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LA LETTRE DU GOSHIN BUDOKAI N°43 mars 2020

 

 

COMPRENDRE


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La philosophie des arts martiaux est une auberge espagnole où quelques doctes élucubrateurs amènent des idées qui surclassent rarement les sempiternelles platitudes ressassées par les béotiens. Il serait pourtant passionnant de comprendre ce que recèlent d’exceptionnel ces arts martiaux pour mériter d’être régulièrement accolés au terme philosophie, du grec ancien « φιλοσοφία » qui signifie littéralement « amour de la sagesse » ou, selon certaines traductions « amour du savoir ». Peut-on, cependant, imaginer un sage sans connaissance ? Sans doute pas, car sa réflexion doit forcément s’appuyer sur une large culture. Attendu qu’on peut être instruit sans être sage, je préfère la formule « amour de la sagesse ». En pratique, la philosophie, abstraction faite de la simple répétition sentencieuse de la pensée d’un érudit ou de sa fonction scolaire quelque peu sclérosée, est un art du questionnement destiné à comprendre le monde, concret et abstrait, et à conduire sa vie le mieux possible. Comme l’art martial offre un moyen de gérer sereinement les aléas parfois violents de la vie, on voit poindre une certaine concordance entre l’art de philosopher et l’art martial. Une incursion dans la genèse de l’extraordinaire agressivité humaine qui justifia tous les développements militaires et martiaux que nous connaissons aujourd’hui nous livrera peut-être quelques clés pour mieux éclairer le lien entre philosophie et art martial.

 


Comprendre la violence

Le monde animal, dont l’homme s’estime, sans doute un peu hâtivement, l’ultime perfection, se montre souvent cruel, mais à la différence des animaux qui, sauf conditions très particulières, ne s’attaquent pas à leurs congénères et vivent plutôt en bonne intelligence, depuis son émergence, Homo sapiens n’a eu de cesse de mépriser, d’opprimer, d’asservir ou d’occire ses semblables. Les raisons avancées sont souvent déguisées, mais pas assez pour masquer qu’elles expriment toute la noirceur de l’espèce humaine. Quand l’homme vilipende, chamaille, maltraite, frappe, pourfend, embroche, fusille, bombarde, assiège, envahit, conquiert…, actions qu’il a continuellement perfectionnées, ses vraies motivations relèvent plutôt des troubles de l’esprit (émotion, confusion, bêtise, arrogance, égoïsme, jalousie, vengeance, xénophobie…), de la doctrine ou de l’idéologie (racisme, antisémitisme, hégémonisme, expansionnisme, religionisme, nationalisme, communisme, fascisme…), toutes tares produites par les cerveaux de malades affirmant agir pour des motifs légitimes ou pour défendre de grandes idées ; il faut bien faire reluire son ego en présentant ses opinions et ses actions dans de beaux atours ! Et quand ces allégations émanent de l’esprit des leaders, de ceux qui font l’opinion, détiennent un pouvoir, prennent des décisions stratégiques, entraînent les masses serviles dans des croyances saugrenues et des agissements auxquels elles ne comprennent pas grand-chose, alors naît le chaos. Ainsi, tout au long de l’histoire humaine de nombreux prétextes incongrus, étranges ou imaginaires ont déclenché des cataclysmes. Pourtant, ces conflits auraient pu connaître des issues moins tragiques si chacun s’était donné les moyens de comprendre la vraie teneur des théories et des propositions qui lui sont présentées, les arcanes de ses convictions et les véritables objectifs des meneurs. Chaque individu concerné aurait alors pu se rendre compte de l’inanité d’une grande partie de ses opinions, propres ou inculquées, et par suite de ses actions, car les artifices de cette élaboration intellectuelle se noient dans un magma d’incohérences et d’absurdités sensiblement éloignées de la réalité : de nombreux dogmes impossibles à déraciner, beaucoup d’informations contradictoires, des points de vue partiaux, des valeurs fondamentalement immorales, du faux bien présenté qui ressemble à du vrai ou inversement, de perfides pressions difficiles à identifier, des paroles mal comprises, des généralisations abusives, des illogismes fréquents... Ajoutons le manque de volonté d’analyser, de raisonner ou de comprendre et tout cela façonne des consciences championnes des choix hasardeux, qui ont évidemment une forte probabilité d’exposer à de nombreuses calamités : erreurs de jugement, choix malheureux, subtiles manipulations, insidieux endoctrinements... Ce laxisme intellectuel favorise l’adhésion à la dernière proposition séduisante et la peur de passer pour une girouette rend difficile le changement d’attitude lorsqu’on s’aperçoit de son fourvoiement. La tragique fragilité des relations humaines s’alimente de cette pusillanimité, de ce déficit de compréhension et de la perméabilité des esprits aux rumeurs, aux croyances, aux charlatanismes et aux embrigadements.

« Le trait est grossier » vont penser la plupart des lecteurs. Évidemment, chacun se croit à l’abri de ces tares même s’il admet quelques petites déficiences ponctuelles, mais en réalité, indépendamment des petits conditionnements propres à la vie quotidienne, il existe de nombreux domaines pour lesquels la plupart des gens ne se donnent pas la peine de réfléchir et se laissent conduire par l’habitude, les conventions, une idéologie ou la pression sociale. Il en va ainsi des valeurs morales, sociales, écologiques, économiques ou financières largement partagées et parfois érigées en nouveaux dieux, de certains cursus institutionnalisés et des normes d’honorabilité, qui changent au fil des époques ou des lieux et induisent des comportements convenus, pas toujours parce qu’on y adhère, mais parce qu’on s’y sent tenu. Un exemple : le système scolaire qui diffère sensiblement selon les pays et les idéologies. Certains contestent sa structure ou ses programmes, mais ils sont bien forcés de s’en accommoder et adoptent, pour eux-mêmes ou leurs enfants, les mêmes réflexes pavloviens que les autres pour obtenir la considération espérée : diplôme, métier intéressant, emploi lucratif, ascension sociale, etc. Au final, à des degrés divers, tout le monde s’inscrit dans ces schémas d’influences inconscientes ou acceptées, voire rejetées, ce qui se traduit par des conduites tout autant prévisibles. Comme des incitations ou des arguments divergents sensibilisent des personnes différentes en fonction de prédispositions arbitraires ou dogmatiques, des désaccords naissent constamment et enflent parfois jusqu’aux pires extrémités. Ce scénario n’est pas le plus inquiétant ; quand une forte proportion de citoyens se laisse entraîner dans la même idéologie haineuse ou conquérante, l’ombre de l’action collective violente, voire de la guerre, se profile. Un peu de jugeote suffirait pour éloigner toutes ces éventualités.

L’agressivité humaine s’établit selon un processus progressif. Elle est d’abord invisible, lovée dans les pensées de la plupart des humains, certes réfrénée, comportement citoyen oblige, mais déjà virulente. Néanmoins, circonstances aidant, elle s’exprime souvent dans les paroles, les écrits ou les attitudes, provocations qui suscitent beaucoup de souffrances morales, avant d’arriver, pour les plus vindicatifs, aux actes, lesquels peuvent concerner les choses (vols, dégradations…), les animaux (maltraitance) ou les personnes (incivilités et violences allant de la simple altercation jusqu’à la guerre d’extermination totale). Or la violence verbale est habituelle, même chez les gens qui se targuent de noblesse d’âme. Certes « l’enfer est pavé de bonnes intentions », mais parfois même les intentions ne sont pas bonnes et le glissement d’un niveau d’agressivité au suivant se fait sans coup férir. Dernièrement, de nombreux médias relevaient la multiplication inquiétante de propos racistes et de rumeurs fallacieuses déclenchés par l’épidémie de pneumonie à coronavirus ; violence verbale gratuite, déplacée et contagieuse s’il en est, qui ne manquera pas d’amener son lot de sévices. Déjà, à l’heure où j’écris, les journalistes en rapportent à foison.
Il est crucial de comprendre la genèse de la violence extrême ; elle commence toujours dans l’esprit avant de devenir physique et quand la même idée infecte beaucoup de monde, les déchaînements de fureur collective et les mesures drastiques qui s’ensuivent sont toujours à craindre. Pour prévenir ces dérapages, il faudrait que chacun s’attache à comprendre la teneur, l’origine, la portée et les conséquences potentielles de ses idées de façon à corriger ou éliminer celles qui s’avèrent bancales, contestables ou condamnables ; à défaut, l’atavisme violent de l’humanité continuera à s’exprimer sans limite. Ce n’est pas quand elle devient apparente qu’il faut combattre la violence, mais dès qu’elle tente de s’installer dans les consciences. Tâche colossale vu l’insatiable appétit du public pour l’agressivité extrême et les horreurs sanguinolentes des films contemporains. Entre autres nécessités, il faudra prendre conscience de l’influence néfaste de l’esprit de compétition qui envahit la quasi-totalité des activités humaines : sportives, ludiques, professionnelles… La rivalité permanente a une forte probabilité d’évoluer vers l’animosité… et plus si affinité.
Certains, coutumiers de l’agressivité verbale, ne sombreront sans doute jamais dans la violence physique, néanmoins leurs idées rageuses pourront contaminer des esprits réceptifs et les inciter à passer à l’acte. Comprendre la genèse parfois surprenante de ses idées ne suffit pas ; il faut également comprendre leur effet possible sur autrui, investigations qui sont rarement entreprises. Mais les violences, sous toutes leurs formes, ne sont pas les seuls signes de la déliquescence des consciences et de l’incompréhension généralisée ; toute l’existence humaine subit l’influence de petits lutins malicieux qui se faufilent dans les esprits et les dirigent « à l’insu de leur plein gré » selon une formule devenue populaire.
Pourquoi donc les hommes se laissent-ils aussi facilement entraîner à penser ou agir sans comprendre, en croyant comprendre ou en refusant de comprendre, stratagème usuel de l’égoïste roublard ? La solution se résumerait-elle en un seul mot ? Comprendre ! De façon à se prémunir contre la fiction et le mensonge, à s’approcher de la vérité, à éviter les inévitables conséquences des idées tordues. C’est ce que nous allons nous efforcer de comprendre.

 

Comprendre l’urgence de pacifier le monde

Peu de gens peuvent expliquer clairement, logiquement et sans se référer à une idéologie ou à une sommité, argutie qui évite de raisonner soi-même, leurs opinions, décisions et actions même s’ils affirment les avoir intelligemment conçues. Cela ne va pas sans effets fâcheux, mais ce qui est dommageable pour un individu peut se révéler catastrophique quand une même dérive intellectuelle ou psychologique s’étend à une large frange de population. Il suffit d’évoquer l’énorme soutien populaire accordé aux idées morbides des innombrables dictateurs, despotes et autres illuminés qui ont marqué l’Histoire du sceau de l’infamie, dont les signes étaient pourtant clairement exposés, pour illustrer cette absence de conscience morale et de réflexion rationnelle responsable des hystéries collectives conséquentes. Aujourd’hui, c’est Allah et le Coran qui mobilisent des légions sanguinaires écervelées, mais, bien que généralement moins extrêmes, de nombreux mouvements nationalistes, révolutionnaires, réactionnaires, populaires, sectaires ou corporatistes de part le monde ne sont guère soutenus par l’intelligence de leurs troupes. De nombreuses idées prétendument généreuses sont ainsi imposées par la violence. Tuer pour aider ; quelle bonté d’âme !

Illogisme, croyance, contresens, contradiction, fourberie, hypocrisie et égoïsme truffent les discours et gangrènent les initiatives dont les répercussions sont rarement comprises et évaluées. Même ceux qui ne cautionnent pas certains agissements sont entraînés dans ces turbulences. Il est vrai qu’il est souvent difficile de faire valoir une opinion ou une simple remarque de bon sens en désaccord avec l’ordre établi, la pensée dominante d’un groupe ou les diktats d’un tyran, mais personne n’est tenu de suivre bêtement le troupeau par peur de représailles ou de marginalisation. Ainsi, de nombreux philosophes et scientifiques, qui s’appuyaient sur l’observation du réel, se sont heurtés aux dogmes de l'Église catholique : Copernic, Bruno, Galilée, Kepler, Descartes, Newton, Lamarck et Darwin pour les plus connus. Certains refusèrent la compromission ; ils furent jugés, condamnés, emprisonnés ou brûlés vifs par l’Inquisition, tribunal religieux qui mania sans vergogne l’arbitraire et disparaîtra au cours du XIXe siècle. D’autres, sans se renier, aménagèrent leurs discours et leurs publications de façon à ne pas trop subir les foudres du clergé. Mourir en héros, sacrifice dont l’effet ne dure guère — qui se souvient des thèses de Giordano Bruno ? —, s’avère rarement efficace pour faire valoir un point de vue dissident ; des moyens existent qui permettent de ne pas avaliser les idées délirantes ou d’en soutenir d’autres durablement sans entrer en opposition flagrante quand on réfléchit quelque peu.

La raison peut vaincre l’obscurantisme, mais des éclaireurs sont nécessaires pour percer les premières lignes de l’ignorance et aider les peuples à s’approcher de la lumière. Cependant, les idées ne progressent pas toujours dans le bon sens et des résurgences d’inculture et de balourdise fleurissent tous les jours. Ainsi, la Terre plate, le géocentrisme ou le créationnisme connaissent une large recrudescence de leurs apôtres, la théorie du complot se déguste à toutes les sauces et les extraterrestres sont parmi nous. Tout le monde n’est pas atteint d’une telle stupidité, mais les exemples de divagations insensées ou immorales atteignant de larges franges de population, y compris les élites, pullulent même dans les pays où le niveau d’instruction est le plus élevé.
Certains doutent de l’astrologie et de ses horoscopes, mais les consultent néanmoins ; d’autres croient fermement en leurs prétentions divinatoires. Ces fervents lecteurs devraient rencontrer les journalistes chargés de rédiger ces fadaises pour comprendre comment ceux-ci se gaussent de la crédulité du public, leur travail, loin de la science, consistant à trouver les formules qui permettent de fidéliser les lecteurs. L’homéopathie, dont la France est premier producteur et premier consommateur, sortie du chapeau de Samuel Hahnemann en 1796, fournit un bel exemple de croyance encore en vogue en 2020 qui s’appuie sur des prémices totalement loufoques. Libre à chacun de soigner les maladies bénignes de sa famille à l’aide de ce placebo, mais comment expliquer la certitude bien ancrée de son efficacité, même chez des gens qui ont les moyens intellectuels d’en comprendre les abracadabrants principes ? Quant à la morale, où est-elle lorsque l’égoïsme intransigeant de certains — très souvent des laudateurs de l’abolition des privilèges, votée lors de la révolution de 1789 — préside à la défense de ce qu’ils euphémisent en « avantages acquis » ? Plus troublant encore : durant une grande partie du XXe siècle, un grand nombre de thèses portant sur l’alchimie et sa recherche de la panacée, substance miraculeuse qui soulagerait tous les maux et prolongerait la vie, ont été soutenues dans les facultés de médecine françaises, prétendus temples du rationalisme. Même aujourd’hui la chimère alchimiste n’a pas totalement disparu des milieux soi-disant érudits. Que dire du gouvernement et des généraux anglais qui, durant la première guerre mondiale, face aux fusils, mitrailleuses, canons et mortiers allemands, entretinrent trois divisions de cavalerie (50 000 hommes) prêts à exploiter en chargeant sabre au clair une percée sur le front qui ne vint jamais ? « Il faut accepter par principe, pouvait-on lire dans le manuel Cavalry Training de 1907, que le fusil, si efficace soit-il, ne puisse pas remplacer l’effet produit par la vitesse du cheval, le magnétisme de la charge et la froide terreur de l’acier. » Les têtes pensantes, hier comme aujourd’hui, n’ont pas toujours tous les neurones correctement connectés.
On pourrait démontrer l’ineptie de nombreuses pratiques issues d’idées simplistes, dogmatiques, erronées, immorales, falsifiées ou pseudoscientifiques portant sur tous les sujets imaginables. Outre l’astrologie et l’homéopathie, on peut en évoquer une pléthore : morphopsychologie, graphologie, numérologie, réflexologie, futurologie, géobiologie, scientologie, chiromancie, ayurveda, reiki, médecine traditionnelle chinoise, feng shui, hydroscopie, ufologie, collapsologie… la liste est interminable. Mais tout cela est bien répertorié, donc facilement identifiable et limité à un petit pourcentage d’aficionados malgré un engouement notable pour certaines pratiques qui fournissent quelques pistes de recherche ou des résultats très limités, jamais néanmoins selon les explications avancées, souvent magiques ou mystiques. Cependant, les sources d’influence sur la vie quotidienne, personnelle et sociale, ne se réduisent pas à cette courte liste. De multiples croyances, conditionnements, sollicitations, pressions, rumeurs et fausses nouvelles affectent en permanence, sournoisement, l’ensemble de la population. Au sein de ce torrent d’informations trafiquées, hormis les religions qui ne jouent pas dans la même catégorie, la politique, la géopolitique, l’économie, la médecine populaire et les rapports sociaux se disputent certainement la palme des assertions les plus controuvées et des convictions mal fondées les plus tenaces.
Toutefois, l’évocation des erreurs individuelles et collectives du passé est insuffisante pour convaincre les individus embrigadés des aberrations ou des sophismes qui fondent leurs certitudes, guident leurs actes, induisent et ancrent fermement leurs humeurs ou états d’âme : admiration, exaltation, haine, peur, colère, véhémence… Démonstration éloquente du principe d’asymétrie de Brandolini : « La quantité d’énergie nécessaire pour réfuter une idiotie est beaucoup plus importante que celle requise pour la produire. » Et la foi en ces pseudo-vérités révélées, bien entretenue par les influenceurs, les thuriféraires, les activistes et les fanatiques, est souvent si forte, si prégnante que la force physique n’est jamais loin de supplanter la raison et le débat quand les faits et la vérité sont opposés aux croyances de ces énervés.

Mis à part celle de la science honnête — elle ne l’est pas toujours —, la communication, parole ou image, quelle que soit sa provenance, exprime rarement une pure vérité. Le message, même s’il ne contredit pas la réalité, est généralement aménagé, parfois inconsciemment, pour produire un effet sur le public visé qui, lui-même, active ses propres filtres pour l’interpréter : ego, conditionnements, désirs, croyances, émotions, sentiments.... Tout le monde manipule l’information, à l’émission comme à la réception. Résultat : l’arbitraire est roi. Selon des critères inexplicables, on rejette ceci, on croit cela, on l’assimile à sa façon et on le transmet avec sa petite touche personnelle. Ces glissements de sens vont parfois jusqu’à la confusion totale entre le vrai et le faux. Diffusez une vérité incontestable, vérifiable, et vous trouverez toujours des individus pour affirmer que vous vous trompez, qu’eux savent. Comment ? Mystère ! Chaque débat public voit ainsi fleurir son lot d’âneries et de contre-vérités. Même les conversations amicales ou familiales sont plus ou moins affectées de ces travers. Ce maelstrom d’assertions erronées ou mensongères, de rumeurs, de fantasmes et de perceptions entachées de biais psychologiques incite trop souvent à opérer des choix contestables, à prendre des décisions irrationnelles, à agir en aveugle. Quasiment personne n’échappe aux méfaits de l’ego, aux mirages des idées préconçues, aux troubles des émotions et sentiments ni aux multiples influences extérieures. On pense évidemment à la publicité, mais elle agit au grand jour ; d’autres sont beaucoup plus insidieuses. La peur ou la haine, par exemple, induisent une grande partie des pensées et des actes agressifs. Où se trouvent donc la logique, la réalité et la vérité quand les idées se forgent sur une base émotionnelle ? Et quand des légions moutonnières s’engouffrent dans l’absurdité, la foire d’empoigne est assurée. Comment l’individu pourrait-il s’épanouir sereinement dans ce contexte ? Comment des humains désorientés par leurs affects, dirigés par un ego suborneur, perfidement manipulés, pourraient-ils construire une société heureuse ?
Évidemment, des propositions sensées, pertinentes et utiles se faufilent dans cet entrelacs d’aberrations, d’hypocrisies et d’égoïsme forcené. Mais où trouver les moyens de comprendre la vraie teneur des messages et des sollicitations pour enfin décider de ses idées et de ses actions à partir de données solides, réelles et véridiques. Comment déjouer les pièges de l’esprit afin de rendre les raisonnements plus intelligents, plus logiques, plus pertinents ? Quels leviers actionner pour que le discernement atteigne des effectifs plus larges ?

<>Le monde va mal parce que la grande majorité des individus, embrouillés par les incessantes tribulations de cerveaux qui négligent, tronquent ou aménagent la réalité, va mal ; plaie universelle exacerbée aujourd’hui par les moyens de communication modernes qui permettent de véhiculer presque instantanément n’importe quelle utopie ou d’initier une nouvelle action collective plus ou moins violente en quelques heures. Les réseaux sociaux sont devenus le nouveau pouvoir absolu, les pouvoirs traditionnels étant écrasés par la puissance d’Internet. « Le pouvoir enfin rendu au peuple » affirment certains ; mais un pouvoir sans direction qui égare et accable un public qui ne se donne pas la peine de mobiliser les moyens intellectuels et techniques nécessaires pour séparer le bon grain de l’ivraie. Et l’ivraie prolifère, forcément au détriment du bon grain, car peu de gens ont conscience des faiblesses, entraves ou tares psychologiques qui les rendent vulnérables. Bon nombre de ceux qui perçoivent l’imperfection de leur état, la misère de leur existence et la folie de ce monde toujours proche de l’explosion, se cantonnent dans une expectative fataliste. D’autres, en quête d’une éventuelle solution à leurs tourments psychologiques ou existentiels, succombent à la faconde de gourous médiatiques. Parmi les diverses panacées offertes à la multitude, on assiste à la prolifération des méthodes de coaching, de relaxation, de méditation, de développement personnel, de psychothérapie et autres recherches du bonheur — preuve du sentiment largement répandu d’incomplétude et d’imperfection — qui, pour celles qui ne sont pas de pures arnaques, peinent à convaincre les observateurs rigoureux de leur pertinence. La mode est aujourd’hui aux recettes d’épanouissement exotiques : nunchi coréen, cosagach écossais, lagom suédois, friluftsliv norvégien, ho’oponopono hawaïen… De quoi impressionner son auditoire lors des conversations de salon, mais demain la mode aura changé. Le penseur indien Jiddu Krishnamurti (1895-1986) a fort bien décrit la décrépitude spirituelle* de l’humanité, mais son analyse et son chemin de rédemption, malgré une approbation quasi générale de ses auditeurs et lecteurs quand elle s’applique à autrui, semble inopérante lors de la méditation introspective, les filtres par lesquels celle-ci passe procurant une image de soi à mille lieues de la réalité. « L’enfer, c’est les autres » écrit Sartre dans Huis clos.

*« Spirituel » : adjectif correspondant à esprit ; qui concerne l’ensemble des facultés et des phénomènes mentaux observables ou perceptibles, à l’exclusion dans ces lignes de toute autre acception, religieuse, mystique ou ésotérique notamment.

Cette quête du bonheur individuel et collectif, qui exige de trouver ou de développer de nombreuses qualités de l’esprit au préalable, aboutit rarement avec les moyens précités. Qui a vu, parmi les millions de pratiquants de ces méthodes, un individu réellement transformé, hormis ces exhibitionnistes à l’esprit dérangé qui psalmodient des formules magiques ? Pourtant, diverses études démontrent l’intérêt de se préoccuper de l’évolution spirituelle de l’ensemble des populations humaines. Ainsi, la psychologie sociale et son courant cognitif examinent comment les pensées, les émotions et les comportements des gens sont influencés par la présence réelle ou imaginaire d'autres personnes, les normes culturelles, les représentations sociales, les modalités de perception et de traitement de l’information. Ces branches de la psychologie expérimentale doivent leur existence au fait que l’ensemble de la société subit de pernicieuses pressions et interprète les innombrables sollicitations de la vie moderne de façon souvent surprenante. Malheureusement, ce sont surtout les communicants de tout poil qui se sont servi de ces études universitaires pour influencer ou manipuler les foules. En dépit de ce perpétuel bain de faux-semblants, de ces perceptions viciées, chacun croit voir la réalité, connaître la vérité et jouir de son libre arbitre. Illusion, quand tu nous tiens !
Une grande majorité de la population mondiale n’a pas connaissance de la théorie des cordes, tentative d’unification de la relativité générale et de la physique quantique. Quant à ceux qui savent sur quoi elle porte, à plus de 90 % ils ne comprennent pas ce modèle mathématique et acceptent assez volontiers de le dire. Cependant, quand on se réfère à la vie quotidienne, quasiment tout le monde pense comprendre l’ensemble des paramètres qui la composent et savoir comment les gérer au mieux. Croyance délirante qui fait fi de la réalité puisque ce qui anime l’homme, physiologie, psychisme et interférences sociales, est infiniment plus compliqué que cette théorie des cordes et ses dix dimensions spatio-temporelles. « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée, car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont » expliquait ironiquement Descartes en 1637. Et quand bien même détiendrait-on une bonne dose de bon sens, ce viatique serait toujours insuffisant pour comprendre la théorie des cordes, pourtant modélisable, et a fortiori toute la complexité de la vie individuelle et collective impossible à mettre en équation. Dès lors, comment s’étonner des inconséquences humaines quand quasiment personne ne comprend ce qui se trame réellement dans son esprit, ni la véritable origine de ses décisions, mais que tous sont persuadés du contraire ? Pour illustrer cela, il suffit d’interroger les électeurs sur les raisons de leur vote. Rares sont les explications pleinement et logiquement argumentées ; les autres sont simplistes, péremptoires, entachées de biais, dogmatiques, hors sujet, dictées par une figure d’autorité...
C’est ce que confirme l’unité d’Orléans du CNRS dans le document n° 2006-38 à propos du référendum français sur le traité de constitution européenne de 2005. Près de 70 % des électeurs votèrent. Avaient-ils lu ce texte ? D’après cette étude, ceux qui en avaient pris réellement connaissance autrement que par quelques extraits et commentaires sortis de leur contexte représentaient une infime minorité ; on peut donc dire que dans l’ensemble, les électeurs ne l’avaient pas lu. Ajoutons que sa lecture ne suffisait pas ; vu sa complexité, il fallait réellement l’analyser pour tout comprendre. D’ailleurs des politiciens et des journalistes ont avoué ultérieurement avoir formulé des commentaires sans l’avoir vraiment examiné. D’où venait donc la conviction des électeurs ? En tout cas, pas de la compréhension du texte car, toujours d’après cette étude, à 77 % leur vote s’exprimait sur des sujets sans rapport avec ce projet de constitution, notamment sur les présumés effets néfastes de la monnaie unique. Chiffres surprenants dont l’aspect rocambolesque est attesté par un sondage effectué par la Commission européenne après ce référendum qui a montré que les Français étaient à 80 % favorables à l’idée d’une constitution alors que seulement 45 % des votants, soit 31 % des électeurs inscrits, avaient dit « oui » ; cherchez l’erreur !
Cette universalité des déficiences, faiblesses et influences psychiques expose en permanence les humains à des bourdes, des incompréhensions, des conflits et des guerres idéologiques, voire physiquement engagées ou armées, car la violence apparaît très vite quand on ne se comprend pas. Et l’incompréhension est de rigueur lorsque chacun se recroqueville sur la défense de son petit pré carré, physique ou mental, en ignorant volontairement tout ce qui ne le touche pas directement.

Ces difficultés du plus grand nombre, sans distinction de catégories sociales, à percevoir le vrai — d’autant plus si cela dérange —, cette facilité avec laquelle chacun est manipulé, préludes à la constitution de groupes d’activistes prompts à emboucher les trompettes de l’apocalypse, du totalitarisme, du complotisme, du ségrégationnisme, du nationalisme, du boycottage, de la propagande, de la désinformation, de l’injustice, de la désobéissance, de l’action violente, de la révolution, de l’hallali, de la guerre... nous condamnent-elles, compte tenu des réactions systématiques à ces mouvements, à vivre éternellement dans l’angoisse du lendemain et de ses tourments effectifs ou potentiels ?
Rien n’est figé définitivement, mais il est urgent d’agir. Pas d’agir contre quelqu’un — libre à chacun d’émettre des propositions même si elles sont ridicules —, mais œuvrer à dissiper cette propension, qui affecte presque tout le monde à des degrés divers, à s’agiter ou réagir sans comprendre, à suivre naïvement les incitations des messages séduisants, à se pâmer devant les gesticulations des bonimenteurs et surtout à faire une confiance aveugle à sa propre conscience qui recèle les pires chausses-trappes que l’on puisse imaginer, comme les sciences humaines nous l’ont démontré. Cependant cette nécessité, dont l’urgence accélère avec le développement de la population mondiale, est connue depuis fort longtemps, or en dépit d’un désir universel de vie meilleure, épanouie, pacifique, les hommes sont toujours aussi vindicatifs, sournois, anxieux, insatisfaits, en quête d’un bonheur insaisissable, peu de gens ayant entrepris un vrai voyage à destination de la sagesse, de la libération psychologique et d’une vision du monde débarrassée de ses prismes déformants. C’est désespérant en regard de l’urgence climatique dont le grand public européen a pris conscience en moins de 50 ans (première alarme scientifique en 1971), car la nécessité de se connaître afin de comprendre nos difficultés individuelles et sociales, puis d’y remédier pour vivre plus sereinement est ancestrale, l’adage « Connais-toi toi-même » gravé sur le fronton du temple de Delphes durant l'Antiquité l’atteste, et aussi vitale que la maîtrise du climat, si ce n’est plus.
L’humanité est composée d’individus. Comme il est chimérique de vouloir la changer en bloc, il faut encourager les hommes à se transformer individuellement. Ce sont les parties qui forment le tout. « Je veux changer le monde ! je commence par moi. » Nombreux sont ceux qui pensent suivre ce précepte en s’efforçant de mener une existence plus écologique. Très bien, puisque cela nous promet une Terre plus propre, plus vivable, plus durable, mais ça ne modifie pas « la férocité du sort, armée de toutes les vindictes et de toutes les méprises sociales. » (Les misérables ; Victor Hugo.) Tout au plus cela permettra-t-il de la protéger, de ne pas l’abîmer davantage ; ce n’est d’aucun secours pour conférer lucidité et sérénité aux hommes ni pour pacifier l’humanité.
Alors, quel moyen de se connaître, corps et esprit, de comprendre comment nous fonctionnons et pourquoi, souvent, nous déraillons, préalables indispensables pour envisager une vraie mutation spirituelle et une claire perception du monde réel, pourrait se révéler efficace ? Car penser et agir en croyant voir, savoir ou comprendre, voire en occultant volontairement la réalité est sans doute la plus nocive des déficiences humaines, avec des conséquences s’étageant de la simple bévue aux catastrophes les plus monstrueuses. Bien sûr, tout n’est pas totalement noir, mais trop rares sont les idées claires, les paroles franches et les actions justes, et quand l’aveuglement gagne, il alimente des tensions qui se condensent en orages ou tempêtes dont il est toujours difficile de prévoir l’ampleur.

À ceux qui rêvent d’un monde meilleur, qui éprouvent le besoin de perfectionner leur esprit afin de mener des actions plus judicieuses, impartiales et efficaces, je propose l’art martial, pas comme vérité absolue ou remède miracle, mais comme système d’aide à la révélation des failles de leurs idées et de leurs comportements, à la compréhension de leurs origines et à leur remédiation. Que recèle donc l’art martial — budo en japonais — pour conférer cette sagesse ?

 

Comprendre la transcendance de l’art martial

Combattre seul ou en groupe constitué ne requiert pas les mêmes compétences. Néanmoins, des considérations stratégiques, tactiques et techniques s’imposent pour toutes les formes d’engagement violent. La stratégie pour définir des objectifs et s’y préparer (défense du territoire ou défense personnelle, interventions extérieures ou aide à personne en danger, choix des moyens offensifs, défensifs ou dissuasifs à développer…) ; la tactique pour utiliser au mieux les ressources disponibles et s’organiser sur le terrain ; la technique pour manier adroitement les diverses armes exploitables : naturelles (mains, pieds, pierre, bâton…), rudimentaires (couteau, sabre, arc…), modernes (armes à feu, électroniques, informatiques…) ou psychologiques. Imaginer l’efficacité d’une armée dans la dépendance totale de ses stratèges, celle d’un commando liée à sa seule tactique et celle d’un individu isolé limitée à sa maîtrise technique est une vision très déformée de la réalité. Ces trois domaines s’influencent mutuellement et s’interpénètrent. Ainsi, la possession de certains équipements (porte-avions, sous-marins, satellites, missiles...) orientera le choix d’une stratégie militaire, mais le choix d’un nouveau modèle stratégique impliquera le développement de nouveaux moyens tactiques. Il en va de même pour une personne seule ; si, comme moyen de défense, elle décide de perfectionner sa vitesse de sprint pour fuir un éventuel assaillant, elle ne pourra pas échapper à un tueur dans une pièce close ou à un groupe qui l’encercle, ni aider efficacement une personne agressée. Dans tous les cas, le choix d’une méthode — la stratégie — implique de recourir essentiellement aux moyens — la tactique et la technique — qu’elle induit. Si la stratégie oublie de considérer certaines éventualités, les outils pour y faire face ne seront pas développés. Si la technique est mobilisée sans considérations stratégiques, elle a de fortes probabilités de l’être en dépit du bon sens.
En conséquence de ces constatations universelles et immuables, la stratégie, la tactique et la technique, toutes relativement importantes selon les situations, mais toujours dépendantes de la philosophie qui les induit, ont partout et à toutes époques été portées au plus haut niveau d’efficacité possible, toutefois avec de sensibles nuances liées à l’histoire locale, aux technologies disponibles, aux capacités des individus, à leur détermination et aux missions assignées. Si l’on exclut les désirs de conquête, d’anéantissement, d’asservissement ou de domination qui, malgré la civilisation, habitent toujours l’esprit d’individus psychopathes, l’armée ou le simple citoyen pratiquant un art martial devraient avoir le même but : se doter du maximum de ressources réellement efficaces pour maintenir la paix, éviter ou surmonter efficacement, le plus humainement et économiquement possible, d’éventuelles agressions violentes, voire intervenir dans un conflit extérieur pour des raisons morales ou contractuelles. La complexité pratique et éthique de tels ensembles exige d’en comprendre tous les rouages.

Les activités martiales — de Mars, dieu de la guerre dans la mythologie romaine — font donc référence à l’affrontement physique, à sa préparation, à sa gestion et à tous les moyens permettant d’y mettre fin ou de l’éviter sans se soumettre, évidemment avec des différences notables liées aux effectifs : armée régulière, forces spéciales, défense personnelle.
Par définition, l’art martial, terme réservé aujourd’hui à l’entraînement individuel et excluant les problématiques strictement militaires, ne saurait être essentiellement sportif, gymnique, ludique ou méditatif. Nommer arts martiaux le judo, le karaté sportif, la boxe ou les MMA (mixed martial arts) est un abus de langage pour ces sports de compétition ou de spectacle et leurs déclinaisons en activités de loisir. L’art martial a pour ambition de résoudre toutes les formes de la violence, à commencer par celle du pratiquant lui-même, en respectant au mieux la législation alors que les agresseurs s’octroient tous les droits — pas de convention de Genève pour les malfrats. Les impératifs d’un combat pour la vie impliquent néanmoins de développer une panoplie complète qui intègre toutes les techniques interdites dans les sports de combat puisque ce sont les plus efficaces. Cependant, l’efficacité martiale résulte de l’harmonieuse imbrication des domaines technique et spirituel, ce dernier, éminent artisan du résultat des confrontations tendues, regroupant la cognition, l’intelligence, la conscience, la psychologie, la pensée, l’intuition, la créativité, l’affectivité, la perception, la morale… toutes ces composantes de l’esprit étant décisives pour prévenir ou surmonter sereinement les actes barbares. Là réside l’énorme différence avec les techniques de self-défense qui, pour s’assimiler rapidement, accordent une place prépondérante à une gestuelle, parfois indigente, et confinent la psychologie dans des stéréotypes simplistes. Ainsi, la prédominance de l’esprit dans le budo et le nécessaire développement de toutes ses qualités engendrent immanquablement chez le budoka une démarche profondément humaniste* — après quelques années de pratique, il constate sur lui-même la possibilité d’une évolution spirituelle — et pacifiste qui le voue à consacrer son art à la défense, à la justice et au maintien de relations cordiales. A contrario, l’imbécilité des prédateurs, malfaiteurs, agitateurs, casseurs et autres ennemis de la paix sociale témoigne de leurs larges déficiences mentales, ce qui n’exclut pas quelques capacités intellectuelles, mais l’esprit recèle beaucoup d’autres facettes pas toujours reluisantes.

*Humaniste : relatif à la confiance dans la capacité de l’être humain à accroître par lui-même ses qualités essentielles, à se soustraire à toute forme d’amoralité et à s’épanouir socialement en se protégeant de tout asservissement.
Je rejette catégoriquement l’idée courante d’un humanisme selon laquelle l’homme serait la mesure de toute chose, la valeur suprême, prétention à une déité absurde potentiellement dévastatrice qui permet à certains érudits manipulateurs d’intégrer le transhumanisme, l’eugénisme et le nazisme dans la belle idée de l’humanisme, arguant qu’ils sont destinés à améliorer l’espèce humaine.

Penchons-nous sur ces différents aspects de l’esprit qui peuvent conférer des penchants sérieux ou fantaisistes, droits ou louvoyants, égoïstes ou altruistes, nobles ou abjects...
Tirer à longue distance au fusil de précision exige de maîtriser plusieurs paramètres techniques : pente de la crosse, réglage des organes de visée, stabilité des appuis, choix de la munition, vitesse du vent, rafales, distance de la cible, altitude, pression atmosphérique et quantité d’autres subtilités. Rien de psychologique ni d’artistique dans cet exercice, juste le talent d’un excellent technicien qui pourrait être avantageusement remplacé par des capteurs et un système informatique.
Il en va tout autrement pour un samurai isolé entouré d’ennemis sur un champ de bataille. Afin de remplir sa mission, il doit éliminer les nombreux combattants qui l’encerclent. La technique, bien qu’indispensable, ne suffit pas ; il faut la sublimer et souvent innover. L’accomplissement de son devoir exige une observation allant au-delà de la simple vision panoramique : deviner les intentions des ennemis et les anticiper, pressentir ce qui se passe dans son dos, se montrer clairvoyant. Ainsi, s’il pare aisément les coups de taille et d’estoc de ses adversaires, ne fait-il jamais ce que ceux-ci imaginent et invente instinctivement des tactiques pour les pousser à l’erreur, leur faire adopter des initiatives périlleuses ou suicidaires. La macabre chorégraphie qu’il exécute est une création spontanée, nécessité absolue pour se rendre imprévisible et dérouter l’ennemi. Dans ce contexte dramatique, toute angoisse existentielle, toute émotion, toute hésitation, toute perception erronée, toute faiblesse psychologique le conduiront inexorablement à l’échec. En conséquence, il doit impérativement entretenir la pureté de son esprit, ne laisser aucun parasite s’y installer et faire preuve d’une créativité exacerbée pour survivre et mériter son titre d’artiste martial. Les sauvages agressions modernes, telles que les médias en relatent trop souvent, exigent des aptitudes comparables de la part des victimes pour espérer surmonter ce type d’épreuve.

L’art est de la technique magnifiée dans une réalisation originale fruit d’une vision, d’une conception propre à l’artiste qui, souvent, fait fi de la réalité. Toutefois, quand l’art est martial, l’originalité de l’artiste budoka doit s’ériger sur sa parfaite connexion au réel ; toute autre vision le condamnerait à subir, à ne pas pouvoir réagir correctement. Percevant le vrai, il peut se jouer de ses ennemis qui se vautrent dans l’illusion produite par l’imperfection de leur observation, bien entretenue par son génie créatif. Cette perception sans faille de la réalité se produit lorsque l’ego, les affects et les influences sociales ne se manifestent pas. Alors, le budoka entre dans un état qui lui confère des pouvoirs inconnus des meilleurs techniciens.
Le budo repose donc sur des techniques guerrières abouties, maîtrisées et transcendées par des dispositions d’esprit qui exaltent des qualités essentielles dans les circonstances difficiles, violentes ou vitales : sérénité, lucidité, réactivité, inventivité…
Ceux qui croient percevoir le monde et ses événements sans filtre, ne pas être conditionnés, disposer d’un ego objectif, ne pas être affectés par les émotions et les sentiments devraient s’engager sans retard dans l’acquisition d’une technique martiale. Si leur croyance s’avérait, une fois la technique assimilée, ils deviendraient imbattables, même face à plusieurs agresseurs armés. En effet, leur efficacité martiale s’exprimerait sans entrave puisque leurs parfaites lucidité et sérénité les dispenseraient des démons psychologiques usuels et les insensibiliseraient aux ruses adverses. Désolé, ces énergumènes se mettent le doigt dans l’œil ; le technicien infaillible n’existe pas, l’individu naturellement exempt de perturbations psychologiques non plus. Les nourrissons sont émotifs, les enfants développent très vite un ego, les adolescents rivalisent de conditionnements, quant aux adultes, les plus intelligents essayent de camoufler l’ensemble de ces perversions de l’esprit sous un habillage de rationalité, les autres vivent dans un film où ils jouent le rôle du super-héros ; ça ne dure jamais très longtemps.

Pour progresser sur la voie (do) martiale, le budoka ne peut donc pas se contenter de l’acquisition d’un bagage technique et de quelques tactiques. Ce qui est suffisant pour un athlète ne l’est pas pour lui ; le champ de sa recherche, infiniment plus vaste, intègre des éléments stratégiques, psychologiques, éthiques et philosophiques absents du programme sportif. La plus grande partie de son efficacité repose sur l’éradication des artifices spirituels et sociétaux qui brouillent ses perceptions avec des conséquences néfastes et parfois funestes, puis sur son aptitude à comprendre les vrais besoins, motivations et intentions d’autrui de façon à réagir opportunément. Tout cela représente des myriades de questions auxquelles il va devoir répondre s’il souhaite dépasser le statut de technicien ou de sportif. Pour autant, l’excellent budoka n’est pas le surhomme évoqué par Nietzsche ; c’est un homme accompli qui a porté à son optimum les qualités de son corps-esprit et évacué tout ce qui l’encombrait.
Un individu serein, épanoui, clairvoyant, impossible à influencer, a fortiori à berner, attentif à autrui et au bien commun, qui agit toujours à bon escient et en harmonie avec une philosophie humaniste, n’est-ce pas le rêve de tous les hommes de bonne volonté ? C’est l’aboutissement d’une pratique assidue du budo dont l’objet n’est pas circonscrit à la seule activité martiale. Le bon budoka n’est pas forcément un grand expert — l’expertise n’exige rien de plus qu’une compétence technique —, mais il dispose de qualités spirituelles élevées qui en font une pierre du grand édifice pacifique dont l’humanité a besoin. Certes, cet accomplissement demande du temps, c’est la définition d’un do, mais l’objectif n’est-il pas de nature à susciter des vocations ? Voyons comment l’art martial peut répondre à cette quête bien mieux que toute autre formule.

 

Comprendre la nécessité du pragmatisme

Un sportif de haut niveau peut se contenter de suivre les directives de son entraîneur sans chercher à les comprendre ; d’ailleurs, cela présente l’avantage d’éviter les contradictions qui surgissent quand deux conceptions antagonistes se heurtent. Ainsi, voit-on épisodiquement des différends éclater entre sportif et entraîneur. Le budoka est dans une situation différente. Si l’athlète s’entraîne pour une éventuelle victoire en compétition encadrée par des règles précises, lui développe la capacité de surmonter sereinement toutes les difficultés de la vie, y compris les plus improbables, violentes ou mortelles ; deux problématiques fort dissemblables. À ses débuts, il doit suivre les préconisations de son sensei sans renâcler s’il veut apprendre les bases techniques, mais il est souhaitable qu’il comprenne tous les fondements de la gestuelle et pourquoi on exige de lui une certaine forme de travail, car la compréhension (de soi, d’autrui, des événements, des phénomènes…) constitue un des principaux piliers du budo qu’il devra continuellement enrichir, avec l’aide du sensei lors de son initiation, mais de plus en plus par ses propres moyens.
Vu que l’art est une production de l’artiste, celui-ci doit être considéré au premier chef pour expliquer la qualité d’une œuvre ou pour subodorer celle d’une future création. La progression du budoka requiert donc qu’il intègre sa propre personne dans la compréhension de son art martial et qu’il décèle le plus possible par lui-même l’origine de ses insuffisances, faute de quoi il stagnera indéfiniment. En effet, les manières de traiter les situations d’agression susceptibles de survenir sont innombrables et intègrent de multiples considérations d’ordre spirituel dont les rôles supplantent celui de la technique. Un entraîneur ne peut pas déceler tous les freins, entraves, déficiences et autres obstacles à la pleine et juste utilisation du budo. Le budoka avancé doit nécessairement se prendre en main, observer et analyser tous ses comportements, ses décisions, ses erreurs et ses réussites afin de déterminer quels points sont à améliorer, quelles lacunes sont à combler. Il est donc souhaitable qu’il installe l’habitude de ce comportement dès ses balbutiements dans le budo, ce qui l’amènera à mieux comprendre sa technique, son corps, son esprit et leurs interactions.

Plusieurs modèles théoriques d’explication de notre fonctionnement cérébral ont été publiés : dualisme cartésien, béhaviorisme, fonctionnalisme, physicalisme, cognitivisme, philosophie de l’esprit, analyse transactionnelle, théorie des trois cerveaux, théorie systémique des champs de pensées, psychanalyse et d’autres moins connus. S’ils tentent, avec plus ou moins de succès, de décrire la genèse et l’organisation des fonctions de l’esprit, de comprendre les comportements ou de soigner leurs pathologies, ils n’ont pas vocation à stimuler les capacités d’un esprit normal. C’est justement ce que prétendent offrir les techniques de libération spirituelle, zen, yoga, méditations transcendantale ou de pleine conscience, développement personnel… qui nagent dans l’abstraction, la nébulosité ou la naïveté de leurs méthodes et de leurs promesses.
En fait, le budoka n’a pas besoin d’une théorie explicative ou d’une méthode de perfectionnement de l’esprit. Sa tâche se concentre sur des données concrètes et des résultats quantifiables :

  1. Mettre en évidence les difficultés, faiblesses, réactions inappropriées... qui empêchent d’agir selon un scénario idéal en kihon, kata, bunkai, kumite et hors du dojo quand l’adversité se manifeste.
  2. Rechercher la source, l’élément déclenchant ou limitant, qui peut être technique, physiologique, biomécanique ou psychologique, afin de s’en affranchir.
  3. Amener les corrections nécessaires.
  4. Évaluer le résultat.

L’amélioration constante de ses qualités physiques, techniques et surtout psychiques, principale exigence d’un vrai budo, se fonde uniquement sur la comparaison d’éléments observables avant et après travail ciblé. Aucun ésotérisme dans le budo ; seulement du pragmatisme et un peu d’intelligence.
L’intelligence est un concept mal défini qui se présente sous différentes formes :

  • L'intelligence linguistique sert à comprendre et à s’exprimer.
  • L'intelligence logico-mathématique réside dans la résolution de problèmes, le raisonnement et la manipulation de chiffres, de symboles ou de concepts.
  • L'intelligence spatiale permet de s’orienter et de raisonner dans l’espace sans l’aide d’outils.
  • L'intelligence intrapersonnelle est la capacité à se comprendre soi-même et à se connaître ; elle permet de répondre à ses vrais besoins.
  • L'intelligence interpersonnelle ou sociale permet d’interagir, de comprendre les autres.
  • L'intelligence kinesthésique consiste à s’exprimer avec son corps, à réaliser une activité physique et à contrôler sa force et ses mouvements.
  • L'intelligence musicale et rythmique permet de reconnaître, d'interpréter et de créer des modèles musicaux.
  • L'intelligence naturaliste offre l’aptitude à catégoriser et à éprouver de la sensibilité pour tout ce qui compose la nature : faune, flore, minéraux, phénomènes naturels...
  • L'intelligence émotionnelle est la capacité de reconnaître, comprendre et maîtriser ses propres émotions et à composer avec les émotions des autres personnes.

Ce classement dont la pertinence est discutable se retrouve dans beaucoup de communications destinées à l’orientation scolaire ou professionnelle, mais d’autres modèles régulièrement proposés s’attachent à des critères conceptuels qui peuvent concerner le corps comme l’esprit : perception, sensation, compréhension, mémorisation, logique, raisonnement, analyse, synthèse, induction, déduction, adaptation, intuition... Cette diversité des thèses sur l’intelligence à peine survolée ici, qui n’évoque pas la nécessité fréquente de faire appel à diverses fonctions pour résoudre certains problèmes, illustre la complexité de sa modélisation. Néanmoins, si on se penche sérieusement sur ces listes de capacités, on s’aperçoit qu’elles sont toutes nécessaires à la progression du budoka.
Pour améliorer des gestes ou des comportements, il faut avoir repéré des manques dans ceux-ci, ce qui mobilise une certaine forme d’intelligence ; ce sont les données concrètes sur lesquelles d’autres formes d’intelligence vont travailler. Cette première étape est loin de constituer une évidence, car l’individu « normal », on l’a mis en lumière précédemment, n’a pas conscience de toutes ses incapacités ou déficiences. Dans un premier temps, le professeur pallie cette lacune en indiquant les points sur lesquels porter son attention, mais le budoka doit progressivement apprendre à les repérer lui-même. L’aide du sensei ne sera jamais à rejeter, mais l’essentiel de la tâche incombera de plus en plus au budoka. Il lui faut ouvrir les yeux de la conscience.

« Pourquoi ? » est la question favorite des petits enfants, car ils souhaitent comprendre. Certes, ils n’ont pas les moyens intellectuels pour assimiler des réponses détaillées que, par ailleurs, les adultes ne veulent ou ne peuvent leur fournir, mais surtout, les adultes, hormis les pédagogues professionnels consciencieux, ne se donnent pas souvent la peine de comprendre quel type de réponse serait en phase avec les dispositions intellectuelles et psychologiques des gamins. Résultat : le rôle d’éducateur s’oublie — surtout lorsque télévision et autres écrans s’octroient une place prépondérante —, les réponses aux questions disparaissent ou s’avèrent incompréhensibles pour l’enfant, le désir de comprendre se perd et, en grandissant, chacun accepte les choses, les événements, les situations, les interactions humaines en l’état sans en chercher la genèse ni les implications. « Ne pas se prendre la tête » est devenu un leitmotiv courant.
Être budoka, c’est s’assumer pleinement en gérant efficacement et sereinement tous les événements de la vie, l’agression n’étant qu’un aléa parmi beaucoup d’autres. À cette fin, il s’avère absolument nécessaire d’être conscient de l’intégralité des obstacles susceptibles d’entraver le cours harmonieux de l’existence, de ne pas en accepter la fatalité et d’en appréhender viscéralement — pas seulement intellectuellement — tous les mécanismes générateurs si nous ne voulons plus les subir. Aucune théorie n’a de valeur, aucune pratique ésotérique ou mystique ne rend heureux ; seul un indéfectible pragmatisme tel que nous l’offre la voie martiale confère les outils pour perfectionner son corps-esprit et s’épanouir dans un monde que le budoka contribue à rendre respectueux du bien et du bonheur de chacun.
Devant chaque difficulté, chaque sollicitation, chaque événement, les questions fondamentales pour comprendre, déjouer les pièges et réagir intelligemment doivent surgir. Sans oublier l’étape la plus importante : percevoir clairement et dans sa totalité la réalité de l’instant. Que l’adaptation ou la réponse soient intellectuelles ou spontanées ne change rien à cet impératif : il est impossible de comprendre et de résoudre un problème qu’on n’a pas correctement vu, lu, senti, palpé, entendu ou ressenti. En effet, comment être intelligent si on occulte les données qui constituent le point de départ du raisonnement ? Percevoir clairement et comprendre finement sont les deux mamelles auxquelles le budoka doit s’abreuver.

Néanmoins, la tâche pour rendre les fondamentaux de l’art martial efficaces dans les circonstances les plus diverses s’avère gigantesque et même insurmontable si le budoka s’attaque à chaque difficulté séparément. Le nombre de ses déficiences possibles, avant, pendant ou après une confrontation, s’exprime au bas mot en milliers. Le débutant comble ses lacunes techniques et tactiques une par une, mais il arrive un moment où ce processus apparaît interminable surtout quand la prépondérance de l’esprit est réellement ressentie. Regrouper les difficultés en familles, notions, concepts, sensations proches… et les traiter en blocs va permettre une progression plus convaincante. Il faudra bien sûr comprendre quels points communs réunissent certaines données dans un même groupe.
Quand on cesse de solliciter son intelligence, on devient idiot ; c’est malheureusement ce qui se passe quand le travail est routinier, lassant et que le reste du temps est utilisé à s’abrutir devant des écrans ou lors d’activités stupides. Pour progresser le budoka est tenu d’animer ses fonctions cérébrales afin de déterminer quels moyens permettront de lever les obstacles rencontrés sur sa voie martiale. Lorsqu’il mobilise régulièrement ses facultés intellectuelles et desserre quelques freins psychologiques afin de perfectionner son art martial, c’est son être profond qu’il transforme et élève vers les sommets de l’humanisme et de la sagesse.

 

Comprendre la transmutation du budoka

Dans un univers qui reste fondamentalement brutal, le budo, sous des apparences rudes et fougueuses, révèle de profondes affinités pour le pacifisme. Il octroie les moyens d’apaiser les différends qui opposent les individus et, dans les cas les plus désespérés, de stopper sereinement la violence débridée. Cela implique de détenir les capacités physiques et spirituelles indispensables à ce grandiose objectif. Dans l’absolu, le terme de cette voie, la perfection martiale et humaine, est inatteignable, mais on peut progresser plus ou moins loin et plus ou moins vite vers ce Graal.
Tout budoka confronté à la réalité de ses faiblesses lors des entraînements a envie de les surmonter. Un minimum de connaissance académique est incontournable, car le raisonnement, fondement de la compréhension même si on fait couramment appel au ressenti, a besoin de s’appuyer sur un savoir éprouvé. Certes, on ne peut tout savoir, mais si nous confondons une étoile à neutrons et une naine blanche, les répercussions sur notre vie et la marche du monde seront nulles. En revanche, lorsqu’une précision s’avère utile à la compréhension d’une information ou d’un phénomène qui peuvent retentir sur notre vie, il faut impérativement se la procurer si on ne la possède pas. De la même manière, quand un doute s’insère dans la pertinence d’une action ou d’une assertion, une vérification urgente de leurs fondements s’impose.

Le corps humain est une machine magnifique et complexe animée par une énergie qui provient de l’oxydation des nutriments énergétiques apportés par l’alimentation. Détenir des rudiments d’anatomie et de physiologie humaines s’avère indispensable pour comprendre sa propre réalité fonctionnelle. Si les acquérir est un passage obligé, à eux seuls ils n’expliqueront pas l’imprécision d’un atemi, ni une crispation parasite, ni des douleurs lombaires ou articulaires après un entraînement soutenu. L’entraîneur peut conseiller une modification gestuelle, le thérapeute soigner des traumatismes, mais tant que le budoka ne comprend pas par lui-même et au sein de lui-même l’origine de ses erreurs et de ses déboires, il n’améliore pas beaucoup son budo ni sa qualité de vie.

Quelle est la chose la plus importante pour vous ? Votre carrière, votre notoriété, votre hobby, vos enfants, votre conjoint, vos amitiés… ? Pourquoi personne n’ose dire « moi » ? Certes, l’égocentrisme n’est pas socialement valorisant et chacun préfère donner une image d’altruisme, de compassion, d’amour ou d’empathie, voire d’efficacité. Mais pour être performant, attentif et utile à autrui, ne faut-il pas commencer par être sain et fonctionnel de corps et d’esprit ? L’image de soi importe quelque peu dans l’univers factice de la civilisation actuelle tout en trompe-l’œil, mais si l’on souhaite œuvrer à l’élaboration d’une société plus consensuelle, plus juste, plus chaleureuse, alors seul compte ce que l’on est réellement. Trop de gens veulent aider, faire preuve d’abnégation, apparaître généreux et n’amènent que leurs soucis ou leur noirceur. Si l’on veut vraiment s’occuper des autres, il ne faut surtout pas se négliger. Parce qu’il s’engage sérieusement dans la connaissance de soi, améliore ses capacités physiques et estompe ses difficultés psychologiques, le budoka avance dans la maîtrise de son art martial, mais il s’offre surtout un surcroît de lucidité, de sérénité et de dynamisme, des qualités nécessaires à une bienveillance bienvenue. Prendre soin de soi est donc tout à fait normal et pratiquer un budo apparaît hautement recommandable puisque chaque fois qu’un voile est levé sur une difficulté martiale où l’esprit est impliqué, ce sont les qualités humaines qui progressent. En théorie, d’autres voies existent, mais l’avantage absolu de l’art martial réside dans ses points de départ concrets et identifiables — les obstacles rencontrés dans la pratique du budo — puis dans l’aboutissement du processus de compréhension et de remédiation — les progrès réalisés. Rien de magique, d’ésotérique ou d’inaccessible ; tout est palpable, vérifiable. Il nous faut juste expliciter la partie compréhension et remédiation.

Le repérage des lacunes, opération qui prend parfois beaucoup de temps pour une seule occurrence et se révèle quasiment sans fin car chaque résolution dévoile de nouvelles carences, relève néanmoins de l’évidence. Le vrai budo, sans doute l’activité physique la plus riche, explore une énorme diversité de situations, d’exercices et de confrontations : adversaires isolés ou en groupe, armés ou non, diversement agressifs… ; solutions d’anticipation, d’évitement, de dissuasion, de contrainte, de domination, d’élimination... Une partie est explorée au dojo, mais il incombe au budoka d’envisager les situations les plus difficiles à mettre en œuvre concrètement et de s’y projeter afin d’identifier les points qui pourraient s’avérer problématiques. Les imperfections, lacunes et impréparations de toute sorte seront forcément à un moment ou à un autre mises en lumière. Il faudrait être niais pour les nier et insuffisamment motivé pour les croire insurmontables. Expliquer et comprendre leur provenance est plus compliqué et le budo va encore s’avérer d’un grand secours.
Quasiment tout le monde a envie de vivre mieux, plus sereinement, d’éliminer toutes les entraves à son bonheur, toutes les erreurs, les choix malheureux, les angoisses du lendemain, les conflits stériles… et chacun sent bien qu’une partie du problème réside en soi, dans son propre esprit et dans son corps, souvent en mauvais états car maltraités. Suffit-il d’aller voir un psy, de méditer ou de suivre une recette du bonheur tirée au sort dans la pléthore des propositions de ce marché de dupes ? Un régime et un peu de musculation auront-ils raison d’un corps laissé longuement à l’abandon ? Cependant, c’est bien l’esprit qui porte la responsabilité de la dégradation du corps et c’est toujours lui qu’il faut soigner en priorité. Certains essayent donc de s’occuper de leur mental, sans grand succès il faut bien l’avouer. Outre ceux qui s’égarent dans des bizarreries, la plupart achoppent sur une motivation chancelante ou une passivité envahissante, les promesses de bénéfice avancées par les marchands de l’esprit étant vagues et impalpables, peu favorables au soutien d’un effort de longue durée. Difficile en effet de constater une différence entre un débutant dans une de ces pratiques ésotériques et un adepte de longue date.
Quand on s’engage dans une pratique martiale, on veut progresser sinon l’inscription dans un club n’a aucun sens. La motivation est donc présente, d'autant que chacun peut observer la marge de progression entre une ceinture blanche et les plus gradés, aussi le budoka va-t-il fournir sans rechigner les efforts nécessaires pour développer ses capacités physiques et apprendre la gestuelle fondamentale. Simple imitation des gestes de l’enseignant au début, puis prise de conscience, avec l’aide du sensei, de détails qui renforcent son efficacité. Cependant, un conseil appliqué lors d’une séance d’entraînement sera parfois oublié à la suivante. Le sensei va répéter ses consignes, peut-être de nombreuses fois, jusqu’au moment où le budoka va contrôler lui-même qu’il les respecte. L’élève acquiert alors l’habitude de s’observer pour vérifier la conformité de ses gestes et attitudes au modèle ou détecter les lacunes de ses techniques quand leur finalité est bien comprise. Ce processus va permettre des progrès sensibles qui renforceront sa motivation.

Chaque personne dispose de ressources propres qui lui offrent une plage de progression plus ou moins étendue, mais dans tous les cas arrive le moment où on constate une impossibilité d’avancer dans certains domaines. Là, le public tout venant et lymphatique abandonne ou s’invente un progrès imaginaire, mais un budoka motivé reste conscient et n’abdique jamais ; pour lui, la fatalité n’existe pas. La question primordiale va donc surgir : « Pourquoi ? » Et, motivation aidant, elle ne sera pas rhétorique, mais le prélude à une vraie recherche de compréhension et de solution. Certes, les conseils du sensei vont ouvrir de nouveaux horizons, à condition qu’ils ne restent pas purement intellectuels et servent à s’approprier les concepts sous-tendus, à comprendre leurs implications, à tout ressentir en soi, dans le hara. Toutefois, la soif d’apprendre doit inciter le budoka à détecter lui-même un maximum d’éléments clés de sa progression. L’augmentation progressive de la part des découvertes qui lui reviennent signera son engagement définitif dans la voie martiale. La volonté de comprendre par soi-même l’origine de ses insuffisances est la pierre angulaire du devenir du vrai budoka qui se doit d’exalter ses qualités propres et d’en développer de nouvelles tout en restant conscient de ses propres limites, morphologiques notamment.
Qui, après plusieurs années d’entraînement, ne parvient pas à exécuter un salto ne sera jamais un bon gymnaste. Qui manque irrémédiablement d’endurance ne gagnera jamais un marathon. En revanche, le budoka n’a nul besoin d’égaler les performances des champions pour devenir excellent ; une qualité d’observation proche de la clairvoyance, une maîtrise de ses émotions, une bonne connaissance de la psychologie humaine, une empathie qui permet de comprendre les ressorts des agresseurs, une attention soutenue et permanente pour éviter de tomber dans un piège et bien d’autres dispositions pourront compenser des déficiences physiques : handicap congénital ou accidentel, faiblesse ou fatigue passagères, vieillissement... Nul besoin de réussir le grand écart facial pour devenir un bon budoka, mais il est essentiel de solliciter et de développer les qualités de l’esprit qui révéleront toujours une solution pragmatique aux difficultés rencontrées.
Pourquoi la plupart de mes adversaires sont-ils plus rapides que moi en kumite ? Est-ce dû à une garde inadaptée, à des gestes mal maîtrisés, à des appuis défectueux, à des crispations parasites, à des appels très marqués, à une excessive recherche de puissance, à une émotivité exacerbée, à des idées préconçues, à une observation défectueuse, à un temps de réflexe trop long, à un manque d’entraînement ou à une cause plus subtile ?
L’analyse de cette insuffisance peut suggérer une origine physique, spirituelle ou, ce qui arrive le plus souvent, un mélange des deux. Toutefois, même si cette recherche reste à faire, l’essentiel est réalisé : la prise de conscience d’une réelle difficulté qui ne se cache pas derrière des explications oiseuses. Ces prétextes qui empêchent d’aller au fond des choses sont faciles à trouver et certains s’en gavent :

  • « Dans la réalité, je serai bien plus rapide. »
  • « En ce moment, j’ai des soucis qui m’accaparent l’esprit. »
  • « Ce n’est qu’un entraînement ; je ne vais pas me défoncer ! »
  • « De toute façon, les agresseurs sont rarement des champions. »
  • « Aller vite n’est pas dans ma nature ? »
  • « Avec des chaussures, je me sens beaucoup plus réactif. »

L’imagination des touristes des dojos laisse parfois pantois. Occupons-nous plutôt du vrai budoka et voyons donc comment exploiter une difficulté qu’il cesse d’ignorer ou de dissimuler.
Vous avez diagnostiqué un pied mal placé lors de l’exécution d’une technique que vous jugiez médiocre. Le remède pratique tombe sous le sens. Mais quel obstacle psychologique vous a empêché de vous en rendre compte jusqu’ici ? Une méconnaissance des contraintes morphologiques ? Une proprioception déficiente ? La quasi-certitude de bien exécuter le geste ? Une concentration sur un aspect de la technique jugé essentiel qui a occulté le reste du processus ? Creuser ces questions pourrait peut-être vous octroyer la clé de la résolution de nombreuses autres défaillances dont l’origine est commune. D’autre part, le repérage et la compréhension de vos difficultés ressemble aux poupées russes. Chaque fois que vous en dévoilez une, elle en cache une autre. Ainsi est la voie qui, partant d’une donnée physique permet d’améliorer sa maîtrise martiale et de se connaître de mieux en mieux, car on fouille son corps et son esprit de plus en plus précisément.
Certains s’approprient rapidement la gestuelle du sensei, d’autres galèrent pour vaguement s’en approcher. Pourquoi ? Certes on peut en rester là et accepter sa médiocrité— « C’est comme ça » diront les fatalistes —, mais un vrai budoka ressent un besoin viscéral d’avancer sur la voie martiale, ce qui, en aucune manière, ne signifie d’imiter les prouesses des acrobates. Confondre persévérance et obstination est une perte de temps. Si votre morphologie vous interdit une forme technique particulière, n’insistez pas outre mesure et atteignez l’objectif avec une autre forme. La quasi-totalité des problèmes accepte plusieurs solutions. Il faut se questionner, fouiller sa conscience et comprendre pourquoi et comment on dresse soi-même des obstacles à sa progression. Plus on descend dans les ténèbres de son esprit, plus on affine la connaissance empirique de son corps, plus on trouve d’éclairages ; les solutions en découlent naturellement. N’oubliez pas que l’esprit commande le corps ; dans tous les problèmes physiques, l’esprit est impliqué. Si on souhaite progresser, et le budoka le veut, il faut systématiquement comprendre de quelle cachette de l’esprit provient la difficulté, mais il faut avoir le courage de tout décortiquer alors que l’ego, le chef d’orchestre de la psychologie, se refuse à cette analyse. La volonté de progresser du budoka permettra de passer outre ; d’autant que chaque faiblesse martiale résolue correspond à une élévation des qualités spirituelles parfaitement perceptible par l’intéressé. Franchir les barrières dressées par l’ego relève du sport de combat, mais quand vous l’avez mis K.O. une première fois, il n’oppose plus guère de résistance ensuite et les œillères qu’il maintenait fermement en place tombent aisément. Et pourquoi pas définitivement ? Alors, la compréhension ne passe plus par les tortueux méandres de l’esprit ordinaire et voir équivaut à comprendre.
Les humains ont une fâcheuse tendance à ne pas voir ce qui est en pleine lumière. On raconte l’histoire d’un contrebandier connu pour son trafic de diamants. Lors d’un passage à la douane, il accrocha sa veste au porte-manteau dans un geste de coopération avec les douaniers qui ne trouvèrent rien lors de la fouille. Les diamants étaient quasiment sous leurs yeux, dans les poches de la veste.
L’inconscient cher à Freud n’existe que dans les affections psychiatriques lourdes. Tout ce qui figure dans un esprit normal est accessible ; il suffit de le vouloir, de ne pas avoir peur d’affronter sa consternante réalité. « Avoir peur ! » dites-vous ? Mais la peur est sans doute le premier sujet de méditation du budoka, qui ressent un éminent besoin de s’en affranchir car, lorsqu’elle survient, elle occupe une grande partie de l’esprit, forcément au détriment de ses autres fonctions. Personne n’échappe à la peur, dont l’intensité est proportionnée au niveau de danger ressenti, sans avoir effectué un sérieux travail sur soi. Imaginez donc l’agression la plus violente et la plus compliquée à résoudre afin de rendre tangible la peur qui devrait l’accompagner. Sans préparation, vous et les personnes qui vous accompagnent êtes morts. Seule l’éradication de cette peur vous offrira une planche de salut. Clarifier et transcender son rapport à la mort, la peur fondamentale, mère de toutes les peurs, doit être le premier objectif psychologique du budoka. « Philosopher, c’est apprendre à mourir. » (Montaigne ; Essais.) Par la suite, la peur de découvrir les turpitudes enfouies dans les abysses de son esprit ne devrait donc plus le freiner, d’autant qu’il s’agit du seul moyen de lever les freins à sa progression. Chaque avancée dans cette exploration des tréfonds de la conscience permettra d’extraire de nouvelles scories, de purifier un peu plus l’esprit qui deviendra plus efficace et dressera moins d’obstacles à la perception de la réalité ou au raisonnement logique.
Cependant, on ne trouve pas toujours l’origine d’une difficulté immédiatement ; le tâtonnement, la persévérance, l’évacuation de quelques idées préconçues finiront forcément par fournir l’éclairage adéquat. Sachant que seul ce qui est dissimulé peut agir sournoisement, cette mise en lumière asséchera automatiquement la source du problème.

Il existe toutefois une autre forme d’intelligence qui présente un intérêt majeur dans le budo. Elle consiste à ressentir viscéralement, dans le hara, l’embarras rencontré comme un intrus à expulser au plus vite et à se laisser guider par cette perception — pas par la pensée — vers l’évidence de sa source qui, de fait, constitue l’explication et, la plupart du temps, fournit instantanément la solution.
« Mais comprendre sans réfléchir, comme vous le conseillez, n’est-ce pas ésotérique, quelque peu sibyllin, hermétique ? » diraient les intellectuels. Faut-il rappeler les multiples découvertes réalisées lorsque leur inventeur pensait à autre chose ? Cela s’appelle l’intuition. Le plus souvent, l’évidence s’affiche quand l’esprit, pollué par l’ego, les affects, les conditionnements ou les croyances, cesse de faire obstacle à une claire et totale vision de la réalité ; or quand on perçoit la totalité des données, des interactions et des implications d’un problème, il est quasiment résolu. De plus, réfléchir prend du temps, voir est instantané. De nombreuses situations comme les agressions violentes nécessitent des réponses rapides ; la réflexion risque d’être un peu lente si l’on veut survivre à l’événement.
Quand le budoka maîtrise cette forme de perception viscérale, il dispose de la clé qui lui ouvrira les portes de la maîtrise martiale, cependant, l’amélioration régulière de sa condition physique, de sa technique et de ses qualités spirituelles lui permettra surtout de développer une philosophie de la vie humaniste, lumineuse et prégnante dans laquelle il pourra s’épanouir pleinement et sereinement.

L’art martial ressemble à la pierre philosophale des alchimistes censée transmuter le plomb en or et prolonger la vie au-delà de ses bornes naturelles. Le budo transforme les difficultés du budoka en qualités martiales et humaines — cela vaut de l’or — et s’il n’empêche pas de vieillir, il embellit la vie. Et pas seulement la sienne.

 

Comprendre les intentions d’autrui

L’art de vivre sans conflit se nomme bonheur. Celui qui a évacué toutes les entraves au fonctionnement harmonieux de son esprit, qui perçoit tout clairement et n’est plus hanté par les contradictions internes, peut s’épanouir sereinement, mais il est entouré de gens malheureux, conditionnés, perturbés, émotifs, agressifs, dépressifs, désorientés… Il ne peut jouir totalement de son état s’il n’œuvre au bonheur collectif. Quand il a compris d’où provenaient ses difficultés spirituelles et s’en est débarrassé, il doit également comprendre autrui pour lui éviter toute confusion, l’aider à voir clair et pacifier leur rapport. Accessoirement, cette compréhension des motivations et intentions de personnes violemment agressives permettra de les maîtriser. Cette incursion dans l’esprit des gens est appelée yomi au Japon.
Ce vocable est un homophone qui a deux significations correspondant à des idéogrammes différents :

  • 黄泉 est le monde des choses de la mort ;
  • 読みsignifie littéralement lecture. Dans la culture japonaise, c’est l’art de percevoir les affects d’autrui afin de mieux prévenir ses attentes.

C’est ce second yomi qui nous intéresse.
Le respect de l’intimité est une règle morale au Japon. Ainsi, notre traditionnel « Comment allez-vous ? » est banni car trop intrusif, forçant à parler de soi, ce qui est inconvenant. Néanmoins, les Japonais veulent construire des relations cordiales avec leurs compatriotes en décelant leurs affects, en comblant leurs désirs ou en ménageant leurs éventuelles susceptibilités, aussi sont-ils obligés de les deviner à l’aide des quelques indices qui transparaissent.
Les samurai et bushi ont cherché à repousser à l’extrême les limites de cette subtile perception car discerner le dessein d’un ennemi confère une évidente supériorité. Le budoka occidental pourrait être tenté de suivre cet exemple que de nombreux romans et films ont présenté comme un don surnaturel. Néanmoins, le Japon a très peu subi de brassages ethniques, culturels ou religieux jusqu’au début du XXe siècle ; il s’ensuivait une certaine homogénéité des comportements qui permettait à un Japonais de prévoir avec une bonne chance de réussite la réaction d’un autre Japonais à un événement en la calquant sur la sienne dans des circonstances comparables. La donne est différente pour les Occidentaux dont les styles de vie sont très hétérogènes et sans doute quelque peu pour les Japonais d’aujourd’hui qui subissent beaucoup plus que jadis les influences internationales. Il est donc impossible au budoka d’accorder du crédit à l’idée que ses schémas de pensée puissent se retrouver à l’identique chez autrui. Aujourd’hui, le yomi à des fins martiales ne peut pas s’élaborer sur les bases d’une ancestrale culture japonaise.

À ce stade, il faut évoquer la théorie de l’esprit des sciences cognitives dans laquelle le yomi s’inscrit très bien. Il s’agit de l'aptitude permettant à un individu d’attribuer des états mentaux inobservables (intention, désir, croyance…) à soi-même ou à d'autres individus. Cette capacité, universellement étudiée par les psychologues, joue un rôle dans les interactions sociales, mais, étant de l’ordre de la possibilité (je crois que tu crois) elle n’offre aucune certitude sur l’état de la conscience d’autrui.

Libre à chacun de croire à la similitude des modes de pensée chez des personnes différentes, aux perceptions extrasensorielles, aux miracles ou aux interventions divines pour deviner les intentions des malfrats, des aliénés ou des terroristes qui l’agressent. Compter là-dessus, c’est risquer de plonger dans l’obscurité la plus complète ; celle de l’incompréhension totale ou, plus sûrement, du K.O., de la blessure ou de la mort qu’on n’aura pas vu venir. Combien de bévues dans la vie courante sont imputables à des méprises sur les pensées, les désirs ou les humeurs supposées d’un interlocuteur ?
En réalité, ce que nous continuerons à appeler yomi pour le différencier de la théorie de l’esprit, insuffisante pour conférer une supériorité au budoka, s’établit sur des éléments connus ou observables, du moins pour celui qui sait observer. Effectivement, outre certaines humeurs qui s’affichent clairement, chacun révèle dans ses vêtements, ses attitudes, ses gestes, ses paroles, ses mimiques ou ses réactions physiologiques une multitude de petits détails qui en disent long sur lui-même. Encore faut-il être en mesure de les percevoir puis de les décrypter.
Les entraînements apprennent à observer d’un œil critique tous les aspects de ses prestations en kata, bunkai, kihon et kumite de façon à combler toutes les lacunes mises en lumière. Être attentif à l’environnement, à autrui, au contradicteur, à l’agresseur ou à l’ennemi représente donc un simple prolongement de cette faculté.
L’attention, fondamentalement multisensorielle, atteint son optimum quand l’esprit s’y consacre totalement et qu’aucun état d’âme n’en ampute une partie. Ego, émotions, sentiments, désirs, croyances et réflexions intellectuelles doivent être maintenus à distance car leur intervention se manifeste au détriment de l’observation ; cela s’intègre dans le programme de recherche personnel du budoka qui ne peut guère attendre du sensei cette acquisition mentale. Rappelons les différentes étapes de cette ascension spirituelle à partir de l’état d’éveil standard :

  • Zanshin : état attentif classique, mais soutenu, qui ne se laisse pas divertir par d’éventuels épiphénomènes.
  • Mushin : esprit libéré de l’ego, des affects et des pressions sociales, vide de pensée ; attention totale qui ne se fixe sur rien en particulier et permet de percevoir la réalité sans déformation dans son intégralité. La prise de décision peut s’établir sur une base solide et non viciée. C’est l’état d’esprit recherché dans le mokuso (méditation).
  • Mushin no shin : littéralement pensée sans pensée. Quand la perception immaculée du vrai, du réel déclenche l’action instantanément, sans intervention de la réflexion. Dans ce cas, voir, c’est agir. À ne pas confondre avec le réflexe conditionné qui ne concerne que des situations courantes, étudiées et répétées (cf. le contre en gyaku zuki).
  • Kensho : illumination transitoire.
  • Satori : éveil définitif ; entrée dans le nirvana.

Ces termes sont ceux du zen japonais. Kensho et satori exhalent un parfum d’ésotérisme qui n’empêche pas leur possible réalité. Mushin no shin doit être considéré comme le Graal du budoka, mais mushin offre déjà des capacités supérieures, zanshin étant accessible au plus grand nombre.
Le budoka qui parvient, même ponctuellement, à mushin ou mushin no shin détient la capacité de percevoir l’origine presque toujours psychologique de ses défauts et lacunes. Comme voir cette source correspond à comprendre, la remédiation est quasiment acquise et s’il se trouve dans l’état mushin no shin, elle sera immédiate. Cette qualité d’observation peut évidemment s’utiliser pour repérer des indices significatifs de l’état d’esprit et des intentions de ses adversaires : tremblement, sueur, essoufflement, hésitation, regard fixe, mobile ou fuyant, bruit caractéristique, odeur révélatrice, geste protecteur ou agressif, mouvement préparateur d’une attaque, attitude crispée ou détendue, ton, intensité ou difficulté de parole, fourberie évidente du comportement, dissimulation d’objet ou d’une main, signe de connivence avec des complices, choix stratégique ou incohérent du positionnement… Certains repérages permettront de prévoir par inférence une suite logique avec une bonne probabilité de survenue et de s’y préparer. Si l’attaque survient, ce sera un ippon gumite (combat conventionnel sur une seule attaque) facile pour un yudansha (porteur de dan) qui ne laissera pas à son opposant l’opportunité d’une seconde attaque. Sinon les renseignements prélevés sur les agresseurs offriront la possibilité de dédaigner l’intimidation, de discuter, de calmer les ardeurs ou de pacifier la situation.
Comme on le constate, le yomi n’est qu’une science de l’observation. Cependant, voir ses défauts est-il plus facile que de percevoir les faiblesses et intentions des ennemis ? Dans les deux cas, ce sont les perturbateurs habituels de l’esprit qui déforment ou occultent la réalité, mais ils agissent différemment sur soi et sur la perception d’autrui — on voit chez les autres les défauts qu’on dissimule en soi. Cette constatation nous mène à conseiller au budoka débutant de travailler autant sur l’observation de ses partenaires d’entraînement que sur la connaissance de soi, deux démarches qui peuvent se potentialiser, et d’étendre cette exploration au plus grand nombre possible de situations de la vie courante. Cette vision pénétrante n’est pas l’apanage des grands maîtres ; chacun y a accès pour peu qu’il s’en octroie les moyens et s’impose d’y recourir le plus souvent possible. Apprendre à voir, sentir, entendre, goûter, toucher et ressentir est crucial. Il ne faut négliger aucun sens, car, même si la civilisation en atrophie certains, ils peuvent tous s’avérer décisifs dans certaines circonstances. Savoit observer s'impose comme la première qualité à développer. C’est peut-être un avantage de l’enseignement martial au Japon où le maître se contente de montrer ; l’élève doit imiter ce qu’il a perçu. Sans une bonne observation, il n’a aucune chance de progresser. Au final, la méthode importe peu ; il faut simplement que le budoka se persuade du caractère essentiel de l’acuité multisensorielle et de l’élimination des filtres déformants de l’ego, des conditionnements, des émotions, des sentiments et des interférences sociales.

Quand les perceptions reproduisent fidèlement la réalité et que les opérateurs qui agissent sur celles-ci sont purs, débarrassés de leurs pollueurs habituels, les raisonnements, les décisions et les actions s’élaborent judicieusement. Alors le budoka qui a soigné son apprentissage technique approche d’une vraie maîtrise martiale, mais aussi d’une certaine forme de perfection humaine. Néanmoins, s’il a compris la véritable portée spirituelle, philosophique, humaniste de son art martial, il ne doit pas perdre de vue l’indispensable progression de son efficacité martiale. Seule la mise en évidence de faiblesses concrètes, tangibles, imputables au corps ou à l’esprit, et leur éradication constatée lors des entraînements permettent des progrès spirituels utiles à la quiétude de la vie courante. Agir directement sur l’esprit semble utopique. Tous les do, chemins d’accomplissement humain, s’appuient sur des activités manuelles (chado [cérémonie du thé], kado [arrangement floral], kendo [art du sabre], kyudo [art de l’arc], shodo [calligraphie]...) Même le zen a recours à du terre-à-terre avec le kufu qui consiste à exécuter à la perfection toutes les tâches usuelles.
Avec le budo, le budoka possède un outil de perfectionnement humain extraordinaire, qui plus est, utile en cas d’agression, mais il lui faut comprendre beaucoup de choses, en particulier au sein de son esprit, car foncer dans le brouillard n’amène que des ennuis.
L’esprit ne peut pas s’observer ; seules ses productions intelligentes, affectives, créatives... se constatent et constituent le matériau qui permet de comprendre son fonctionnement. Si l’objectif est de comprendre, de se comprendre, de comprendre ce qui anime les autres, de comprendre tout ce qui constitue l’existence afin de mieux conduire sa vie, sereinement, lucidement, efficacement, de façon juste dans toutes les circonstances, la première étape, qui conditionne la suite du processus, est donc de percevoir clairement les difficultés et faiblesses qui nous empêchent d’atteindre l’excellence et traduisent concrètement les aberrations, pièges, déformations et pollutions qui accablent l’esprit de tout un chacun. Il s’avère impossible de tirer ces terribles ennemis de la sagesse hors de leur cachette spirituelle et de les exposer à la pleine lumière autrement qu’en pointant du doigt leurs manifestations observables et c’est bien ce que propose le budo.

D’accord, quand on voit les erreurs, on comprend d’où elles proviennent et on peut corriger. Mais comment s’assurer du vrai et du faux ? Un instructeur de karaté vous demande de combattre avec les deux pieds sur la même ligne frontale pour gagner en allonge, un autre exige un décalage des appuis pour être plus stable. Qui a raison ? D’abord, même si vous participez à des stages d’experts, ne remettez jamais en question l’enseignement de votre sensei avant d’être bien avancé dans les dan de la ceinture noire sous peine de générer plus de soucis techniques ou existentiels que vous en aviez au départ. Ensuite, devant toute information, posez-vous les questions fondamentales : qui, quoi, quand, où, comment, pourquoi ? Dans le cas de la contradiction soulevée ci-dessus le « pourquoi ? » fournira la réponse. Ces deux entraîneurs n’ont pas les mêmes objectifs car ils diffusent des activités différentes, sport de combat et art martial, dont les raisons d’être sont très éloignées. Leurs exigences sont donc toutes deux justifiées, mais elles s'inscrivent dans des paradigmes différents. À vous de trouver les questions qui permettront de comprendre.
Tout le monde a assisté à des tours de prestidigitation. L’illusionniste attire l’attention là où il le souhaite pour dissimuler ce que le spectateur ne doit pas voir. De nombreux leaders d’opinion sont des illusionnistes ; ils vous abreuvent de données véridiques destinées à vous inspirer confiance et glissent subrepticement quelques informations falsifiées pour vous induire en erreur et vous faire adhérer à leurs thèses fallacieuses. D’autres fois, ils partent de postulats couramment utilisés mais qui ne reposent sur rien d’autre qu’une opinion partagée ; leur argumentation est évidemment sujette à caution, mais le stratagème n’est détectable que par ceux qui savent différencier croyance et donnée ou fait avérés.
Budoka, vous avez pris l’habitude de repérer vos défauts, de comprendre pourquoi ils se manifestent et qui ou quoi en est responsable. Vous avez transposé cette faculté sur le repérage des indices que vous livrent vos adversaires pour comprendre leurs états de conscience et leurs intentions. Cela vous confère évidemment la capacité de les induire en erreur. Vous interroger sur la véracité, la pertinence ou le but de toutes les informations, sollicitations, intoxications et autres tentatives d’endoctrinements qui vous assaillent ne semble pas plus compliqué que vos réalisations précédentes. Confrontez les sources, décortiquez les messages, discours et communications, repérez les perspectives faussées, les logiques douteuses et les manipulations perfides, mais surtout abordez ce potentiel savoir avec les yeux d’une conscience mushin donc dépourvue des travers de l’ego, du tumulte des affects et des pressions sociales. Attention toutefois à ne pas sombrer dans l'exigence sociale d'avoir une opinion sur quasiment tout. Dans de nombreux cas, on ne dispose pas de tous les éléments pour statuer, ce qui n'empêche pas la plupart des gens d'exprimer leurs convictions. Il faut savoir dire : « je ne sais pas ! »
Néanmoins, la réaction doit parfois surgir dès la perception. C’est impératif pour déjouer les attaques sournoises et conjointes d’un groupe de tueurs. Pour ne pas compter sur la chance dans cette situation, mauvaise stratégie évidente, l’état de conscience mushin no shin est quasiment indispensable.
Combien de temps pour en arriver là ? Question oiseuse pour plusieurs raisons :

  • Chaque budoka suit son propre rythme.
  • Parvenir au but, c’est s’arrêter ; or s’arrêter, c’est régresser.
  • Il existe peut-être des états de conscience supérieurs à mushin no shin. Si on s’arrête on ne les découvrira pas.
  • La voie n’a pas de fin ; aller chaque jour un peu plus loin, un peu plus haut, là est la voie. « Le but, c’est la voie. » (Lao Tseu.)

 

Et voir la vie autrement

Le budoka qui s’entraîne régulièrement et cultive un zanshin immuable découvre immanquablement l’état d’esprit mushin. Cela se produit par hasard et n’est généralement pas reproductible à volonté. Passer de zanshin à mushin nécessite de faire taire son ego, ce qui s’avère pour le moins délicat puisque l’ego c’est soi, mais l’avantage lors d’une confrontation saute aux yeux, car l’ego n’est qu’un montage psychologique qui exacerbe la sensibilité aux affects, aux croyances, aux incitations ou aux pressions qui le flattent et confortent ses a priori ou, a contrario, qui le blessent et s’opposent à ses convictions. Il induit des brouillages, des déformations, voire une occultation de la réalité, avec la commission de grosses bévues à la clé.
L’ego, est le résultat du brassage et des conflits qui naissent entre ce que l’on est, ce que l’on croit être et ce que l’on veut être. Il est façonné par l’éducation sous toutes ses formes, par les conditionnements, l’historique de ses émotions, de ses sentiments, de ses humeurs et par l’adhésion plus ou moins ferme aux différentes représentations ou conventions sociales. Se soustraire aux influences de l’ego est la plus grande victoire à souhaiter aux hommes puisqu’il aveugle, conduit à l’erreur et alimente les bassesses, turpitudes et autres tares humaines. Certes, il recèle également les bons côtés de la personnalité, mais comme les mauvais, ils constituent des idées préconçues qui ne s’adaptent pas toujours aux situations exceptionnelles. Mieux vaut donc museler son ego pour agir en conformité avec l’exigence technique, psychologique ou éthique du moment.
Après avoir fait quelques incursions aléatoires dans la conscience mushin, la recherche du budoka doit porter sur le processus qui lui a permis de bâillonner ponctuellement son ego afin de pouvoir reproduire cet état quand bon lui semble. L’accès à mushin se limite toutefois à une simple évolution spirituelle ; il s’agit d’un changement d’état d’esprit, la perception immaculée de la réalité, certes difficile, mais accessible ponctuellement. Pour parvenir à mushin no shin, l’union parfaite du corps et de l’esprit est requise. Si l’esprit, débarrassé des perturbations de l’ego, reste connecté au réel grâce à une observation multisensorielle sans entrave, la perception qui en découle ne doit pas provoquer de cogitations intellectuelles. Elle doit s’installer instantanément dans le hara, point de départ des actions physiques, afin de fournir la possibilité d’une réaction instantanée. Néanmoins, le centre névralgique du hara peut également renvoyer la décision à une réflexion purement intellectuelle, des situations complexes nécessitant parfois une analyse soignée avant toute action. À ce stade, le budoka qui maîtrise sa technique martiale parvient à l’apogée de son art.

Comment passer de mushin à mushin no shin ? Impossible à dire ; cela peut se produire — personne n’est sûr d’y parvenir — à tout moment, mais jamais sans un énorme travail préalable. Les notions d’union du corps et de l’esprit ou de corps-esprit sont accessibles intellectuellement, mais la réalisation effective du corps-esprit nécessaire à l’état mushin no shin échappe à l’explication ; on ne peut que le constater. Bien sûr, un mushin, ou un état de conscience supérieur, inaltérable rejaillit inévitablement sur l’ensemble des qualités humaines du budoka, aussi est-il hautement recommandable de le rechercher, de le cultiver activement et d’envoyer un maximum de monde sur cette voie de l’humanisme et du pacifisme.
Cependant, il ne faut pas se leurrer, de nombreux Homo sapiens ne s’engageront jamais sur une voie d’élévation spirituelle, resteront ad vitam æternam prisonniers de leurs travers et continueront à fomenter ou entretenir les dissensions et autres accrochages que semble affectionner l’espèce humaine. Parmi les autres, beaucoup ont conscience d’être doté d’un esprit tortueux, trop perméable aux émotions, aux conditionnements et dirigé par un ego trop rigide qui s’oppose à leurs timides tentatives d’évolution. Leur cas n’est pas désespéré ; il faut seulement qu’ils découvrent la méthode qui leur offrira une vraie porte de salut. Et pourquoi pas un authentique budo ? À chaque budoka bien engagé sur la voie de convaincre ces égarés, ceux qui s’efforcent vainement de trouver une joie de vivre qui ne soit pas épisodique, que l’art martial est bien le meilleur chemin pour avancer vers la félicité puisqu’il s’avère impossible d’agir directement sur son propre psychisme. C’est le développement du nombre de pèlerins du budo qui permettra progressivement de projeter davantage de lumière dans l’esprit des hommes encore dominés par leur ego, rongés par leurs affects et insidieusement soumis aux pressions sociales. Chaque personne supplémentaire engagée sérieusement sur la voie martiale, donc philosophe, pacifiste et humaniste, augmente les chances d’éviter des conflits dommageables, des embrouilles sans queue ni tête ou des actions incohérentes.
De nombreux clubs prétendument d’arts martiaux n’enseignent qu’un sport de combat compétitif, éducatif ou de loisir. Néanmoins, la voie martiale requiert avant tout un travail personnel du budoka. Être budoka est un état d’esprit qu’il est possible de faire éclore même dans une structure essentiellement sportive, solution acceptable quand aucun club d’art martial n’est accessible aisément.

Tout ce qui interfère avec notre vie doit être distinctement perçu puis compris, condition sine qua non pour devenir un budoka éminent et un Homo vraiment sapiens (sage, qui questionne l’existence ; philosophe donc.) Cette disposition d’esprit, celle de celui qui désire voir clair et comprendre, ne relève pas de l’impossible. Il suffit d’en percevoir toutes les implications à titre personnel et son intérêt pour la collectivité ; la voie qui y conduit s'affichera aussitôt clairement. Évidemment, cela impose des efforts et de la ténacité car si un bon sensei peut mettre un budoka sur la voie, le parcours de celle-ci, semé d’embûches, incombe intégralement à ce dernier. La voie des arts martiaux est à ce prix, mais le jeu en vaut la chandelle et les alternatives ne sont guère convaincantes. Néanmoins, ce qui apparaît comme un projet grandiose, inaccessible a priori pour le commun des mortels, se cristallise en réalité sur les seules prestations martiales. Le développement des qualités purement humaines n’est pas directement recherché ; c’est l’amélioration concrète et mesurable des compétences martiales qui rejaillit naturellement sur les qualités spirituelles du budoka et la quiétude de ses relations. La toile pacifique et humaniste que tisse le noble budoka rejoindra bientôt celle d’un autre budoka. L’œuvre individuelle en rencontre d’autres et se mue en œuvre collective. C’est ainsi que je vois le salut de l’humanité.

Qu’est-ce que le budo ? « Un mode vie » entend-on couramment. Certes, mais un mode de vie idéal qui cumule efficacité martiale, plénitude, sagesse, humanisme, pacifisme et vers lequel une pratique martiale assidue et avisée conduit inéluctablement. Les progrès du budoka sont directement corrélés aux questions que soulèvent ses difficultés et bien sûr aux réponses apportées qui retentissent toujours sur ses dispositions spirituelles. Souvenons-nous toutefois d’un principe essentiel : une question qui n’induit pas de réponse est une question mal posée. Si nous ne trouvons pas, c’est que nous questionnons mal. Une suite de reformulations finira toujours par fournir une réponse utile, à condition bien sûr de porter sur un objet ou un sujet réels et non une vision fantaisiste.
Si, comme nous l’avons stipulé dans notre introduction, la philosophie est un art du questionnement, il ne peut y avoir de philosophie des arts martiaux sans de perpétuelles observations, investigations et interrogations sur tous les aspects constitutifs du budo et toutes ses connexions avec l’ensemble de l’existence. « Percevoir la réalité sans fard, puis comprendre la vérité, même dissimulée », telle est la voie sur laquelle s’engage le vrai budoka. Une voie martiale qui s’intègre à une philosophie de la vie, mène à l’heureux épanouissement de l’adepte et offre une réjouissante perspective d’harmonie des relations humaines.

Sakura sensei


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