez l’utiliser et la coordonner ; quant à la puissance, celle qui permet de neutraliser l’ennemi en une fraction de seconde, elle ne repose pas totalement sur les muscles. Il est coutumier de séparer les arts martiaux internes (tai-chi-chuan, qi-gong) et externes (karaté, judo, kendo, etc.) ; soit, d’une part ceux qui s’intéressent à la production et à la gestion de l’énergie interne et, d’autre part ceux qui se préoccupent en priorité de la maîtrise gestuelle. Séparation qui met en évidence leurs lacunes respectives. Un véritable art martial doit associer ces deux facettes. L’efficacité du vrai budoka doit conjuguer la puissance musculaire et la mobilisation explosive de toutes les sources d’énergie interne dont l’esprit est le maître d’œuvre. Dans cette optique, votre mental est aussi important que vos muscles ou votre liberté articulaire qui ne doivent pas accaparer toutes vos sollicitudes. Cependant, même si cela ne représente pas l’ultime clé de la réussite martiale, le comblement de vos déficits, l’équilibrage de vos qualités de puissance, de souplesse et leur entretien doivent être assurés avec le plus grand soin, car ils sont le socle sur lequel tout l’édifice va reposer.

Après la lecture de cet article, vous devriez posséder, quels que soient votre âge, votre condition physique actuelle, vos antécédents traumatiques ou vos prétendues limites naturelles, les idées et une partie des outils nécessaires à la mise en place d’un programme de préparation athlétique personnalisé. Évidemment, cela va impliquer quelques efforts, intellectuels pour apprendre et comprendre, spirituels pour mieux vous connaître, d’investigation pour découvrir les techniques qui correspondent le mieux à vos besoins et physiques pour acquérir des capacités nouvelles, mais il s’agit de vous, de vos performances, de vos compétences, de votre santé, de votre plaisir, de votre épanouissement, et comme le stipule une célèbre publicité, « Vous le valez bien ! »

Sakura Sensei


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